Un an après des fouilles archéologiques du côté de la cathédrale de Strasbourg effectuées par des chercheurs de l’Inrap, deux fresques romaines restaurées sont présentées au public. Elles sont à admirer au sein de l’exposition Un art de l’illusion, peintures romaines en Alsace, jusqu’au 31 août prochain.

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    Vue panoramique des bâtiments entourant la place du Château à Strasbourg, en 2012. Le cliché est pris depuis la cathédrale, vers le sud. Au premier plan, l'opération archéologique ; à l'arrière-plan, sur la gauche, l'avancée d'un suivi de réseau. © Inrap

    Vue panoramique des bâtiments entourant la place du Château à Strasbourg, en 2012. Le cliché est pris depuis la cathédrale, vers le sud. Au premier plan, l'opération archéologique ; à l'arrière-plan, sur la gauche, l'avancée d'un suivi de réseau. © Inrap

    Situé au cœur d'un centre historique classé au Patrimoine mondial de l'humanité, le chantier archéologique de la place du Château à Strasbourg, mené sur prescription de l'État (Drac Alsace) par une équipe de l'Inrap, s'est déroulé de juillet à octobre 2012. Cette fouille a livré deux fresques romaines. Grâce à la coordination des services de l'État, de la Communauté urbaine de Strasbourg, du Musée archéologique de Strasbourg, de l'Inrap et du Centre d'études des peintures murales romaines de Soissons, ces deux peintures, déjà restaurées, sont présentées au public.

    L'actuelle place du Château se situe dans la partie du camp de la VIIIe légion romaine, dite Auguste, la praetentura, qui abrite, entre autres, les maisons des six tribuns de la légion et les baraquements d'une ou de plusieurs cohortescohortes, qui remontent au premier siècle de notre ère. Parmi de nombreuses découvertes, la fouille archéologique a permis de mettre au jour plusieurs mursmurs. Une des cloisons, effondrée d'un seul tenant, portait de chaque côté une peinture murale d'une grande qualité. Ces deux peintures ornaient donc les murs de deux pièces attenantes. Après un prélèvement minutieux et leur restauration, les deux enduits peints sont exposés au Musée archéologique de Strasbourg, et s'intègrent parfaitement dans l'exposition en cours Un art de l'illusion, peintures romaines en Alsace.

    Peinture murale découverte lors de l’exploration d’une tranchée sur la place du Château, à Strasbourg, après son prélèvement et avant son transfert au laboratoire pour nettoyage. Elle représente des colonnes et un panneau encadrant une femme debout, coiffée d’une tresse. © Heidi Ciccuta, Inrap

    Peinture murale découverte lors de l’exploration d’une tranchée sur la place du Château, à Strasbourg, après son prélèvement et avant son transfert au laboratoire pour nettoyage. Elle représente des colonnes et un panneau encadrant une femme debout, coiffée d’une tresse. © Heidi Ciccuta, Inrap

    Une figuration mystérieuse sur des fresques romaines

    La première peinture affiche une guirlande rouge accrochée par un nœud vert au cadre rouge et noir d'un panneau blanc. Ce motif, fréquent dans l'iconographie antique, devait être répété sur le mur de la pièce.

    Le deuxième enduit peint présente un personnage debout dans une architecture fictive, composée d'une colonnade et d'un édiculeédicule à fronton qui lui sert d'écrin. Tel un front de scène, ce décor théâtralise la paroi. Aucune inscription n'accompagne le personnage, rendant son identification incertaine. Il a pour seul vêtement un manteaumanteau qui lui laisse l'épaule droite dénudée, attitude bien connue du philosophe. Toutefois, il n'est pas barbu et tient dans sa main droite un objet s'apparentant au pédum, bâton qui servait au berger à crocheter les pattes de ses chèvres pour les attraper. Quant à l'attribut tenu par la main gauche, il pourrait s'agir d'un bâton de pèlerin, mais son aspect sinueux évoque aussi un serpent saisi par la queue, dont la gueule béante s'apprête à mordre le gros orteilgros orteil gauche du personnage. 

    Plusieurs schémas iconographiques sont donc présents : le peintre ne nomme pas, fait appel à la mémoire collective et préfère l'allusion à l'explication. Le décor de la pièce dans son ensemble devait livrer les clés de l'interprétation.

    Vue de la fouille située au sud de la cathédrale de Strasbourg, en 2012. Les niveaux de circulation foulés par les bâtisseurs de la cathédrale, érigée entre les XII<sup>e</sup> et XV<sup>e</sup> siècles, ont été dégagés. Outre la taille de pierre, d'autres activités sont attestées : forge, gâchage, réalisation de vitraux, etc. © Denis Gliksman, Inrap

    Vue de la fouille située au sud de la cathédrale de Strasbourg, en 2012. Les niveaux de circulation foulés par les bâtisseurs de la cathédrale, érigée entre les XIIe et XVe siècles, ont été dégagés. Outre la taille de pierre, d'autres activités sont attestées : forge, gâchage, réalisation de vitraux, etc. © Denis Gliksman, Inrap

    Une probable représentation de Démétrios de Phalère ?

    Deux graffitis accompagnent ce personnage : Demetrius [...] usso et Cassio [salvete bibet, pourrait être traduit par « Démétrios boira » ou « trinquera sainement à toi avec [...] ussus et Cassius ». À cette formule répond la deuxième inscription : Demetrius filosopus et caldas (aquasaquas) ol(l)a bibet, qui peut être traduite par « Démétrios le philosophe boira même le bouillon à la marmite », façon sans doute de trinquer sainement. Inscrits par deux mains différentes, les graffitis fonctionneraient comme une réponse du second au premier, ou comme une surenchère. Le peintre n'a peut-être pas voulu figurer le philosophe Démétrios, mais cette représentation inspira ce nom aux deux spectateurs.

    S'agirait-il de Démétrios de Phalère ? Ce chef d'État athénien du IVe siècle avant notre ère, éloquent orateur, mourut d'une morsure de serpent lors de son exil en Égypte. Le choix du thème iconographique, le personnage et les inscriptions indiquent en tout cas que le propriétaire des lieux, peut-être un des tribuns de la légion, appartenait à une classe sociale élevée et cultivée.

    Fresque à plusieurs niveaux de lecture

    Plusieurs niveaux de lecture sont donc possibles. Le premier concerne le thème iconographique demandé au peintre : il peut s'insérer dans un programme décoratif bien précis, par exemple une galerie de portraits de philosophes. Les graffitis permettent une deuxième lecture, basée sur l'interprétation du personnage par les auteurs (qui voient tout le décor et connaissent l'identité du propriétaire). Enfin, le dernier niveau de compréhension est celui du contemporain, tentant d'interpréter le plus justement possible cette figuration. 

    La place du Château est un site emblématique de Strasbourg et de son histoire. Bordant le côté sud de la cathédrale, elle est entourée de bâtiments de qualité, édifiés au fil des siècles. À l'époque du « tout automobileautomobile », elle est transformée en parking. En 2010, la place est restituée aux piétons et un premier projet est élaboré. Il vise à faire de l'espace un lieu d'agrément, à révéler les monuments qui en constituent le cadre -- et en premier lieu la cathédrale de Strasbourg --, à offrir des perspectives d'ensemble et à valoriser les cinq musées de la place. Les travaux de fouille n'ont occasionné aucun retard : ouverts durant l'été 2012, les travaux de réaménagement de la place s'achèveront en septembre 2013.