Toujours pas de signes du boson de Higgs ni des particules supersymétriques dans les collisions au LHC. Le seul signe potentiel d’une nouvelle physique est pour le moment l’observation de neutrinos apparemment transluminiques avec Opera. Un test avec de nouveaux faisceaux de neutrinos est en cours pour éliminer un maillon faible de la chaine de mesures des physiciens.

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    Le 23 septembre 2011, les physiciensphysiciens de la collaboration Opera annonçaient qu'après de multiples vérifications d'erreurs possibles dans leurs instruments ou dans l'interprétation des mesures, il apparaissait que des neutrinosneutrinos avaient voyagé plus vite que la lumière sur une distance d'environ 730 km entre les accélérateurs du Cern à Genève et un détecteur enfoui sous le Gran Sasso en Italie.

    En fait, parmi les 160 membres de la collaboration Opera, certains étaient en désaccord avec cette annonce ainsi qu'avec la publication sur arxiv, la veille, d'un article faisant état de tout le processus de mesure. L'article discutait aussi des éventuels sources d'erreurs systématiques qui auraient pu expliquer l'avance de 60 nanosecondes des neutrinos muoniques par rapport à des photons qui auraient parcouru  la même distance en 2,4 millisecondes.

    Surtout, le résultat semblait bien peu crédible si on le comparait à un désaccord de ce genre observé en 1987 lors de l'explosion de la supernova SNSN 1987A, mais bien expliqué dans le cadre de l'astrophysiqueastrophysique standard. Si la vitessevitesse de ces neutrinos avait été celle mesurée par Opera, on aurait dû détecter leur arrivée sur Terre plusieurs années avant les photons observés par les télescopestélescopes. Or leur avance n'était que de quelques heures. Certes, l'énergieénergie des neutrinos produits au Cern est bien supérieure à celle des neutrinos mesurés provenant de la supernova. On pouvait donc invoquer un effet de variation de la vitesse avec l'énergie des particules, les rendant plus rapides que la lumière qu'à des énergies élevées.

    La majorité des théoriciens se sont montrés très sceptiques mais beaucoup n'hésitaient pas simultanément à spéculer sur d'éventuels changements plus ou moins profonds des fondements de la physiquephysique et de la cosmologie, au cas où l'effet mesuré soit bel et bien la manifestation d'une nouvelle physique.

    Un nouveau type d'effet Cerenkov

    Il faudrait peut-être se résoudre à admettre que le groupe de Lorentz, au fondement de la théorie de la relativité restreinterelativité restreinte, ne décrit en fait qu'une symétrie approchée de l'espace et du temps. Une telle possibilité a été étudiée à plusieurs reprises et notamment par Sydney Coleman et l'un des pères de la théorie du modèle électrofaible des neutrinos, le prix Nobel Sheldon Glashow.

    Le prix Nobel de physique Sheldon Glashow. © Nick Herbert.

    Le prix Nobel de physique Sheldon Glashow. © Nick Herbert.

    Celui-ci a d'ailleurs réagi très rapidement aux résultats d'Opera dans un article avec un collègue. Se basant sur des considérations théoriques qu'il avait déjà explorées avec Coleman, Glashow pense que leurs calculs prouvent que si un neutrino allait effectivement plus vite que la lumière, il faudrait tout de même en conclure qu'il devrait rayonner et perdre son énergie sous forme de paires de positronpositron et d'électronélectron, à la façon dont un électron le fait sous forme de photons lorsqu'il se déplace plus vite que la vitesse de la lumièrevitesse de la lumière dans un milieu matériel (mais pas dans le vide). Il s'agit donc de l'analogue de l'effet CerenkovCerenkov.

    Or, ce processus se traduirait par une modification bien particulière de la distribution en énergie des neutrinos détectés au Gran Sasso. Une autre expérience, Icarus, qui se déroule au même endroit, a annoncé les résultats de ses mesures de cette distribution en énergie des neutrinos, au cours du mois dernier justement.

    Aucun signe du phénomène prédit par Glashow et son collègue Andrew Cohen. Pour certains, comme le physicien Gilles Cohen-Tannoudji, c'est un argument fort contre l'hypothèse des neutrinos supraluminiques.

    Un biais au niveau des paquets de neutrinos ?

    Une façon d'y voir plus clair, afin d'éliminer des sources possibles d'erreurs systématiques liées aux instruments, et d'en changer. Mais comme le signale un autre prix Nobel (le découvreur du leptonlepton tau dont l'expérience Opera chassait le neutrino associé), le physicien Martin Perl qui vient de rejoindre la blogosphèreblogosphère, il faudra attendre au moins un an pour cela. Il mentionne ainsi les expériences Minos et T2K, analogues à celle d'Opera. 

    On aura peut-être une réponse bien avant...

    Les chercheurs du Cern sont en effet en train de répondre à une critique souvent émise à l'encontre de leurs mesures du temps de vol des neutrinos muoniques. Ceux-ci sont des paquetspaquets produits à partir de la désintégration de particules elles-mêmes créées par des paquets de protonsprotons entrant en collision avec une cible en graphitegraphite. Chaque impulsion dure environ 10.500 nanosecondes, ce qui est beaucoup si on la compare à l'avance de 60 nanosecondes mesurée pour les neutrinos. Les caractéristiques de cette impulsion ont fait l'objet d'une évaluation statistique et c'est justement là où le problème pourrait se trouver selon certains. Une petite erreur dans l'évaluation des caractéristiques de ces impulsions pourrait expliquer les résultats d'Opera.

    C'est pourquoi des impulsions durant seulement de 1 à 2 nanosecondes sont maintenant employées, séparées par 500 nanosecondes. Selon les chercheurs, on devrait ainsi pouvoir relier le temps de vol d'un seul des neutrinos mesurés au Gran Sasso à un seul paquet de protons créé au Cern. Si une erreur systématique sur l'évaluation du temps de vol se trouve à ce niveau, on devrait le savoir très prochainement !