En 1989, deux chimistes font le buzz en annonçant avoir obtenu une fusion nucléaire à température ambiante. Mais en quelques mois, faute de preuves évidentes, la fusion froide passe du rang de sauveuse de l’humanité à celui de pestiférée de la physique. Jusqu’à ce que, aujourd’hui, des chercheurs annoncent avoir repris les recherches. 


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    Il y a 30 ans, presque jour pour jour, des chercheurs annonçaient avoir, pour ainsi dire, résolu tous les problèmes d'énergie de l'humanité. Lors d'une conférence de presse, ils déclaraient avoir obtenu une réaction de fusion nucléaire en plongeant simplement une paire d'électrodes en palladium dans un bocal d'eau lourde. Le tout à température et à pression ambiantes. Une réaction qualifiée de fusion froide.

    Par opposition à la réaction de fusion nucléairefusion nucléaire classique qui ne peut, en principe, être obtenue que lorsque la répulsion électrostatiqueélectrostatique entre atomesatomes est vaincue à l'aide notamment d'une température très élevée. Plusieurs grands projets internationaux, dont Iter (International Thermonuclear Experimental ReactorInternational Thermonuclear Experimental Reactorconstitue le ferfer de lance, tentent de maîtriser la fusion nucléaire en laboratoire. Car son potentiel est réputé près de quatre millions de fois supérieur à celui de la combustioncombustion du charboncharbon et même quatre fois supérieur à celui de la fission nucléairefission nucléaire. Et sans production de déchets nucléaires.

    On comprend pourquoi l'annonce de Stanley Pons et Martin Fleischmann, ce 23 mars 1989, a fait tant de bruit. Et on comprend aussi la déception qui a suivi lorsqu'aucun chercheur n'est parvenu, par la suite, à reproduire l'expérience de la fusion froide. L'idée, peu à peu, est tombée dans l'oubli.

    C’est dans cet appareil notamment que les chercheurs tentent d’obtenir des réactions de fusion froide. © Marilyn Chung, <em>Laboratoire national Lawrence Berkeley</em>
    C’est dans cet appareil notamment que les chercheurs tentent d’obtenir des réactions de fusion froide. © Marilyn Chung, Laboratoire national Lawrence Berkeley

    La fusion froide, un cold case de la Science

    Pas tout à fait puisque, apprend-on aujourd'hui, depuis trois ans, une trentaine de physiciensphysiciens, financés par Google à hauteur de quelque 10 millions de dollars, ont décidé de rouvrir le dossier. « L'affaire avait été classée en quelques mois seulement. Or, en science, rien ne devrait être classé aussi rapidement », raconte Matthew Trevithick, physicien, pour expliquer son engagement. Et lorsqu'on lui demande s'il ne craint pas d'être pris pour un fou, il répond : « Il faut savoir prendre des risques. »

    Des risques payants. Car au cours de leurs expériences, les chercheurs ont travaillé notamment sur les interactions hydrogènehydrogène-palladium. Des interactions qui intéressent aussi ceux qui étudient le stockage de l’énergie ou encore la catalysecatalyse. Ils ont découvert que l'hydrogène préfère pénétrer les nanoparticulesnanoparticules de palladium par les sommets plutôt que par les faces. De quoi concevoir des matériaux qui permettent d'augmenter les concentrations en hydrogène. Jusqu'à initier des réactions de fusion, affirment les tenants de la fusion froide.

    Notre objectif : réaliser une expérience de référence

    Pourtant à ce jour, les chercheurs reconnaissent « n'avoir trouvé aucune preuve d'effets anormaux allégués par les partisans de la fusion froide et qui ne pourraient pas être expliqués plus prosaïquement ». Ils maintiennent toutefois que leurs recherches « laissent entrevoir » que la fusion à froid est possible. Matthew Trevithick affirme ainsi que réaliser ce que l'on appelle une « expérience de référence » -- fournissant des preuves de la fusion froide, sans ambiguïté et vérifiables de manière indépendante -- reste leur objectif.


    Fusion froide : le retour ?

    Les annonces de succès dans la réalisation de la fusion froide n'ont pas manqué depuis celle faite par Fleischmann et Pons en 1989. Mais jamais leurs résultats n'ont réussi à être reproduits de façon convaincante. Il est à craindre que la dernière annonce ultra-médiatique faite au Japon par Yoshiaki Arata soit du même acabit...

    Article de Laurent SaccoLaurent Sacco paru le 28/05/2008

    Une photo du dispositif d'Araka. Crédit : <em>Physicsworld</em>
    Une photo du dispositif d'Araka. Crédit : Physicsworld

    L'information commence à se répandre sur le Web. Un scientifique distingué de l'université d'Osaka, Yoshiaki Arata, serait parvenu à atteindre l'un des Saint-Graal de la physiquephysique : la fusion froide. Le 23 mai 2008, il en aurait fait la démonstration devant un parterre de près de 60 scientifiques et membres de compagnies japonaises. Pour couronner le tout, plusieurs journaux et chaînes de télévision, comme la célèbre NHK, étaient présents.

    Avec son collègue Yue-Chang Zhang, Arata a fait la démonstration d'une sorte de réacteur chimique dans lequel un courant de deutérium à l'état gazeuxétat gazeux, un isotopeisotope de l'hydrogène, rencontrait de l'oxyde de zirconiumzirconium contenant du palladium (ZrO2-Pd), le même métalmétal utilisé par Fleischmann et Pons en 1989 dans leur expérience d'électrolyseélectrolyse. Tony Stark l'utilise lui aussi pour faire fonctionner le réacteur ARC alimentant l'armure d'Iron Man...

    Des résultats déjà annoncés en 1998

    Araka affirme qu'une élévation de température significative se produit dans le dispositif puisqu'il atteindrait 70° et continuerait à dégager de la chaleurchaleur pendant 50 heures, même après l'arrêt de l'injection du gaz. Selon Akito Takahashi, un autre physicien de l'université d'Osaka, lors d'expériences précédentes du même type, de l'héliumhélium aurait été détecté comme produit de la réaction. Selon eux, ce serait le signe qu'une fusion des noyaux de deutérium s'est bien produite et qu'au moins une part de l'énergie dégagée n'est pas due à une banale réaction chimiqueréaction chimique. Rappelons que le deutérium étant chimiquement semblable à l'hydrogène, il est tout aussi réactifréactif que lui.

    On aimerait bien que tout ceci soit vrai, tant la découverte d'une source d'énergie propre, facile à mettre en place partout sur la planète et quasi inépuisable serait la solution à bien des problèmes auxquels l'humanité est actuellement confrontée, crise de l'énergie, surpopulation et réchauffement climatiqueréchauffement climatique global causé par le rejet de CO2. Mais on peut légitimement se demander pourquoi des publications d'Araka sur un phénomène similaire n'ont jamais réussi à convaincre le monde scientifique depuis 1998. Si une réaction de fusion était aussi indiscutable, on ne voit pas pourquoi il faudrait un événement aussi médiatisé pour l'annoncer. Rappelons que Pierre-Gilles de Gennes était très sceptique pour tout ce qui touche à la fusion froide.

    Inexplicable avec la physique actuelle

    Pour générer des réactions de fusion, il faut vaincre la barrière coulombienne entre les noyaux, ce qui nécessite des conditions de pression et de température très loin de celles que l'on rencontre ordinairement sur Terre. Bien sûr, on peut imaginer que les atomes de deutérium dans le composé d'oxyde de zirconium et de palladium se retrouvent à l'intérieur d'un assemblage très particulier créant localement des pressions et des températures, ou d'autres effets physiques, permettant de franchir la barrière de répulsion entre les protonsprotons des noyaux. Mais cela reste à prouver aussi bien théoriquement qu'expérimentalement.

    Avant de s'emballer, il sera sans doute sage d'attendre que le phénomène soit bien répliqué partout dans les laboratoires de la planète et qu'aucun biais dans les analyses ne soit découvert. Précédemment, l'apparition d'hélium avait été imputée dans nombres d'expériences à des contaminationscontaminations mal contrôlées. En général aussi, l'apparition de neutronsneutrons est un signe sûr d'une réaction de fusion. Un signe qui manque toujours à l'appel...

    Il ne serait pas bon tout de même de nier un phénomène expérimental sous prétexte qu'il est impossible théoriquement. On serait alors aussi ridicule que les « savants » aristotéliciens refusant de regarder dans la lunette de GaliléeGalilée parce que ce qu'il voyait était impossible selon les théories d'AristoteAristote. Affaire à suivre donc, mais avec la plus grande prudence...