L'antique vessie de porc a depuis longtemps été remplacée par du cuir puis par des polymères mais la question de la forme du ballon de football demeure toujours d'actualité. Pour faire au mieux, il faut que la balle s'apparente à une sphère, ce que l'on peut faire astucieusement, expliquent les mathématiciens, mais elle ne doit pas être parfaite rétorquent les footballeurs, auxquels les aérodynamiciens donnent raison. Voilà donc la science convoquée sur le terrain.


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    À chaque championnat international de football, le ballon choisi fait couler de l'encre et anime des débats. Dans cet Euro 2016, il y en a deux : « Beau Jeu », pour les matchs de poules, et « Fracas », pour la phase finale où les matchs sont éliminatoires, laquelle commence ce samedi 25 juin. Ils sont signés Adidas, comme tous les ballons des Coupes du monde de la Fifa depuis 1970.Côté technique, on peut les confondre car la différence ne tient qu'à la coloration et aux dessins. Fracas est donc le même que Beau Jeu, celui que le Suisse Valon Behrami a crevé d'un lourd coup de crampons pendant la rencontre avec l'équipe de France, le 19 juin. Tous les deux sont... des cubes, selon le point de vue d'un mathématicienmathématicien spécialiste en topologie.

    Il en est ainsi depuis quatre décennies : le ballon de foot est devenu un objet scientifique et technologique, pour sa forme, pour son matériau et peut-être, à l'avenir, pour ses puces électroniques embarquées, comme dans le « Brazucam ». Pour ce qui est de la forme, elle a eu tendance à évoluer vers une multiplication des faces.

    À l'heure des ballons de caoutchouc, recouverts de panneaux de cuir, il fallait les multiplier pour approcher la rotondité. Mais trop de pièces nuisent à la solidité des coutures. L'historique « T-Shape » (« en forme de T », en français), de la Coupe du monde 1930 en Uruguay, doit son nom aux formes des 12 morceaux de cuir qui formaient sa surface. Avec le passage à la couche de polyuréthane - apparue en 1967 grâce à la société Select et remplaçant progressivement le cuir dans les années 1970-et au collage puis au soudage thermique, le découpage des pièces a pu devenir plus savant.

    Le Brazuca dela Coupe du monde 2014est composé de six faces : topologiquement, c'est un cube. © Adidas
    Le Brazuca dela Coupe du monde 2014est composé de six faces : topologiquement, c'est un cube. © Adidas

    Platon a fait progresser le football

    Pour comprendre, il faut remonter à l'époque de Platon. Ce dernier a décrit les cinq polyèdres réguliers que peut nous offrir notre monde à trois dimensions d'espace :

    • le tétraèdre ;
    • le cube ;
    • l'octaèdre ;
    • le dodécaèdre ;
    • l'icosaèdre.

    Le dernier de la liste comporte 20 faces triangulaires et c'est lui qui a conduit au format le plus célèbre : l'icosaèdre tronqué. En sectionnant les coins qui dépassent, on obtient cet assemblage de pentagones et d'hexagones qu'on ne présente plus, popularisé par Adidas en 1970 avec le « Telstar », dont les faces noires et blanches donnaient un fort contrastecontraste sur les téléviseurs.

    Depuis, la science a progressé et des formes différentes apparaissent, notamment en déformant les faces. Ainsi, les six faces d'un cube, devenues d'élégants lobes en croix, apparaissent sur le Brazuca pour la Coupe du monde 2014 (voir photo ci-dessus).

    Voici quelques liens pour aller plus loin :

    Dessin schématique du coup franc de Roberto Carlos, en 1997. La trajectoire s'incurve trop pour que seul l'effet donné au ballon soit en cause. © DP
    Dessin schématique du coup franc de Roberto Carlos, en 1997. La trajectoire s'incurve trop pour que seul l'effet donné au ballon soit en cause. © DP

    L'aérodynamique subtile du ballon rond

    En 2010, le ballon dénommé Jabulani, à 14 faces seulement, a défrayé la chronique après les remarques des premiers joueurs l'ayant essayé : ceux-ci le jugeaient imprévisible, conduisant à des trajectoires « flottantes », comme disent les footballeurs. Il serait trop lisse. Trop parfait en somme, comme nous l'écrivions ici. Ce débat rappelait un évènement survenu en 1997 lors d'un match Brésil-France : le célèbre coup franc de Roberto Carlos, qui laissa sur place le gardien Fabien Barthez. La trajectoire du ballon est en effet stupéfiante, prenant la forme d'une double spirale, avec une sorte de brusque virage vers la cage au dernier moment. Des scientifiques du Laboratoire d'hydrodynamique de l'École polytechnique (LadHyX, Palaiseau), menés par Christophe Clanet, s'étaient penchés sur ce tir phénoménal et en avaient tiré des conclusions intéressantes. (On trouvera des explications dans les articles cités en lien ci-dessous.)

    En résumé, un ballon tournant sur lui-même crée une différence de pression de part et d'autre de sa trajectoire : c'est l'effet Magnus. Le modèle aérodynamique devient celui d'une aile d'avion, avec apparition d'une portance, doublement générée (par la dépression qui aspire et par la pression qui pousse), ainsi que d'une traînée, sans oublier le poids du ballon. Les vitessesvitesses du ballon (celle sur sa trajectoire et celle de sa rotation) diminuant, la résultante des forces se modifie, d'où une trajectoire curieuse.

    Simulation de la trajectoire d'une « balle flottante » à l'aide d'une sphère de 3,5 mm pénétrant dans l'eau à 35 m/s (126 km/h), avec une rotation sur elle-même (1.200 radians par seconde) et suivie par chronophotographie. À gauche, elle franchit la surface ; la série d'images de droite montre la trajectoire en spirale, avec la variation de la courbure indiquée en θ/s. Les lettres « n » et « t » correspondent au repère de Serret-Frenet, utilisé pour l'étude d'un objet en mouvement. L'expérience a été réalisée par une équipe du LadHyX (École polytechnique, Palaiseau, France) et décrite dans <a href="http://iopscience.iop.org/article/10.1088/1367-2630/12/9/093004/meta;jsessionid=E4F4D2587128046B419D5EAD122E190B.c3.iopscience.cld.iop.org" title="The spinning ball spiral" target="_blank">cet article</a>. © Guillaume Dupeux, Anne Le Goff, David Quéré et Christophe Clanet, <em>New Journal of Physics</em>
    Simulation de la trajectoire d'une « balle flottante » à l'aide d'une sphère de 3,5 mm pénétrant dans l'eau à 35 m/s (126 km/h), avec une rotation sur elle-même (1.200 radians par seconde) et suivie par chronophotographie. À gauche, elle franchit la surface ; la série d'images de droite montre la trajectoire en spirale, avec la variation de la courbure indiquée en θ/s. Les lettres « n » et « t » correspondent au repère de Serret-Frenet, utilisé pour l'étude d'un objet en mouvement. L'expérience a été réalisée par une équipe du LadHyX (École polytechnique, Palaiseau, France) et décrite dans cet article. © Guillaume Dupeux, Anne Le Goff, David Quéré et Christophe Clanet, New Journal of Physics

    Le ballon de football doit être un peu turbulent

    Cette explication ne suffit pas. Il s'y ajoute aussi l'affaire des turbulencesturbulences : quand la vitesse du ballon est élevée, le flux d'airair qui l'entoure est laminairelaminaire. Toutefois, les paramètres aérodynamiques changent (la vitesse par exemple) et l'objet peut devenir turbulent, ce qui vient combler en partie la dépression proche de sa surface. C'est le « décrochagedécrochage », connu et redouté des aviateurs. Pour le footballeur, en revanche, il est plutôt bon camarade car il stabilise la trajectoire.

    Tous les sports où l'on joue à la balle sont concernés. Au golf, d'ailleurs, les concavités qui décorent la surface de la balle ont été imaginées pour cette raison. D'où la pertinence des reproches contre le Jabulani, dont la surface trop lisse ne générait pas assez de turbulences. Beau Jeu et Fracas présentent une surface moins lisse et ne semblent pas essuyer ce genre de critiques. Pour autant, la science peut encore, sûrement, trouver des sujets de recherches dans le milieu sportif...

    Pour aller plus loin, voici quelques liens à suivre :