Au LCOMS, sur le campus de La Doua, à Lyon, une quarantaine de chimistes unissent leurs compétences pour comprendre, développer et améliorer les mécanismes de la catalyse. Rencontre avec ces orfèvres moléculaires proches aussi bien des préoccupations industrielles qu'environnementales.

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    Dans ces « boîtes à gants », les chercheurs du LCOMS réalisent de nouveaux catalyseurs par greffage de composés organométalliques sur un support solide. © Photos : C. Lebedinsky / CNRS Photothèque

    Dans ces « boîtes à gants », les chercheurs du LCOMS réalisent de nouveaux catalyseurs par greffage de composés organométalliques sur un support solide. © Photos : C. Lebedinsky / CNRS Photothèque

    Depuis l'automneautomne dernier, le Laboratoire de chimie organométallique de surface (LCOMS)(1) a connu quelques moments d'effervescence. Et pour cause. Ce laboratoire lyonnais compte désormais parmi ses chercheurs rien de moins qu'un Prix Nobel  ! C'est en effet ici que, depuis 1995, le spécialiste de la catalyse homogène Yves ChauvinYves Chauvin a choisi de poursuivre ses travaux. Et cela n'est pas un hasard car, dans ce laboratoire, la quarantaine de scientifiques étudient, tous, les mécanismes intimes de la catalyse, et en particulier les catalyseurs, ces composés qui ont la propriété d'accélérer une réaction chimique et de l'orienter vers la formation d'un produit plutôt que d'un autre.

    Dans les salles du LCOMS, au troisième étage de l'école supérieure de chimie physique électronique de Lyon, des scientifiques s'affairent justement près de hotteshottes sous lesquelles ils synthétisent de nouveaux composés, tandis que d'autres, les mains engouffrées dans des « boîtes à gants », les greffent sur une surface. Dans une salle un peu plus loin, d'autres encore recueillent des données à la sortie de réacteurs qui leur permettent de suivre ces réactions catalytiques. Mais pourquoi tant d'intérêt pour la catalyse ? « C'est une discipline stratégique pour l'industrie, commente Jean-Marie Basset, directeur et fondateur du LCOMS. PlastiquesPlastiques, médicaments, cosmétiques ou encore carburants, les produits obtenus par ce procédé constituent 30 % du PNB des pays industrialisés. » Parce qu'elle oriente une réaction vers la formation des produits recherchés et réduit voire élimine ceux qui sont indésirables, la catalyse permet d'optimiser les rendements industriels, d'économiser les réactifsréactifs mais aussi de diminuer au maximum les produits nocifs pour l'homme ou l'environnement comme les fumées et autres rejets. Du coup, la catalyse semble être l'un des moyens pour la chimie de devenir plus écologique et de se mettre au service du développement durabledéveloppement durable. « L'objectif du LCOMS est donc de mettre au point des catalyseurs et des procédés catalytiques performants et très sélectifs afin de répondre à ces exigences », poursuit Jean-Marie Basset.

    Dans ce but, les chercheurs ont opté pour une approche originale et transdisciplinaire qui consiste à transférer les connaissances de la catalyse homogène à la catalyse hétérogène. En effet, ils maîtrisent désormais bien le fonctionnement des catalyseurs de la première - les composés organométalliques (COM)(2) - qui sont par définition dissous dans le milieu réactionnel (liquideliquide ou gazeux). En revanche, ceux de la seconde, des catalyseurs solidessolides, sont nettement moins bien compris, et ce sont pourtant ceux qu'on utilise le plus dans l'industrie. L'idée est donc simple : concevoir des catalyseurs solides à partir des composés organométalliques. Concrètement, il s'agit de greffer ces composés sur la surface solide d'oxydes ou de métauxmétaux, et d'étudier leur nouvelle réactivité lorsqu'ils sont ainsi fixés. « La réaction catalytique se produit au niveau des "sites actifssites actifs" du catalyseur. De forme particulière, chaque site ne laisse entrer qu'un type de moléculesmolécules donné, celles qui ont la forme correspondante ; c'est donc une sorte de serrure où une seule clé, la molécule ad hoc, va pouvoir entrer pour être ensuite transformée », explique Christophe Coperet, qui, lui, étudie les COM qu'il fixe sur des oxydes comme la silicesilice.

    Pour suivre, par exemple, cette réaction de greffage et étudier les catalyseurs à l'échelle moléculaire, les chercheurs emploient des outils de caractérisation comme la RMN (3). Le LCOMS possède trois appareils de RMN. Une salle leur est entièrement dédiée. Ces outils très précieux transforment les chercheurs en de véritables architectesarchitectes moléculaires. Ils peuvent ainsi comprendre la structure et la réactivité de leurs catalyseurs et, in fine, améliorer des procédés connus voire découvrir de nouvelles réactions. C'est le cas de Jean Thivolle-Cazat qui, après avoir mis au point un nouveau catalyseur, l'hydrure de TantaleTantale, a découvert la réaction de « métathèse des alcanes » - hydrocarbureshydrocarbures saturés, comme le méthane, l'éthane, le propanepropane et le butane. Par exemple, cette réaction permet de transformer l'éthane, qui possède deux atomesatomes de carbonecarbone, en méthane (un alcane inférieur, à un seul carbone) et propane (un alcane supérieur, à trois carbones). Plutôt inattendu sur le plan fondamental, car ces hydrocarbures sont connus pour être très peu réactifs, ce résultat ouvre par ailleurs des perspectives très prometteuses pour l'industrie pétrolière.

    De nombreux échanges avec l'industrie

    Il en va ainsi au LCOMS : les échanges entre la recherche fondamentale et l'industrie sont particulièrement importants. Pour preuve, les contrats représentent plus des trois quarts de son budget ! Jean-Pierre Candy, lui, par exemple, collabore avec l'Institut français du pétroleInstitut français du pétrole (IFP). À partir de ses travaux sur des COM greffés sur une surface métallique, il a élucidé le mécanisme d'un procédé développé par l'IFP qui élimine le mercuremercure et l'arsenicarsenic présents dans les bruts de pétrole. Le principe est simple : ces métaux lourds, nocifs pour l'environnement et pour les catalyseurs qui transforment le pétrole, réagissent avec la surface métallique du catalyseur pour former un alliagealliage. Du coup, ils se trouvent piégés dans la structure du catalyseur. Le chercheur est même allé plus loin : il a réussi à transposer ce procédé de dépollutiondépollution à l'eau. Ce résultat a déjà donné lieu à deux brevets et est en phase de transfert industriel. Il suscite de l'intérêt et pourrait notamment donner lieu à une applicationapplication à caractère humanitaire dans des régions comme le Bangladesh confrontées aux problèmes de ­pollution de l'eau par ces métaux lourds.

    Force est de constater, comme se plaît à le dire son directeur, que « le LCOMS est un laboratoire de découvreurs », y compris dans le domaine de la catalyse homogène. Émile Kuntz en fait partie. Tout récemment récompensé en 2005 par le prix Chéreau-Lavet - grand prix de l'Académie des technologies, cet ancien ingénieur de Rhône-Poulenc est l'inventeur d'un procédé qui permet de pallier le problème du recyclagerecyclage du catalyseur, qui, par définition, est dissous dans le milieu réactionnel. Pour cela, il a élaboré une molécule très soluble qui maintient les catalyseurs dans l'eau tandis que les produits de la réaction moins misciblesmiscibles forment une couche au-dessus du liquide. Ce procédé, qui permet de séparer le catalyseur du milieu et donc de le récupérer, est l'un des premiers procédés de chimie vertechimie verte développés au niveau mondial.

    Autre grand découvreur désormais célèbre, c'est aussi au LCOMS qu'Yves Chauvin, directeur de recherche émérite, poursuit ses travaux, en collaboration avec Catherine Santini, sur la catalyse homogène en solution ionique. « Personne avant lui n'avait envisagé la catalyse homogène dans un tel milieu, commente Jean-Marie ­Basset. C'est un nouvel axe de recherche prometteur qui intéresse aussi les industriels car il permettrait de réduire les risques d'explosion dans les raffineries. » Et de conclure : « Notre laboratoire doit sa force à de nombreux échanges entre les disciplines telles que la chimie moléculaire, la chimie théorique ou les sciences de surface mais aussi entre chercheurs académiques et chercheurs venus de l'industrie, comme Émile Kuntz et Yves Chauvin. »

    Stéphanie Belaud

    1. Laboratoire CNRS / École supérieure chimie physique électronique (CPE) Lyon / Université Lyon-I.
    2. Ils se caractérisent par une liaison entre un atome de métal et un atome de carbone.
    3. Résonance magnétique nucléaireRésonance magnétique nucléaire.

    Contact

    Jean-Marie Basset
    Laboratoire de chimie organométallique de surface, Villeurbanne
    [email protected]