Les ethnologues et les archéologues recourent souvent à l’analyse d’ADN pour vérifier la parenté entre les peuples. Une nouvelle étude suggère que la musique, composante culturelle universelle, pourrait également faire office de marqueur afin de retracer l’histoire humaine, par exemple celle des migrations.

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    Nous sommes tous frères. Ou du moins parents éloignés. Mais depuis les nombreux millénaires qui nous séparent du dernier ancêtre communancêtre commun à tous les Hommes vivant aujourd'hui, il s'est passé de nombreuses histoires. Certains de nos aïeuls ont migré depuis l’Afrique, sont partis dans un sens, ou revenus dans l'autre, ont croisé des peuples établis là avant eux, ont échangé des objets, leur culture et leurs gènesgènes. Par différents indices, les archéologues et les ethnologues essaient de retracer les grandes lignes de ce passé. Et l'un des meilleurs outils reste l'ADN, car il se conserve plutôt bien au cours de l'évolution et permet de remonter la lignée maternelle et paternelle, et de voir et dater d'éventuels mélanges.

    Mais il ne constitue pas le seul indice que les spécialistes peuvent utiliser. Une étude menée par Steven Brown, de l'université McMaster (Hamilton, Canada), révèle que la musique, élément culturel universel, pourrait devenir un marqueur fiable de l'histoire humaine au même titre que le langage. Des résultats accessibles dans la revue Proceedings of the Royal Society B.

    Coévolution entre musique et gènes

    Cette recherche a été menée auprès de neuf ethnies vivant depuis des siècles sur l'île de Taïwan. Pourquoi s'intéresser aux Atayals, aux Bununs et autres Puyumas ? Car ces peuples, bien que voisins, sont assez isolés géographiquement, et depuis les années 1920, leur musique a été bien étudiée par les ethnomusicologues. D'autre part, leur langue est bien connue et deux travaux récents viennent de présenter certaines séquences de leur ADN mitochondrial.

    Il existe 14 peuples indigènes à Taïwan, et chacun a développé sa propre musique, à partir de bases communes, avec notamment des instruments qui n'existent pas dans la culture occidentale. Mais les divergences entre les chants traditionnels peuvent révéler la distance génétique qui sépare chaque tribu. © Bernard Gagnon, Wikipédia, cc by sa 3.0

    Il existe 14 peuples indigènes à Taïwan, et chacun a développé sa propre musique, à partir de bases communes, avec notamment des instruments qui n'existent pas dans la culture occidentale. Mais les divergences entre les chants traditionnels peuvent révéler la distance génétique qui sépare chaque tribu. © Bernard Gagnon, Wikipédia, cc by sa 3.0

    Leur objectif consistait à étudier d'éventuelles corrélations entre la musique et les gènes, pour voir si la musique peut être définie comme un marqueur de la structure d'une population humaine. Ils ont donc décrypté 220 chansons traditionnelles de ces peuples, le plus souvent rituelles, et composées de chœurs, en les décomposant en 41 caractères (tempo, rythme, texte, etc.), à l'aide de deux logicielslogiciels spécialisés. En parallèle, ils disposaient de 1.050 séquences génétiquesgénétiques provenant d'hommes et de femmes de ces tribus.

    Les statistiques ont parlé : il existe bien une corrélation entre la musique et les gènes chez ces ethnies taïwanaises. Autrement dit, il y a comme une coévolution de la génétique et de la structure musicale : bien que ces peuples partagent des ancêtres communs, au fur et à mesure que les contacts ont diminué, l'ADN s'est transformé, de la même façon que la musique a acquis ses propres caractéristiques et s'est accompagnée de ses innovations singulières.

    La musique pour retracer la parenté entre les ethnies

    Que tirer de ces données ? Qu'il devient possible de déterminer les grandes lignes de l'histoire de certaines ethnies à travers la seule étude du quatrième art. Les différences entre leur conception de la musique constitue un indice aussi efficace que les divergences dans les langues. Et dans ce cas de figure, les peuplades taïwanaises étudiées ont un réel intérêt scientifique, car on suppose que la région a fait office de point de départ de grandes migrations humaines à travers le Pacifique, et ont donné naissance aux populations aux langues austronésiennes.

    En revanche, aussi intéressante que soit la démarche, elle ne peut pas, à la différence de l'ADNADN, s'appliquer pour les peuples disparus, à moins de disposer de traces concrètes de leurs chantschants rituels. Mais cela pourrait devenir un outil pour les ethnologues, leur fournissant des indices culturels afin d'établir la parenté entre des populations isolées les unes des autres.