Les modèles l’avaient envisagé. Désormais, des données satellitaires le confirment. La couleur des océans du monde change. Sous l’effet du réchauffement climatique.


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    Si vous pensiez que la question de la couleurcouleur des océans n'intéressait que les âmes les plus romantiques, détrompez-vous. Elle passionne aussi les scientifiques - qui peuvent aussi être romantiques. Et Stephanie Dutkiewicz, chercheur au prestigieux Massachusetts Institue of Technology (MIT, États-Unis), particulièrement. « Depuis des années, j'exécute des simulations qui m'annoncent que les océans du monde vont changer de couleur. Le voir se produire réellement, ce n'est pas surprenant. C'est effrayant ! », raconte-t-elle aujourd'hui. Avec son équipe, elle vient en effet tout juste de publier une nouvelle étude à ce sujet. Une étude qui révèle qu'au cours des vingt dernières années, 56 % des océans du monde ont changé de couleur. Une surface supérieure, donc, à l'ensemble de la surface des terres émergées !

    Le changement de couleur évoqué n'est pas visible à l'œilœil nu. Mais les satellites peuvent le mesurer. Le spectroradiomètre imageur à résolutionrésolution moyenne (Modis) embarqué à bord du satellite AquaAqua le fait depuis plus de vingt ans maintenant. Pas seulement sur les couleurs bleues ou vertes, mais, sur sept longueurs d'ondelongueurs d'onde du spectrespectre visible. Et l'analyse de ces données montre une tendance claire. Supérieure à la variabilité naturelle d'une année à l'autre. Les régions proches de l'équateur, par exemple, sont devenues plus vertes.

    Les chercheurs ont ensuite comparé leurs résultats à ceux donnés par un modèle développé il y a quelques années - voir notre précédent article ci-dessous -, un modèle qui simule l'évolution de la couleur des océans en fonction de nos émissions de gaz à effet de serre. Et les prévisions du modèle se sont avérées presque identiques aux données du monde réel recueillies ici par les chercheurs.

    Des chercheurs du <em>Massachusetts Institue of Technology</em> (MIT, États-Unis) ont suivi les changements de couleur de l’océan depuis plus de vingt ans en analysant les mesures prises par le spectroradiomètre imageur à résolution moyenne (Modis) à bord du satellite Aqua. © Nasa et Joshua Stevens, données Landsat de l’<em>U.S. Geological Survey</em> et Modis de LANCE/EOSDIS Rapid Response
    Des chercheurs du Massachusetts Institue of Technology (MIT, États-Unis) ont suivi les changements de couleur de l’océan depuis plus de vingt ans en analysant les mesures prises par le spectroradiomètre imageur à résolution moyenne (Modis) à bord du satellite Aqua. © Nasa et Joshua Stevens, données Landsat de l’U.S. Geological Survey et Modis de LANCE/EOSDIS Rapid Response

    La couleur des océans n’est pas anodine

    De quoi confirmer l'effet du changement climatique sur la couleur des océans. Comme une nouvelle façon de nous alerter sur toutes les manières dont nous impactons notre environnement. Car les changements de couleur dans les océans sont le reflet de changements qui apparaissent dans les écosystèmes marins de surface. Dans les communautés de phytoplancton, notamment.

    Les chercheurs ne sont pas encore capables de préciser de quelle façon exactement. Mais ce qu'ils savent, c'est qu'un changement dans les communautés de phytoplancton peut avoir un impact majeur. Car le phytoplancton est à la base du réseau trophique marin. Il nourrit le krill qui nourrit les poissonspoissons qui nourrissent les oiseaux et les mammifèresmammifères marins.

    Le phytoplancton participe aussi à l'absorptionabsorption par l'océan d'une partie du dioxyde de carbonedioxyde de carbone (CO2) qui se trouve dans notre atmosphèreatmosphère. Et donc à la réduction du réchauffement climatiqueréchauffement climatique. Mais les différents types de planctonplancton qui potentiellement donnent des couleurs différentes à l'eau ont des capacités différentes à le faire.

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    Que les plus poètes d'entre nous se rassurent. Ils pourront encore longtemps rêver de la couleur des océans. Mais pour les autres, la question est donc en train de prendre un virage des plus sérieux. Car ce qui était resté jusqu'ici de l'ordre de la prévision d'un modèle pour le futur s'avère être d'ores et déjà une réalité. Un changement de plus, qui se produit plus vite que les chercheurs l'avaient initialement envisagé.


    Le réchauffement climatique va changer la couleur des océans

    Une étude du MIT montre que la majorité des océans va changer de couleur en surface d'ici la fin du XXIe siècle, en raison des modifications du phytoplancton. Des différences qui ne seront pas forcément très visibles à l'œil nu, mais que les satellites devraient capter.

    Article de Marie-Céline RayMarie-Céline Ray, publié le 10/02/2019

    Des satellites mesurent la couleur des eaux de surface. © voran, Fotolia
    Des satellites mesurent la couleur des eaux de surface. © voran, Fotolia

    La couleur de l'océan dépend de la façon dont les rayons du SoleilSoleil interagissent avec l'eau et les éléments qu'elle contient. Les moléculesmolécules d'eau absorbent la majorité de la lumièrelumière mais pas les rayonnements bleus qui sont réfléchis.

    Quand des organismes sont présents dans l'eau, ils peuvent absorber ou réfléchir différentes longueurs d'ondes. Ainsi, le phytoplancton contient de la chlorophyllechlorophylle, un pigment qui absorbe des rayonnements dans le bleu pour réaliser la photosynthèsephotosynthèse, et moins dans le vert. C'est pourquoi les eaux de surface riches en alguesalgues microscopiques apparaissent plus vertes.

    Le saviez-vous ?

    Le phytoplancton correspond à la partie végétale du plancton. Il est composé d’algues microscopiques et de cyanobactéries. Ces organismes photosynthétiques sont consommés par les petits animaux du zooplancton. Ils sont donc à la base des chaînes alimentaires des océans. 

    Depuis une vingtaine d'années, les satellites prennent des mesures sur la couleur des océans (voir article précédent, ci-dessous). Ces satellites apportent des informations sur la chlorophylle, et donc le phytoplancton présent dans différentes régions océaniques. Or, le changement climatique a des effets sur les écosystèmes marins et donc sur le phytoplancton. En plus d'élever les températures, il affecte les courants océaniques qui apportent des nutrimentsnutriments. Alors la couleur des océans risque-t-elle d'évoluer dans les décennies à venir et comment ?

    Pour le savoir, des chercheurs du Massachusetts Institute of Technology (MIT) ont développé un modèle pour simuler la croissance des différentes espècesespèces de phytoplancton en fonction des variations de températures. Ils ont aussi prévu la façon dont le phytoplancton absorbe et réfléchit la lumière, et donc la teinte que devraient prendre les eaux de surface. Ils ont pu valider ce modèle avec les mesures réalisées par les satellites ces dernières années.

    Le phytoplancton contient des algues microscopiques comme Volvox. © tonaquatic, Fotolia
    Le phytoplancton contient des algues microscopiques comme Volvox. © tonaquatic, Fotolia

    Plus bleu ou plus vert en fonction des variations de l’écosystème marin

    Les chercheurs ont fait une simulation en augmentant les températures de 3 °C en 2100. Ce scénario est plausible si les émissionsémissions de gaz à effet de serregaz à effet de serre ne diminuent pas. D'après les scientifiques, plus de 50 % des eaux des océans changeraient de couleur à cause du changement climatique. Dans les régions subtropicales, les eaux deviendraient plus bleues à cause de la diminution du phytoplancton et de la vie marine en général. D'autres régions devraient gagner en vert, plus près des pôles, car le phytoplancton pourrait y devenir plus abondant et plus diversifié.

    Les changements n'apparaîtront pas énormes à l'œil nu

    Dans un communiqué, Stephanie Dutkiewicz, chercheuse au MIT, a expliqué : « Le modèle suggère que les changements n'apparaîtront pas énormes à l'œil nu et que l'océan aura toujours l'apparence de régions bleues dans les régions subtropicales et de régions plus vertes, près de l'équateur et des pôles. » Mais ces changements seront détectables par les satellites dans certaines longueurs d'ondes.

    Ces changements de couleur seront un signal d'alerte sur l'évolution de l'écosystème car la croissance du phytoplancton affecte toute la chaîne alimentairechaîne alimentaire marine, y compris les poissons. Le phytoplancton joue aussi un rôle important dans l'absorption du CO2 mondial.

    Cette recherche a été financée en partie par la NasaNasa et le ministère de l'ÉnergieÉnergie des États-Unis, ses résultats paraissent dans la revue Nature Communications.


    L'étude de la couleur des mers par satellite, une discipline méconnue

    Article de Rémy DecourtRémy Decourt paru le 16 mai 2013

    Pourquoi s'intéresser à la couleur des océans ? Parce qu'elle renseigne sur des domaines variés, comme la chaîne alimentaire ou le climatclimat, et que son suivi peut être utile à des activités économiques dépendant du milieu marin. La discipline est nouvelle et vient de connaître sa première conférence internationale. Au menu : l'océanographie opérationnelle, pour mieux comprendre et mieux prédire. 

    La semaine dernière s'est tenu le premier Symposium international sur la couleur des océans. Organisé par le Groupe international de coordination sur la couleur des océans, en partenariat avec Eumetsat et la Nasa, l'événement a réuni près de 270 participants venus de 36 pays, dont plusieurs experts. L'étude de la couleur des océans, discipline encore discrète, est intéressante à plus d'un titre : ses données sont exploitées dans des secteurs aussi variés que la compréhension de la chaîne alimentaire, le climat et certaines activités économiques liées à la mer.

    La mesure de la couleur de l’eau aide à mieux comprendre le rôle de l’océan dans le cycle du carbone, et sa capacité à absorber le CO<sub>2</sub> dans l’atmosphère. À l'image, une partie de l'Italie photographiée par l'instrument Meris d’Envisat, en 2003. © Esa
    La mesure de la couleur de l’eau aide à mieux comprendre le rôle de l’océan dans le cycle du carbone, et sa capacité à absorber le CO2 dans l’atmosphère. À l'image, une partie de l'Italie photographiée par l'instrument Meris d’Envisat, en 2003. © Esa

    L'étude de la couleur de l'eau est le seul moyen scientifique permettant d'obtenir, depuis l'espace, des informations sur ce qui se passe sous la surface des océans. C'est essentiel, car là se trouve le phytoplancton, ces microscopiques végétaux marins à la base de la chaîne alimentaire océanique. Les mesures de couleur permettent d'en estimer la concentration et de la suivre dans le temps et l'espace.

    Carte globale de la concentration en chlorophylle dans les océans, obtenue à partir de données fournies par l'instrument Meris (spectromètre imageur à moyenne résolution) à bord d'Envisat, en décembre 2011. © Esa
    Carte globale de la concentration en chlorophylle dans les océans, obtenue à partir de données fournies par l'instrument Meris (spectromètre imageur à moyenne résolution) à bord d'Envisat, en décembre 2011. © Esa

    Pourquoi suivre le phytoplancton et les algues par la couleur ?

    L'intérêt de la surveillance du phytoplancton est double, par son rôle dans la chaîne alimentaire d'abord, mais aussi pour l'activité de photosynthèse. En créant de la matièrematière organique à partir du CO2 dissous venu de l'atmosphère, et ce en quantité significative, il est l'une des clés de la machine climatique.

    On comprend donc tout l'intérêt écologique de mesurer la couleur des océans par satellite, par exemple pour l'étude du cycle du carbonecycle du carbone. En outre, cette technique est utilisée pour la gestion des ressources halieutiquesressources halieutiques. Elle permet aussi d'évaluer l'expansion d’algues toxiques, susceptibles de se produire dans des estuairesestuaires ou sur des plages, provoquant des impacts significatifs sur des activités humaines comme la pisciculturepisciculture ou le tourisme.

    Valeurs moyennes des radiations efficaces pour la photosynthèse, obtenues par compilation de données des instruments Meris et SeaWifs (<em>Sea-viewing Wide Field-of-view Sensor</em>). © Esa
    Valeurs moyennes des radiations efficaces pour la photosynthèse, obtenues par compilation de données des instruments Meris et SeaWifs (Sea-viewing Wide Field-of-view Sensor). © Esa

    Les satellites et l’océanographie opérationnelle

    Du point de vue technique, la mesure de la couleur des océans est très délicate à réaliser, car dans une image, on doit restituer toutes les nuances des couleurs avec la précision la plus grande possible. Or, les données reçues par les capteurscapteurs sont dominées par les aérosols et l'atmosphère, de sorte que seulement 10 % de ce qui est capté est utile à l'analyse de la couleur de l'eau ! À l'avenir, l'un des grands défis est donc d'éliminer ces 90 % de données parasitesparasites par des corrections atmosphériques. Toutefois, pour limiter cette dégradation des données, les caméras ne fonctionnent pas seulement dans le visible : les images sont également acquises dans le proche infrarougeinfrarouge, pour éliminer les aérosolsaérosols des informations recueillies.

    Le satellite Sentinelle-3 est développé par l’Esa et réalisé par Thales Alenia Space. Son lancement est prévu en 2013, et il aura pour mission d’observer les océans ainsi que la végétation sur les terres émergées. © J. Huart, Esa
    Le satellite Sentinelle-3 est développé par l’Esa et réalisé par Thales Alenia Space. Son lancement est prévu en 2013, et il aura pour mission d’observer les océans ainsi que la végétation sur les terres émergées. © J. Huart, Esa

    Face au très grand intérêt que suscite cette discipline, les scientifiques comptent beaucoup sur l'océanographie opérationnelle qu'Eumetsat veut développer et mettre en place en Europe. Actuellement, l'Organisation européenne pour l'exploitation des satellites météorologiquessatellites météorologiques produit et fournit des données d'observation de la couleur de l'eau acquises par ses satellites Metop, Meteosat et Jason. À terme, l'ambition d'Eumetsat est d'avoir un flux de données en temps réel, qui serait mis à disposition des utilisateurs une à trois heures après l'observation.

    Pour cela, Eumetsat s'appuiera sur Sentinelle-3, un satellite qui sera dédié à l'observation de la surface des océans et des terres émergées. Il sera doté d'instruments optiques à moyenne résolution fonctionnant dans le visible (couleur), le proche infrarouge et l'infrarouge lointain (température). Il disposera aussi d'instruments radar opérationnels par tout temps, permettant notamment de déterminer les profondeurs et altitudes des océans et des principaux lacs.