C’est une des plus grosses missions d’exploration de l’Agence spatiale européenne : découvrir les conditions de vie potentielle sur certaines lunes de la plus grande planète du Système solaire. Le décollage aura lieu dans un an, à partir du 5 avril 2023. Il reste beaucoup à faire, mais la sonde est presque prête. Reportage en salle blanche.


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    Sous le Soleil toulousain en cette belle et fraîche journée du 5 avril 2022, nos guides de l'Agence spatiale européenneAgence spatiale européenne (ESA) et d'Airbus Space nous accueillent et nous préparent à entrer en salle blanche. Désinfection du matériel, on passe blouse, surchaussures et charlotte. Ce n'est pas tous les jours que l'on peut voir une sonde interplanétaire européenne quasiment complète. Nous cheminons entre les satellites en cours d'intégration dans la salle blanche d'Airbus Space, le maître d'œuvremaître d'œuvre de la sonde de l'ESA. En passant entre les salles de tests, nous voyons un satellite de télécommunication en attente d'être plongé dans une gigantesque chambre à vide pour des tests thermiques.

    Enfin nous arrivons devant la salle MistralMistral, la chambre anéchoïque dédiée à des tests d'acoustique et de communication. C'est une grande salle de 15 mètres de haut dont toutes ses faces sont recouvertes de petites pyramides de moussemousse qui avalent toute résonance. La salle est parfaitement insonorisée. JuiceJuice nous y attend.

    La sonde Juice dans la salle de tests de communication d'airbus Space à Toulouse. Plusieurs câbles y sont connectés : les grands câbles blancs servent au refroidissement (la sonde passera sa vie dans l'espace avec une température glaciale), les câbles noirs remplacent les panneaux solaires pour l'alimentation électrique, et il y a aussi un petit câble blanc qui sert à la « <em>purge'</em> » (souffle d'azote liquide) qui restera continuellement connecté à la sonde jusqu'à quelques secondes avant le décollage. La grande toile blanche suspendue au-dessus de la sonde sert de « parapluie à poussière ». © Daniel Chrétien, Futura-Sciences
    La sonde Juice dans la salle de tests de communication d'airbus Space à Toulouse. Plusieurs câbles y sont connectés : les grands câbles blancs servent au refroidissement (la sonde passera sa vie dans l'espace avec une température glaciale), les câbles noirs remplacent les panneaux solaires pour l'alimentation électrique, et il y a aussi un petit câble blanc qui sert à la « purge' » (souffle d'azote liquide) qui restera continuellement connecté à la sonde jusqu'à quelques secondes avant le décollage. La grande toile blanche suspendue au-dessus de la sonde sert de « parapluie à poussière ». © Daniel Chrétien, Futura-Sciences

    La sonde est quasiment complète. Il manque juste les panneaux solaires, ils seront joints un peu plus tard, après plusieurs tests. Juice doit être prête à partir pour Kourou en janvier 2023, pour une campagne de tirs au Centre spatial guyanais qui durera trois mois. Enfin, la sonde décollera à bord de la toute dernière fuséefusée Ariane 5, à partir du 5 avril 2023.

    Une longue série de tests à Toulouse

    À notre arrivée, Juice sortait d'une série de tests de communication dans la salle Mistral. Airbus Space et l'ESA simulaient des communications entre la sonde et le Centre des opérations à Darmstadt en Allemagne, l'ESOC, d'où elle sera pilotée. Thibault Ravily, ingénieur chez Airbus Space depuis près de dix ans, a rejoint l'aventure Juice en avril 2019 comme Test Manager. Il atteste que ces derniers tests se sont déroulés avec succès.

    Thibault Ravily, ingénieur airbus Space, a rejoint l'équipe Juice depuis trois ans et s'occupe de tests sur la sonde. © Daniel Chrétien, Futura-Sciences
    Thibault Ravily, ingénieur airbus Space, a rejoint l'équipe Juice depuis trois ans et s'occupe de tests sur la sonde. © Daniel Chrétien, Futura-Sciences

    Juice va encore rester quelque temps dans la salle Mistral pour de nouveaux tests d'interférences. Pendant trois semaines, Thibault Ravily et les ingénieurs d'Airbus vont désormais faire des essais de compatibilitécompatibilité électronique de la sonde, ainsi que sa compatibilité avec Ariane 5Ariane 5. « On place des antennes à des endroits précis - dans la salle - donnés par ArianespaceArianespace, puis on mesure des niveaux électromagnétiques », explique Thibault Ravily, pour s'assurer que la sonde et le lanceurlanceur ne se perturbent pas l'un l'autre.

    Sont encore à venir des tests d'autocompatibilité, c'est-à-dire de cohérence entre la sonde et ses instruments scientifiques. Également au programme, de nouveaux tests thermiques dans une chambre à vide. La sonde en a déjà passé auparavant, mais pas quand elle était complète. Les tests peuvent être longs, et nécessitent régulièrement qu'on y travaille 24h/24, avec des relais des équipes. Le projet Juice à lui seul devrait réunir un consortium d'un millier de personnes.

    On ne voit qu'elle, la grande antenne haute gain de Juice, qui servira au transfert des données, accompagnée à gauche d'une plus petite parabole qui est l'antenne à gain moyen fixée au bout d'un bras extensible. Le long mât de 16 mètres, soutenu par des piliers blancs, qui se prolonge aussi de l'autre côté de la sonde est l'antenne radar Rime. Cette dernière servira à sonder la sous-surface des lunes glacées jusqu'à une profondeur de 9 kilomètres et aussi à confirmer la présence d'océans sous la glace des lunes. © Daniel Chrétien, Futura-Sciences
    On ne voit qu'elle, la grande antenne haute gain de Juice, qui servira au transfert des données, accompagnée à gauche d'une plus petite parabole qui est l'antenne à gain moyen fixée au bout d'un bras extensible. Le long mât de 16 mètres, soutenu par des piliers blancs, qui se prolonge aussi de l'autre côté de la sonde est l'antenne radar Rime. Cette dernière servira à sonder la sous-surface des lunes glacées jusqu'à une profondeur de 9 kilomètres et aussi à confirmer la présence d'océans sous la glace des lunes. © Daniel Chrétien, Futura-Sciences

    La sonde est complètement intégrée à l’exception des panneaux solaires

    La structure de la plateforme satellite avait été reçue en 2019. Petit à petit, Airbus Space y a joint tous les sous-systèmes nécessaires à son bon fonctionnement : navigation, propulsion, câblage, etc. Beaucoup de sous-systèmes et d'équipements proviennent de fournisseurs externes à Airbus Space, dont certains sont basés à Toulouse. Comme Juice est une mission européenne, l'ESA s'est assurée que le retour géographique soit respecté.

    Ce n'était pas une mince affaire pour Airbus Space de synchroniser l'intégration de chacun de ces composants. Chacun avait été testé auparavant, dont même un en observatoire. C'est le cas de la NavCam, la caméra de navigation de Juice, qui l'aide à se repérer par rapport à la position des luneslunes de JupiterJupiter ou des astresastres que survolera la sonde en chemin. NavCam avait été testée avec la Lune depuis l'observatoire du Pic du Midi.

    La sonde Juice dans la salle de tests de communication d'airbus Space à Toulouse. Plusieurs câbles y sont connectés : les grands câbles blancs servent au refroidissement (la sonde passera sa vie dans l'espace avec une température glaciale), les câbles noirs remplacent les panneaux solaires pour l'alimentation électrique, et il y a aussi un petit câble blanc qui sert à la « <em>purge'</em> » (souffle d'azote liquide) qui restera continuellement connecté à la sonde jusqu'à quelques secondes avant le décollage. La grande toile blanche suspendue au-dessus de la sonde sert de « parapluie à poussière ». © Daniel Chrétien, Futura-Sciences
    La sonde Juice dans la salle anéchoïque Mistral, petite visite entre deux tests de communication. © Daniel Chrétien, Futura

    Quasiment tout est en double, notamment l'ordinateurordinateur de bord, dans lequel « chacun des composants a été monté en double », précise Thibault Ravily. Côté propulsion, seule la tuyèretuyère du moteur principal est unique. Toutes les autres tuyères des moteurs d'appoint ont été montées en double, pour plus de sécurité. Pour l'orientation générale, la sonde est équipée d'un traqueur d'étoileétoile supplémentaire. Il en faut un premier pour déterminer un axe et un autre pour déterminer un plan pour que la sonde connaisse l'orientation de ses trois axes de rotation (à l'instar du trio tangage-roulis-lacet en aviation). Juice en a donc un troisième de secours. La redondance des équipements est primordiale pour ce genre de mission.

    Le timing est bon !

    Une fois la plateforme satellite de la sonde complète, l'ESA l'a envoyée au Centre européen de recherche et de technologie spatiales, l'Estec, pour lui faire passer de longs tests thermiques dans une chambre à vide. Ensuite, la sonde a été transférée en 2021 à Toulouse pour l'intégration des dix instruments scientifiques. Plus précisément, ce sont les modèles de vol des instruments qui ont remplacé les modèles de tests. Après cette phase de tests de l'ensemble de la sonde, il ne restera plus qu'à intégrer les panneaux solaires et tester leur déploiement avant d'envoyer le tout à Kourou. « Le timing est bon ! », nous assure Thibault Ravily.

    La sonde passera encore quelques semaines dans cette salle pour des tests d'autocompatibilité, pour s'assurer que les équipements et les instruments scientifiques ne se gênent pas entre eux. © Daniel Chrétien, Futura-Sciences
    La sonde passera encore quelques semaines dans cette salle pour des tests d'autocompatibilité, pour s'assurer que les équipements et les instruments scientifiques ne se gênent pas entre eux. © Daniel Chrétien, Futura-Sciences

    Nouveau plan de vol

    C'est une grande nouveauté pour la mission. Initialement, Juice devait partir plus tôt, mais les retards notamment liés à la crise sanitairecrise sanitaire ont forcé l'ESA à décaler le vol à 2023. Les équipes se sont rendu compte qu'il y a une magnifique option pour « gagner du temps et de l'énergieénergie » en la faisant décoller au printemps, nous indique Manuela Baroni, responsable AIT et interface lanceur Juice à l'ESA.

    Au programme, de nombreux survolssurvols de planètes du Système solaireSystème solaire avant d'arriver dans le système jovienjovien. Ces survols permettent d'utiliser la gravitégravité des planètes comme accélérateur pour avoir la vitessevitesse suffisante pour rejoindre Jupiter en dépensant un minimum de carburant.

    La fenêtrefenêtre de tir dure quelques semaines et commence le 5 avril 2023. Pendant plus d'un an, Juice fera une révolution autour du Soleil avant de survoler une première fois la Terre en août 2024. Mais juste avant, la sonde va également utiliser la Lune comme assistante gravitationnelle, ce qui n'est vraiment pas commun.

    S'ensuivra un survol de VénusVénus en août 2025. À cette occasion, les équipes de Juice testeront leurs instruments scientifiques. Après cela, la sonde survolera encore la Terre deux fois, en septembre 2026 et en août 2029. Elle aura alors assez de vitesse pour rejoindre Jupiter en juillet 2031.

    La mission commencera par un premier survol de Ganymède, puis la sonde prendra le temps de réduire son orbiteorbite autour de Jupiter. En juillet 2032, Juice survolera une première fois la première lune glacée de Jupiter, Europe. La lune ne sera pas trop étudiée par Juice car la NasaNasa a prévu d'y envoyer la sonde Europa Clipper à partir de 2024. Quant à la dernière lune glacée CallistoCallisto, il a été prévu d'y faire 21 survols.

    Pour finir, en décembre 2034, Juice se mettra en orbite autour de GanymèdeGanymède et tournera autour jusqu'à fin 2035, où l'on décidera de crasher la sonde à sa surface. La mission sera officiellement terminée en 2038, avec l'archivagearchivage des données.

    Voyage de la sonde Juice et visite du système jovien. © ESA, YouTube

    Une mission aux objectifs inédits

    En réalité, ce n'est pas l'ESA qui est à l'origine du projet mais l'agence a toujours rêvé d'une mission vers Jupiter. Le projet remonte au programme Laplace, une mission commune entre la Nasa et l'ESA. Finalement, la mission s'est décomposée en deux : Europa ClipperEuropa Clipper côté Nasa et Juice côté européen à travers le programme Vision Cosmique de l'ESA. Le projet Juice est adopté par l'agence en 2012. Aujourd'hui, cette mission fantastique coûtera au total près de 1,7 milliard d'euros.

    La sonde Juice (JUpiter ICy moons Explorer) aidera à répondre à deux objectifs : fournir des données sur les environnements des lunes glacées de Jupiter potentiellement capables d'accueillir de la vie extraterrestre. Les données sur Ganymède serviront beaucoup pour cela. Le second objectif est d'observer le système solaire jovien « comme un Système solaire miniaturisé », précise Manuela Baroni, afin d'en savoir plus notamment sur la formation de notre Système planétaire.

    Le projet Juice a également un autre objectif qui n'est pas vraiment scientifique : tester le développement de nouvelles technologies servant à l'étude de près des lunes de Jupiter en dépit de leur forte distance avec la Terre. Ce développement pourra servir à des missions ultérieures beaucoup plus ambitieuses, comme le vol habité interplanétaire. Comme aime bien le dire Manuela Baroni : « L'Homme a toujours été un explorateur ! »

    Manuela Baroni devant sa sonde Juice. Responsable AIT (intégration) et interface lanceur Juice à l'ESA, elle a également travaillé sur la sonde européenne Gaia. © Daniel Chrétien, Futura-Sciences
    Manuela Baroni devant sa sonde Juice. Responsable AIT (intégration) et interface lanceur Juice à l'ESA, elle a également travaillé sur la sonde européenne Gaia. © Daniel Chrétien, Futura-Sciences