Du nouveau du côté de la physique nucléaire ! Un groupe de chercheurs japonais vient de créer un isotope géant du carbone dont l’existence n’est rendue possible que grâce à une solution très particulière du problème à trois corps. Il s’agit d’un noyau borroméen de carbone 22.

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    De même qu'il suffit de couper un seul anneau borroméen pour libérer les deux autres, il suffit d'arracher un neutron à un noyau borroméen pour le rendre plus instable. Crédit : Alan Stonebraker

    De même qu'il suffit de couper un seul anneau borroméen pour libérer les deux autres, il suffit d'arracher un neutron à un noyau borroméen pour le rendre plus instable. Crédit : Alan Stonebraker

    A l'heure où on ne parle plus que de particule de matière noirematière noire, de boson de Higgs et de minis trous noirs en accélérateur, on pourrait croire que le domaine de la physique nucléaire est devenu bien morne et que plus grand-chose ne s'y passe. Le temps des pionniers de l'astrophysique nucléaire, comme Geoffrey Burbidge récemment décédé, serait en train de disparaître dans les brumesbrumes du passé au siècle dernier.

    Ce serait une erreur, notamment parce que la physique nucléaire est toujours un des domaines par excellence où les physiciensphysiciens se trouvent confrontés au célèbre problème des N corps. Il s'agit en effet de résoudre les équations de la physique, au moins de façon approximative, pour décrire le comportement de plusieurs corps. Le problème est simple dans le cas de la physique newtonienne avec deux corps mais il devient intraitable de façon rigoureuse avec seulement 3 corps comme Poincaré a été le premier à le montrer.

    Ce problème à N corps existe aussi en physique quantiquephysique quantique et les physiciens y sont confrontés lorsqu'ils cherchent à décrire des solidessolides ou des liquidesliquides comportant un grand nombre de particules mais aussi des noyaux pouvant contenir des dizaines de protonsprotons et neutronsneutrons.

    Il existe plusieurs modèles pour décrire un noyau, comme celui du gazgaz de Fermi, de la goutte liquide, en couches ou encore celui dit collectif de Aage Bohr. On découvrit cependant au cours des années 1980 des noyaux exotiquesexotiques pouvant se ranger dans le cadre du problème des trois corps en mécanique quantiquemécanique quantique où deux particules forment une sorte de halo autour d'un noyau central. Ce sont les noyaux borroméens. Le sens de cette dénomination va bientôt être clair.

    Le symbole de la famille des Borromée

    On sait qu'en mécanique quantique, l'état d'un électronélectron autour d'un noyau est défini par une distribution de probabilité pouvant prendre des formes différentes. Tout se passe comme si le noyau était entouré d'une sorte de nuagenuage de probabilités, présentant des régions de densités variables, plus élevées là où on a davantage de chance de repérer un électron.

    Dans le cas des noyaux borroméens, dont le premier découvert fut le bérylliumbéryllium 14, un noyau central dense est entouré par une sorte de halo peu dense produit par les distributions de probabilité de deux neutrons éloignés. Cette découverte fut une surprise car on pensait que ce genre de noyau devait être très instable. Toutefois, il suffisait d'arracher un seul neutron pour déstabiliser fortement le béryllium 14.

    Or, les fameux nœudsnœuds borroméens, figurant sur les armoiries d'une famille italienne, les Borromée, sont formés d'un entrelac de trois anneaux, qui peut être détruit facilement en en coupant un seul. Voilà pourquoi les physiciens ont qualifié de borroméens les noyaux possédant ce halo deux neutrons, que l'on peut déstabiliser en en retirant un seul... Il s'agit d'un exemple typique de solutions du problème à trois corps en mécanique quantique décrit par ce qu'on appelle un état d'Efimov.

    Aujourd'hui, un tel état d'Efimov a été observé dans un isotopeisotope du carbonecarbone et il s'agit bien d'un noyau borroméen. Le carbone 22 s'ajoute donc à la liste de ces noyaux et la découverte en augure d'autres, peut-être surprenants et peut-être, même, relativement légers.