Les données de la mission Gaia concernant les populations de naines blanches dans la Voie lactée viennent d'accréditer une théorie vieille de presque 50 ans. Les naines blanches, ces cadavres stellaires, se cristalliseraient en se refroidissant. Ce devrait être le cas du Soleil qui deviendra une sorte de diamant géant exotique.


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    Les astronomesastronomes ont fait la découverte des naines blanches au XVIIIe siècle, malgré leur faible luminositéluminosité, et ils ignoraient alors à quel point ces astres étaient exotiquesexotiques. Ils ont commencé à s'en rendre compte au tout début du XXe siècle avec la détermination de l'extraordinaire densité des naines blanches. À la stupéfaction des astrophysiciensastrophysiciens de l'époque, une valeur de l'ordre de la tonne par centimètre cube fut en effet dérivée de l'observation d'étoiles comme SiriusSirius B.

    Rapidement cependant, le physicienphysicien RalphRalph Fowler comprit que la toute nouvelle mécanique statistique quantique découverte par son collègue Paul DiracPaul Dirac à la fin des années 1920 (qui prédit théoriquement l'existence de l'antimatière à la même époque), décrivant un gaz d'électronsélectrons dégénéré dans le jargon des physiciens, pouvait expliquer l'existence de ces étoiles. Reprenant les travaux de Fowler, le tout jeune astrophysicien Subrahmanyan Chandrasekhar (âgée alors de 20 ans) eut l'idée d'introduire les effets de la théorie de la relativité restreinterelativité restreinte et il posa les fondations de la structure stellaire de ces étranges objets.


    Extrait du documentaire Du Big bang au Vivant (ECP Productions, 2010), Jean-Pierre Luminet parle de l'évolution des étoiles de type solaire, leur transformation en géantes rouges puis en naines blanches. © Jean-Pierre Luminet

    Les naines blanches, la masse du Soleil dans le volume de la Terre

    Les progrès observationnels permirent simultanément de découvrir plusieurs types de naines blanches, différant par la composition chimique de leurs atmosphèresatmosphères. On détermina finalement que les naines blanches sont l'étape finale de l'évolution des étoiles, contenant au maximum quelques massesmasses solaires quand elles ont épuisé leur carburant nucléaire. Elles peuvent alors rassembler la masse du SoleilSoleil dans un volumevolume de la taille de la Terre. Il s'agit donc d'astres très denses et qui se refroidissent très lentement. Elles ont été étudiées par nombre de grands théoriciens de l'astrophysiqueastrophysique vers le milieu du siècle dernier, par exemple Evry Schatzman, qui avec les progrès de l'astrophysique nucléaire d'après-guerre, ont  démontré que l'essentiel d'une naine blanche devait être constitué de noyaux de carbonecarbone et d'oxygèneoxygène baignant dans un gaz dégénéré d'électrons relativistes. Mais, c'est au cours des années 1960 que divers astrophysiciens théoriciens, dont Edwin Salpeter en 1961, ont réalisé que le cœur d'une naine blanche devait assez rapidement se transformer en un immense réseau cristallinréseau cristallin de noyaux de carbone et d'oxygène. Une part importante du volume d'une naine blanche devait ainsi ressembler à une sorte de diamantdiamant géant, bien que la structure cristalline obtenue avec le carbone ne soit pas exactement celle du diamant sur Terre.

    Cette théorie a été précisée par Hugh M. Van Horn en 1967, déjà en poste à l'université de Rochester, ce qui l'a conduit à la conclusion que le processus de cristallisation devait se produire sur la base d'une théorie déjà avancée, en 1934, par le grand physicien Eugène Wigner. En fin de vie, une étoile comme le Soleil devrait donc se transformer en naine blanche qui en se refroidissant deviendra un cristal de Wigner, un objet que l'on rencontre aussi en physiquephysique du solidesolide, comme l'expliquait Futura plus en détail dans le précédent article ci-dessous.

    Une version du diagramme de Hertzsprung-Russell dressé avec les données de Gaia. On voit la séquence principale (<em>main sequence</em>) où vivent la majorité des étoiles et la région des naines blanches, le cimetière des étoiles de cette séquence quand elles ont des masses inférieures à 8 masses solaires au début de leur vie. © Esa<br /> 
    Une version du diagramme de Hertzsprung-Russell dressé avec les données de Gaia. On voit la séquence principale (main sequence) où vivent la majorité des étoiles et la région des naines blanches, le cimetière des étoiles de cette séquence quand elles ont des masses inférieures à 8 masses solaires au début de leur vie. © Esa
     

    Aujourd'hui des observations faites avec l'aide de la mission Gaia dans l'espace accrédite fortement les théories de Salpeter et Van Horn, comme le montre un article publié dans la revue Nature par une équipe internationale d'astrophysiciens, menée par les professeurs Pier-Emmanuel Tremblay de l'université de Warwick et Gilles Fontaine de l'université de Montréal, aussi membre du Centre de recherche en astrophysique du Québec (Craq). Il est piquant de savoir, comme le mentionne un communiqué du Craq, que Pier-Emmanuel Tremblay a obtenu son doctorat sous la direction Pierre Bergeron qui fait partie du groupe de recherche sur les étoiles évoluées cofondé par Gilles Fontaine, lequel fut le premier doctorant de Van Horn.

    Des étoiles carbonées qui se cristallisent en se refroidissant

    Les travaux des pionniers de la théorie de la structure stellaire nous ont permis de comprendre théoriquement les liens entre la masse, la température, le rayon et la luminosité des étoiles ainsi que la façon dont ils évoluent avec le temps et donc de remonter en bonus à l'âge des étoiles. Ces travaux théoriques permettent de comprendre l'origine et la signification des distributions d'étoiles sur le fameux diagramme de Hertzsprung-Russelldiagramme de Hertzsprung-Russell. En précisant notamment la distance de 15.000 naines blanches situées à environ 300 années-lumièreannées-lumière du Soleil, GaiaGaia a permis de mesurer plus précisément leur luminosité intrinsèque et donc leurs positions dans ce diagramme.

    Les populations d'étoiles se déplacent sur un diagramme HR au cours de leur vie. Le modèle décrivant cette évolution prédit des concentrations d'étoiles sur les lignes bleues présentées sur cette portion de diagramme de HR dressé à partir des données de Gaia (M<sub>sun</sub> indique une masse solaire). On voit que des naines manquent alors que d'autres se concentrent massivement dans des régions où elles ne devraient pas être, sauf si le modèle tient compte de la chaleur libérée par la cristallisation progressive de l'étoile, à la façon de l'eau qui se change en glace (ce modèle fait les prédictions en orange). © Pier-Emmanuel Tremblay et al
    Les populations d'étoiles se déplacent sur un diagramme HR au cours de leur vie. Le modèle décrivant cette évolution prédit des concentrations d'étoiles sur les lignes bleues présentées sur cette portion de diagramme de HR dressé à partir des données de Gaia (Msun indique une masse solaire). On voit que des naines manquent alors que d'autres se concentrent massivement dans des régions où elles ne devraient pas être, sauf si le modèle tient compte de la chaleur libérée par la cristallisation progressive de l'étoile, à la façon de l'eau qui se change en glace (ce modèle fait les prédictions en orange). © Pier-Emmanuel Tremblay et al

    Il est apparu que tout un sous-ensemble de ces naines blanches, avec des couleurscouleurs et des luminosités spécifiques, ne correspondait à aucune des masses ni à aucun des âges attendus... sauf à faire intervenir une source de chaleurchaleur supplémentaire ralentissant leur vieillissement de près de deux milliards d'années dans certains cas. On montre alors que cette source de chaleur semble tout à fait correspondre à la chaleur latente libérée, à un moment de leur évolution, par la cristallisation des naines blanches attendue par les travaux de Van Horn.

    Selon Tremblay, « Toutes les naines blanches se cristallisent à un certain moment de leur évolution, bien que pour les naines blanches plus massives cela se produit plus tôt. Cela signifie que des milliards de naines blanches dans notre galaxiegalaxie ont déjà terminé le processus et sont essentiellement des sphères de cristal dans le ciel. Le Soleil lui-même deviendra une naine blanche cristalline d'ici 10 milliards d'années. »

    Le chercheur ajoute, toujours dans le communiqué du Centre de recherche en astrophysique du Québec (Craq) : « Non seulement avons-nous des preuves du dégagement de chaleur lors de la solidificationsolidification, mais nous montrons qu'il faut dégager beaucoup plus d'énergieénergie pour expliquer les observations. Nous pensons que cela est dû à la cristallisation de l'oxygène qui coule ensuite vers le centre de l'étoile, un processus semblable à la sédimentationsédimentation dans le lit d'une rivière sur la Terre. Le carbone est alors repoussé vers le haut et cette séparationséparation libère de l'énergie gravitationnelle. »

    Une vue d'artiste d'une naine blanche dont l'intérieur est en train de se cristalliser. Le cœur de l'étoile contient un mélange de carbone et d'oxygène pour l'essentiel. Les couches externes contiennent principalement de l'hélium et/ou de l'hydrogène résiduels. © University of Warwick/Mark Garlick
    Une vue d'artiste d'une naine blanche dont l'intérieur est en train de se cristalliser. Le cœur de l'étoile contient un mélange de carbone et d'oxygène pour l'essentiel. Les couches externes contiennent principalement de l'hélium et/ou de l'hydrogène résiduels. © University of Warwick/Mark Garlick

    Le cristal d'électrons de Wigner existe bel et bien

    Article de Laurent SaccoLaurent Sacco publié le 30/12/2016

    Les progrès de l'électronique moderne reposent sur une modélisationmodélisation quantique des atomesatomes et des charges dans les solides. On vient de confirmer dans ce domaine l'existence du cristal de Wigner et surtout d'observer sa fusionfusion qui est conforme aux prédictions de la théorie.

    La mécanique quantique est bien connue pour ses phénomènes défiant le sens commun. Il y a presque 80 ans, en 1934, le grand physicien hongrois Eugène Wigner a fait une étonnante prédiction avec elle en ce qui concerne le comportement des gaz d'électrons dans un métalmétal. Les électrons ont tous la même charge et ils se repoussent donc électrostatiquement, ils ne devraient par former un solide à la façon des atomes liés par des forces dans un cristal. C'est pourtant la conclusion à laquelle Wigner est parvenu. En dessous d'une certaine densité et d'une certaine température, les répulsions entre les électrons peuvent les forcer à rester à une certaine distance les uns des autres et finalement à adopter une organisation minimisant leur énergie collective, qui est celle des réseaux cristallins d'atomes. On obtient donc ce qui est appelé un cristal de Wigner.

    En 1967, l'astrophysicien Van Horn a suggéré que les ionsions positifs dans une naine blanche pouvaient également finir par donner un cristal de Wigner. Là encore, il ne s'agissait que d'une prédiction théorique. Mais des signes de leur existence, que ce soit dans des structures que l'on peut considérer comme étant bidimensionnelles ou en 3D, ont commencé à apparaître à partir des années 1970. Leur obtention n'est guère aisée et c'est dans les structures 2D qu'elle est la plus facile. Depuis le début des années 1990, les chercheurs ont eu des signes de leur existence dans les semi-conducteurssemi-conducteurs. Aussitôt des débats sur leur interprétation ont pris naissance. À présent, un groupe de physiciens états-uniens du MIT pense y avoir peut-être mis fin en publiant les résultats de leurs travaux dans un article de Nature Physics disponible sur arXiv.

    Le physicien théoricien Eugène Wigner est célèbre pour son analyse du rôle des symétries et de la théorie des groupes en mécanique quantique. Comme Schrödinger, il s'intéressait au mysticisme du Vedanta indien. © BME OMIKK, 2005 
    Le physicien théoricien Eugène Wigner est célèbre pour son analyse du rôle des symétries et de la théorie des groupes en mécanique quantique. Comme Schrödinger, il s'intéressait au mysticisme du Vedanta indien. © BME OMIKK, 2005 

    La première observation de la fusion d'un cristal de Wigner

    Raymond Ashoori et ses collègues auraient finalement fourni une preuve solide de l'existence d'un cristal de Wigner par sérendipitésérendipité. On entend par là une découverte inattendue faite alors qu'un travail de recherche était conduit avec un objectif complètement différent. Les physiciens voulaient juste tester une nouvelle technique de mesure par spectroscopie basée sur l'effet tunneleffet tunnel dans le domaine des systèmes d'électrons piégés dans des structures en 2D en physique du solide. Ces systèmes font l'objet de recherches intensives depuis des décennies, comme le montre par exemple le prix Nobel de physique de 2016. Ces recherches ont d'ailleurs été renouvelées par la découverte du graphène.

    Dans le cas présent, les chercheurs étudiaient un feuillet d'arséniure de galliumgallium placé sous une couche d'arséniure d'aluminiumaluminium et de gallium, traversée par des paquetspaquets d'électrons grâce à l'effet tunnel. Les mesures obtenues se sont révélées inhabituelles et c'est en cherchant à les interpréter que les physiciens sont arrivés à la conclusion qu'elles indiquaient la présence dans le feuillet de vibrationsvibrations d'un cristal de Wigner d'électrons. Parmi les prédictions qui se sont trouvées en très bon accord avec celles déduites de la théorie de ce cristal, il y a celle qui affirme qu'au-delà d'une valeur très précise pour la densité d'électrons dans ce cristal, il va fondre. C'est d'ailleurs la véritable nouveauté avec ce travail, l'observation et la confirmation pour la première fois de la fusion d'un cristal de Wigner.

    Encouragés par ces résultats, les physiciens du MIT veulent encore augmenter la précision de leur technique de spectroscopie pour essayer de déterminer des énergies qui correspondent à différents modes de vibration de ce cristal de Wigner. Plusieurs types de réseaux cristallins correspondants à différents groupes de symétries sont possibles et dans chaque cas, ces réseaux ne peuvent pas vibrer aux mêmes fréquencesfréquences.