En 2016, l'Institut national roumain de physique et d'ingénierie nucléaire Horia Hulubei commandait au groupe français Thales le laser le plus puissant au monde ! D’une taille de 2.400 m² et avec une consommation électrique de quelque 300 kW, il avait été développé avec l'objectif d'une puissance de 2x10 pétawatts, soit 20 millions de milliards de watts. C'est aujourd'hui chose faite. Ce système laser ultra-intense a livré avec succès ses premières impulsions d’une puissance crête de 10 pétawatts ! Un record mondial. François Lureau, chef de projet de ce système laser, répond à nos questions.


au sommaire


    Le laser ultra-intense de Thales dont nous vous avions annoncé, en septembre 2016, la réalisation dans le cadre du programme de recherche européen ELI-NP (Extreme Light Infrastructure for Nuclear Physics) est devenu le plus puissant au monde avec une puissance record de 10 pétawatts. Soit 10.000.000.000.000.000 watts !

    Trois années auront été nécessaires à Thales et à l'Institut national roumain de physique et d'ingénierie nucléaire Horia Hulubei (Roumanie) pour atteindre cette puissance. En 2018, ce laser était déjà capable de générer deux faisceaux de 3 pétawatts. Après la démonstration d'un faisceau délivrant des impulsions de 7 pétawatts pendant plus de quatre heures de fonctionnement en continu, le système Thales a délivré, le 7 mars 2019, ses premières impulsions avec la puissance record de 10 pétawatts.

    Au-delà de la performance technologique, cette avancée bénéficiera à l'institut roumain de physique nucléaire, associé au projet ELI-NP. Ce système laser, dédié à la physique expérimentale et la recherche fondamentale, ouvre de nouvelles perspectives dans les domaines de la physique nucléaire, de la physique de la matière et la compréhension de la création de l'univers.

    L'un des objectifs scientifiques premiers est de produire un laser suffisamment puissant pour créer un minuscule point d'énergieénergie concentrée similaire à celui qui contenait l'univers au moment du Big BangBig Bang. Cela permettrait aux scientifiques d'envisager la création de matière à partir du vide, ce qui correspond au processus que l'on suppose à l'origine de la formation de l'univers. Autre exemple, on s'attend à des percées dans les projets de réduction de la radioactivitéradioactivité des déchets nucléairesdéchets nucléaires.

    Le système laser de Thales, le plus puissant au monde. Il est installé à l'Institut national roumain de physique et d'ingénierie nucléaire Horia Hulubei, dans une salle blanche d’environ 2.400 m² dont l’environnement est maîtrisé en température et humidité pour garantir une bonne stabilité des performances. © Thales
    Le système laser de Thales, le plus puissant au monde. Il est installé à l'Institut national roumain de physique et d'ingénierie nucléaire Horia Hulubei, dans une salle blanche d’environ 2.400 m² dont l’environnement est maîtrisé en température et humidité pour garantir une bonne stabilité des performances. © Thales

    François Lureau, chef de projet de ce système laser, répond de nouveau à nos questions. Des réponses très techniques qui raviront les plus pointus d'entre vous.

    Comment est produite l'énergie nécessaire à ce laser et quelle quantité d'énergie est nécessaire pour générer ces 10 pétawatts ?

    François Lureau : Les lasers ultra-intenses de Thales utilisent la technique du CPA (Chirped Pulse Amplification ou Amplification par dérive de fréquencefréquence) inventée par Gérard Mourou et Donna Strickland, prix Nobel de Physique 2018, qui permet l'amplification d'une impulsion ultracourte étirée spectralement et temporellement au préalable. Une impulsion laser de quelques fs (10-15 s) est étirée en utilisant un jeu de réseaux de diffractiondiffraction jusqu'à plusieurs (10-12 s) voire ns (10-9 s). Ensuite, cette impulsion est amplifiée au travers d'un ou plusieurs étages afin d'augmenter l'énergie de l'impulsion laser. Ces étages d'amplification sont généralement construits avec un ou plusieurs autres lasers, appelés lasers de pompe, qui émettent de la lumièrelumière verte et avec des cristaux de Ti :Sa, le milieu actif qui a la propriété d'absorber cette lumière et de stocker l'énergie qu'elle transporte.

    Cette énergie stockée est ainsi restituée au faisceau que l'on souhaite amplifier, en traversant une ou plusieurs fois le milieu actif. Une fois le niveau d'énergie souhaité atteint, l'impulsion étirée est compressée à quelques dizaines de fs au travers d'un compresseur construit avec des réseaux optiques et placés sous vide, générant ainsi un faisceau de puissance crête de plusieurs centaines de TW (10+12 W) jusqu'à plusieurs PW (10+15 W), la puissance crête étant le ratio entre l'énergie et la duréedurée d'impulsion.

    Ainsi, le laser Thales pour ELI-NP installé en Roumanie a généré des impulsions avec une énergie de 330 J avant compression, notamment grâce à l'utilisation d'un laser de pompe développé par Thales pour le projet roumain, l'Atlas 100 et la mise en œuvre d'un cristal de Ti :Sa de 200 mm de diamètre, le plus large composant de ce type jamais produit. Considérant l'efficacité du compresseur de 74 %, c'est-à-dire le pourcentage d'énergie réfléchie par le dispositif optique, et la durée d'impulsion mesurée à 23 fs, la puissance crête délivrée par le système laser est supérieure à 10 PW (330x74%/23).

    Quelle est la suite du programme ?

    François Lureau : La suite du programme consistera à démontrer le même niveau de performance avec le deuxième faisceau laser, le système Thales étant constitué de deux faisceaux laser de 10 pétawatts, mais aussi à installer le système de transport des deux faisceaux 10 PW vers les chambres d'expérimentation, dont la réalisation a été confiée à Thales fin 2017 par l'IFIN-HH, l'institut de physique nucléaire roumain en charge du programme ELI-NP et dirigé par le Pr Zamfir.

    Ce laser peut-il atteindre une puissance supérieure à 10 pétawatts ?

    François Lureau : Thales s'appuie sur une expérience de plus de 30 ans et un catalogue de produits qui ont déjà permis de construire deux systèmes laser de puissance supérieure à 1PW : le laser Bella installé en Californie au prestigieux Lawrence Berkeley National Laboratory et le laser Cetal installé en Roumanie à l'INFLPR.

    Pour atteindre la puissance record de 10 PW, Thales a développé un nouveau laser de pompe Atlas 100 basé sur des technologies et composants existants mais intégrés de façon ingénieuse et innovante. Thales a également mis en place avec ses partenaires clés des programmes de développement spécifiques pour fabriquer des composants critiques à des dimensions encore jamais atteintes, dont un cristal de Ti :Sa de 200 mm. La performance obtenue en Roumanie est le résultat de travaux d'ingénierie permettant de pousser les technologies, de façon astucieuse, vers leurs limites mais sans les atteindre. Le système a probablement la capacité de délivrer un peu plus de puissance mais pas d'un ordre grandeur, cette puissance record offre déjà aux utilisateurs et expérimentateurs de nouvelles perspectives dans l'exploration de l'interaction laser matière.


    Le laser le plus puissant au monde s'installe en Roumanie

    Article de Rémy DecourtRémy Decourt, publié le 26/09/2016

    L'institut national roumain de Physique et d'ingénierie nucléaire Horia Hulubei a commandé au groupe français Thales le laser le plus puissant au monde ! D'une taille de 2.400 m² et avec une consommation électrique de quelque 300 kW, il délivrera une puissance de 2x10 petawatts, soit 20 millions de milliards de watts. Il est destiné à la recherche en astrophysiqueastrophysique et à la recherche appliquée en science de la matière, matière nucléaire et sciences de la vie. Franck Leibreich, directeur de l'activité laser chez Thales et François Lureau, chef de projet, répondent à nos questions.

    Les observatoires terrestres et spatiaux ne sont pas les seuls outils à la disposition des astronomesastronomes pour comprendre l'univers. Les lasers sont également utilisés. Si l'utilisation la plus connue consiste à générer des étoiles laser, ils servent également à mener des recherches sur le noyau des atomesatomes, par la génération de particules (électronsélectrons et/ou protonsprotons) hautement énergétiques (plusieurs GeVGeV), afin de mieux comprendre comment les éléments chimiqueséléments chimiques se forment à l'intérieur des étoilesétoiles.

    Dans le cadre du programme de recherche européen Extreme Light Infrastructure for Nuclear Physics (ELI-NP), l'institut national roumain de Physique et d'ingénierie nucléaire Horia Hulubei (IFIN-HH) a commandé au groupe français Thales deux lasers de 10 petawatts pour la recherche fondamentale sur le noyau des atomes.

    Lorsqu'ils entreront en service, « ces deux lasers seront les plus puissants au monde », nous explique Franck Leibreich, directeur de l'activité laser chez Thales. Ensemble, ils vont « permettre d'explorer la matière, recréer les conditions et comprendre la création de l'univers, ce qui n'est pas possible aujourd'hui ». L'un des objectifs scientifiques premiers est de produire un laser suffisamment puissant pour créer un minuscule point d'énergie concentrée similaire à celui qui contenait l'univers au moment du Big Bang. Le chemin est encore long, mais si cet objectif est atteint, cela permettrait aux scientifiques « d'envisager la création de matière à partir du vide, ce qui correspond au processus que l'on suppose à l'origine de la formation de l'univers ».

     Sur Mars, le rover Curiosity utilise également un laser pour déterminer la composition élémentaire des roches. Ce laser, à bord de l’instrument Chemcam, a été fabriqué par le groupe français Thales, qui travaille actuellement sur un modèle amélioré pour le rover Mars 2020. Il s'agit du premier laser jamais envoyé sur une autre planète. © Nasa, JP et J.L. Labour pour la vue d'artiste
    Sur Mars, le rover Curiosity utilise également un laser pour déterminer la composition élémentaire des roches. Ce laser, à bord de l’instrument Chemcam, a été fabriqué par le groupe français Thales, qui travaille actuellement sur un modèle amélioré pour le rover Mars 2020. Il s'agit du premier laser jamais envoyé sur une autre planète. © Nasa, JP et J.L. Labour pour la vue d'artiste

    Ces lasers seront également « utilisés dans d'autres domaines scientifiques que ceux de la physique de la matière et de la physique nucléaire », précise Franck Leibreich. Des applicationsapplications médicales sont attendues dans le traitement du cancercancer ou en ophtalmologieophtalmologie. « La création de protons présente un intérêt tout particulier en médecine, avec la protonthérapie utilisée pour traiter certaines tumeurstumeurs. » Cette technologie basée sur des accélérateurs de particules conventionnels est peu développée dans le monde et très coûteuse. Une solution basée sur un système laser permettrait de construire des centres de traitement à moindres coûts et de rendre accessibles à plus de patients ce type de traitement.

    À terme, ces « lasers surpuissants ont vocation à remplacer les accélérateurs de particules conventionnels, type CernCern, volumineux et prohibitif en termes de coût de constructionconstruction et d'exploitation », conclut Franck Leibreich.

    Vue d'artiste du futur site du laser le plus puissant au monde (de 2x10 petawatts, soit 20 millions de milliards de watts) sur le site d’ELI-NP, en Roumanie. Il devrait être mis en service en 2018. © Thales, IFIN-HH
    Vue d'artiste du futur site du laser le plus puissant au monde (de 2x10 petawatts, soit 20 millions de milliards de watts) sur le site d’ELI-NP, en Roumanie. Il devrait être mis en service en 2018. © Thales, IFIN-HH

    François Lureau, chef de projet système laser pour le programme de recherche européen ELI-NP, répond à nos questions.

    Comment fabrique-t-on le laser le plus puissant au monde ?

    François Lureau : À Thales, le laser c'est aujourd'hui plus de 30 ans d'expertise et de savoir-faire dans le développement de systèmes laser pour différentes applications comme la science, l'industrie mais aussi le spatial. Ses compétences en ingénierie pour développer des systèmes complexes et sa connaissance des technologies laser permettent à Thales de maîtriser toutes les étapes d'une chaîne laser ultra-intense, de la création de l'impulsion à sa compression en une durée ultracourte, en passant par l'amplification de cette impulsion.

    Quel est le principe de fonctionnement de ce futur laser ?

    François Lureau : Nos lasers ultra-intenses utilisent la technique du CPA (Chirped Pulse Amplification par Dérive de Fréquence) inventée par Gérard Mourou, scientifique français, qui permet l'amplification d'une impulsion ultracourte étirée spectralement et temporellement au préalable. Une impulsion laser de quelques femtosecondesfemtosecondes (10-15 s) est étirée en utilisant un jeu de réseaux de diffraction jusqu'à plusieurs picosecondespicosecondes (10-12 s) voire nanosecondes (10-9 s). Ensuite, cette impulsion est amplifiée au travers d'un ou plusieurs étages afin d'augmenter l'énergie de l'impulsion laser.

    Ces étages d'amplification sont généralement construits avec un ou plusieurs autres lasers, appelés lasers de pompe, qui émettent de la lumière verte et avec des cristaux de Ti : Sa, le milieu actif qui a la propriété d'absorber cette lumière et de stocker l'énergie qu'elle transporte. Cette énergie stockée est ainsi restituée au faisceau que l'on souhaite amplifier, en traversant une ou plusieurs fois le milieu actif. Une fois le niveau d'énergie souhaitée atteint, l'impulsion étirée est compressée à quelques dizaines de femtosecondes au travers d'un compresseur construit avec des réseaux optiques et placés sous vide, générant ainsi un faisceau de puissance crête de plusieurs centaines de TW (10+12W) jusqu'à plusieurs PW (10+15W, la puissance crête étant le ratio entre l'énergie et la durée d'impulsion). 

    Quelles sont les principales difficultés pour sa mise au point ? 

    François Lureau : Les éléments clés sont tout d'abord la création d'une impulsion de très bonne qualité, c'est-à-dire avec un excellent rapport signal sur bruit. Cette étape nécessite la mise en œuvre de différentes techniques complexes de mise en forme d'impulsions basées principalement sur des principes d'optique non linéaire.

    Cette impulsion doit être amplifiée en utilisant d'autres systèmes laser, que l'on appelle lasers de pompe. Ces lasers de pompe doivent être très homogènes en termes de distribution spatiale d'énergie et de stabilité. Thales produit et maîtrise ses propres lasers de pompe intégrés dans le système laser ce qui permet d'avoir le contrôle complet de la chaîne laser.

    Ces deux éléments, la qualité de l'impulsion à amplifier et la qualité des lasers de pompes (48 pour ce laser de 2x10 PW), sont essentiels pour atteindre la performance finale. Certains composants sont des éléments critiques par leur taille comme les cristaux de Ti : Sa et les réseaux de diffraction.

    S’agit-il d’un laser de type nouvelle technologie ou d’une amélioration de technologies maîtrisées ?

    François Lureau : Les deux ! Comme expliqué, Thales s'appuie sur une expérience de plus de 30 ans et un catalogue de produits qui ont déjà permis de construire deux systèmes laser de puissance supérieure à 1 PW : le laser Bella, installé en Californie au prestigieux Lawrence Berkeley National Laboratory, et le laser Cetal, installé en Roumanie à l'INFLPR.

    Pour atteindre la puissance record de 10 PW, Thales a développé un nouveau laser de pompe, Atlas 100, basé sur des technologies et composants existants mais intégrés de façon ingénieuse et innovante. Thales a également mis en place avec ses partenaires clés des programmes de développement spécifiques pour fabriquer des composants critiques à des dimensions encore jamais atteintes, dont un cristal de Ti : Sa de 200 mm (livré en mars 2016) alors que, à ce jour, le plus gros réalisé et mis en œuvre dans un système a un diamètre de 130 mm.

    Donc, pas de sauts technologiques ?

    François Lureau : Pas vraiment ! Il s'agit de pousser les technologies, de façon astucieuse, vers leurs limites mais sans les atteindre.