Une plasticité étonnante du cerveau humain vient d'être mise en évidence : les performances du  sens du toucher augmentent en quelques jours seulement chez des volontaires aux yeux continuellement masqués. Et cette adaptation est réversible en 24 heures.

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    Un des volontaires, méritant, de cette expérience éprouvante... © Alvaro Pascual-Leone et al.

    Un des volontaires, méritant, de cette expérience éprouvante... © Alvaro Pascual-Leone et al.

    On sait que les personnes privées du sens de la vue développent leurs sens du toucher et de l'audition. Mais une récente expérience, menée au Beth Israel Deaconess Medical Center (BIDMC) et dont les résultats viennent d'être publiés, montre qu'une telle adaptation peut s'effectuer en quelques jours seulement et qu'elle est réversibleréversible. Selon les auteurs de l'étude, cette plasticité aussi élevée implique que les capacités révélées par la perte de la vision devaient préexister, à l'état latentlatent.

    Alvaro Pascual-Leone et ses collègues ont fait participer 47 volontaires qui se sont prêtés à une expérience difficile. Durant cinq jours, la moitié d'entre eux ont porté en permanence un masque sur les yeuxyeux, les privant de toute vision. Pendant ce temps, tous étaient soumis à d'intenses activités mettant en jeu le sens du toucher, en particulier l'apprentissage du Braille pendant 4 à 6 heures par jour.

    Deux séries d'expériences ont été conduites. La première, sur 32 sujets, consistait à observer en imagerie par résonance magnétique fonctionnelleimagerie par résonance magnétique fonctionnelle (IRMf) le fonctionnement du cerveaucerveau pendant et après la période aveugle. Résultats : les sujets portant le masque apprennent plus vite le Braille que les témoins. A l'examen en IRM, le cortexcortex visuel des personnes aux yeux bandés montre une activation importante aux stimuli tactiles. Autrement dit, une zone du cerveau impliquée dans la vision semble immédiatement réquisitionnée pour analyser les signaux du toucher. Mais 24 heures après que le masque leur ait été retiré, cette capacité disparaît complètement, le cortex visuel n'étant de nouveau plus stimulé que par la vision.

    En A, images en IRM montrant, marquées en couleurs, les zones présentant des différences entre les sujets aux yeux bandés et les témoins (couleur orange dans l'image prise au jour 5, bleue dans celle du jour 6). En B, résultats de tests au niveau de la zone colorée en orange, dans lesquels on mesure la réponse de ses neurones à des stimulations tactiles. L'axe vertical indique, en pourcentage, la différence de résultats entre les sujets avec et sans masque. On voit qu'elle maximale au jour 5. © Alvaro Pascual-Leone <em>et al.</em>

    En A, images en IRM montrant, marquées en couleurs, les zones présentant des différences entre les sujets aux yeux bandés et les témoins (couleur orange dans l'image prise au jour 5, bleue dans celle du jour 6). En B, résultats de tests au niveau de la zone colorée en orange, dans lesquels on mesure la réponse de ses neurones à des stimulations tactiles. L'axe vertical indique, en pourcentage, la différence de résultats entre les sujets avec et sans masque. On voit qu'elle maximale au jour 5. © Alvaro Pascual-Leone et al.

    Un mécanisme inconnu ?

    Lors d'une seconde expérience, 15 personnes ont subi un test plutôt invasifinvasif. Elles ont été soumises à une stimulationstimulation magnétique transcranial répétée (rTMS), une technique employée en thérapiethérapie de troubles psychiatriques et consistant à soumettre le cerveau à un champ magnétique. L'effet recherché dans l'expérience est de provoquer un dysfonctionnement temporaire à l'intérieur du cortex visuel. Les sujets obtiennent alors de moins bons résultats dans l'apprentissage du Braille. Là encore, on peut conclure qu'une partie de l'aire cérébrale de la vision peut aussi servir au sens du toucher.

    Selon les auteurs de l'étude, ces résultats remettent en cause l'hypothèse classique selon laquelle des structures indépendantes du cerveau et hautement spécialisées sont engagées dans l'analyse des informations sensorielles d'origine différentes. « Notre étude montre que cette vision est incorrecte, affirme Alvaro Pascual-Leone, et illustre la capacité du cerveau humain à se réorganiser lui-même rapidement et dynamiquement. »

    Les chercheurs suggèrent que cette adaptation rapide et réversible ne repose pas sur la mise en place de nouvelles connexions entre neuronesneurones mais sur l'activation de structures déjà existantes jusque-là masquées. A l'heure actuelle, aucun mécanisme physiologique connu ne peut expliquer ce phénomène. « Nous pensons que ces principes peuvent aussi s'appliquer à d'autres pertes sensorielles, insiste Alvaro Pascual-Leone, comme la surdité, ou une perte fonctionnelle après une lésion au cerveau. »

    Quoiqu'il en soit, il reste la preuve de capacités d'adaptation insoupçonnées...