Demain mardi, une fusée Ariane, pour son 200e vol, lancera Johannes Kepler, un vaisseau qui entamera une course poursuite de l’ISS, avant de s’y amarrer pour la ravitailler puis à en rehausser l’orbite. Au sol, à Toulouse, dans l’ATV-CC du Cnes, une cinquantaine de personnes seront derrière leurs pupitres pour contrôler le vol et calculer les trajectoires. Ouvrons la porte de cette salle grâce à Martial Vanhove, chef des opérations.

au sommaire


    Mardi 15 février à 23 h 13 (heure française), le deuxième exemplaire de l'ATV (Automated Transfer Vehicle), baptisé Johannes KeplerJohannes Kepler, s'envolera de Kourou dans la coiffe d'une Ariane 5. Ce vaisseau qualifié d'automatique se lancera alors à la poursuite de la Station spatiale internationale (ISS), à laquelle il s'arrimera le 23 septembre. Automatique ? Partiellement, en fait, et uniquement pour l'ultime manœuvre, celle du « docking » (amarrage pour les spécialistes du milieu spatial).

    Jusque-là, il aura fallu le piloter. Pendant toute la mission de l'ATV-2, 50 personnes se tiendront en permanence dans la salle de contrôle du Cnes (Centre national d'études spatiales), à Toulouse. En tout, ils sont 150 à être impliqués d'une manière ou d'une autre dans cette mission, qui ne s'achèvera que trois mois plus tard, lorsque l'ATV, chargé de quelques déchetsdéchets, se consumera dans l'atmosphèreatmosphère terrestre.

    Toute cette équipe est chapeautée par Martial Vanhove, « chef de projet Opérations ATV » dans le vocabulaire du Cnes. Ce témoin privilégié a raconté à Futura-Sciences comment devrait se dérouler le vol. N'essayez pas de le contacter ces jours-ci : il est désormais sur le pont...

    En revanche, on peut suivre la mission sur le blog de l’ATV-2, régulièrement alimenté. Et bien sûr sur notre site pour ne pas rater les moments importants. Le lancement lui-même pourra être suivi en direct sur le site Daily Motion. Pendant ce temps, dans l'ATV-CC (le centre de contrôle), ce sera le moment d'une effervescence... contrôlée.

    Martial Vanhove, chef des opérations ATV, à pied d'œuvre dans la salle de contrôle du Cnes de Toulouse. © Cnes/Girard, 2010

    Martial Vanhove, chef des opérations ATV, à pied d'œuvre dans la salle de contrôle du Cnes de Toulouse. © Cnes/Girard, 2010

    Futura-Sciences : Ce vol est le deuxième, après celui de l'ATV Jules Verne, qui s'est très bien déroulé. Peut-on parler de routine, désormais ?

    Martial Vanhove : C'est mon but... De la première mission, nous avons eu un retour d'expérience précieux qui nous sert aujourd'hui. Mais non, un vol dans l'espace n'est jamais de la routine ! 

    Comment le centre de Toulouse peut-il suivre l’ATV durant tout son vol ?

    Martial Vanhove : Tout le vol, non. Après le lancement, tant que l'ATV est dans la coiffe d'Ariane, nous ne le voyons pas d'ici. Tout le lancement est géré à Kourou, bien sûr. En revanche, nous avons dialogué alors qu'il était installé sur Ariane. D'ailleurs, nous faisons une simulation aujourd'hui NDLRNDLR : l'interview a été réalisée mercredi 9 février]. Une fois l'ATV séparé du lanceur, nous en prenons le contrôle. Il est suivi par des satellites relais, TDRS (Tracking and Data Relay Satellite, États-Unis) et Artemis (Esa), avec des relais au sol (notamment White Sands - Houston - pour la partie TDRSS). Avec les opérations de cryptage et de décryptage des données, il faut environ une douzaine de secondes pour une boucle complète.

    Quel est le degré d’automatisme de l’ATV ? Se pilote-t-il tout seul ?

    Martial Vanhove : Le vol n'est totalement automatisé que pendant la phase de rendez-vous avec la Station spatiale. De la séparationséparation d'avec Ariane jusqu'à l'approche, le vol est sous contrôle en permanence, en particulier pour sa trajectoire. L'ATV doit alors rattraper l'ISS. Il est placé sur une orbite plus basse que la Station. Et dans l'espace, s'installer sur une orbite plus basse, c'est aller plus vite. En revanche, l'ATV est déjà dans le plan de l'orbite de la Station. Il n'y a donc qu'à ajuster l'altitude pour obtenir la bonne vitessevitesse, celle qui permettra de rattraper l'ISS en huit jours. Cette méthode du lancement dans le plan permet de minimiser la consommation.

    Après la séparation, nous allons, pendant quelques heures, vérifier tous les systèmes, dont le bon déploiement des panneaux solaires. Puis nous allons calculer l'orbite à choisir pour rattraper l'ISS en huit jours, en fonction de la position exacte de la Station à ce moment.

    Huit jours, c’est beaucoup ?

    Martial Vanhove : Oui. Nous pourrions faire plus vite. C'est le choix que nous avons fait. Auparavant, nous garantissions le jour d'arrivée, pour que l'équipage de la Station puisse se préparer. Aujourd'hui, nous procédons différemment. Nous disons : « docking sur l'ISS huit jours après le décollage ». Si celui-ci est retardé, eh bien, l'amarrage le sera aussi. Et nous sommes certains que, quels que soient les paramètres orbitaux, nous pouvons rejoindre la Station en huit jours. Le tir du 15 nous amène donc à la Station le 23.

    Or, la navette Atlantis doit s'y arrimer le 26 et on ne peut pas effectuer les deux arrivées en même temps... J'en profite pour préciser que nous n'avons pas de fenêtrefenêtre de tir car pour atteindre la Station à une certaine heure, il faut décoller à une heure précise. Pour nous, H0, c'est la seule possible...

    À l’approche de la Station, c’est donc l’ordinateur de bord qui prend le relais ?

    Martial Vanhove : Voilà. Mais bien sûr, tout est surveillé, en particulier par l'équipage de l'ISS. Au moment de l'approche, nous avons quatre phases de reprise en main, appelées station-keeping. Les automatismes sont interrompus et on contrôle si tout va bien. Cela se passe à 3,5 km de l'ISS, à 250 m, à 20 m et à 11 m. À chaque fois, il est temps d'effectuer des corrections. On peut envoyer à l'ATV l'ordre hold (il s'arrête) return (il recule), escape (il s'éloigne de la Station) ou abort. Dans ce dernier cas, l'ATV bascule sur un autre système de commandes. Il oublie tous ses senseurssenseurs, se met en mode survie et part rejoindre une orbite de sécurité. À cause du carburant, nous avons droit à trois tentatives. Si tout va bien, on laisse faire et il continue sa trajectoire, qui se déroule 6 ou 7 cm/s par rapport à l'ISS.

    Ambiance dans la salle de contrôle ATV-CC pour la mission ATV-2. © Cnes

    Ambiance dans la salle de contrôle ATV-CC pour la mission ATV-2. © Cnes

    Quelles pannes peut-on craindre ?

    Martial Vanhove : Moteurs, capteurs... Il peut y avoir plusieurs sources de pannes avec de graves conséquences. Mais il faut savoir que tout est redondé plusieurs fois. On peut perdre un panneau solairepanneau solaire, par exemple. Sur Jules VerneJules Verne [l'ATV-1, NDLR], il y a eu un problème sur un bloc propulseurpropulseur. L'ATV a arrêté le moteur correspondant. Nous avons vérifié et nous avons pu le faire repartir.

    Comment les équipes s’entraînent-elles ? Comme les pilotes d’avions ?

    Martial Vanhove : Nous avons quatre simulateurs à Toulouse, qui permettent de simuler les conditions nominales ou avec contingences. Les équipes s'entraînent une année avant d'opérer en salle de contrôle. Et deux fois par semaine, nous faisons des simulations complètes, en salle de contrôle.

    Comment se dérouleront les prochaines semaines ?

    Martial Vanhove : Il y a en permanence 50 personnes au maximum dans la salle de contrôle, sur un total de 90. Au total, 150 personnes sont impliquées dans la mission. La salle est supervisée par un directeur de vol et les équipes se succèdent.