Quatre décennies après les missions Apollo, il apparaît que la santé cardiovasculaire des 24 astronautes a été affectée par leurs balades lunaires, bien plus que chez ceux qui n'ont fréquenté que l'orbite basse, à l’intérieur de la magnétosphère. Cette découverte soulève des interrogations pour les futurs voyages lointains. Pour Stéphane Besnard, médecin au Cnes et spécialiste de la question, il faut comprendre ces effets à long terme et trouver de nouveaux critères de sélection, génétiques par exemple.

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    De façon très surprenante, 43 % des sept astronautes des missions Apollo ont succombé à une défaillance cardiaque Ce taux est cinq fois plus élevé que chez les autres astronautes de la Nasa qui ont séjourné en orbite basse, et significativement plus élevé que le taux de mortalité dû aux maladies cardiovasculairesmaladies cardiovasculaires du reste de la population (27 %). Pourtant, sur le plan de la santé, les astronautes, au regard de leur condition physique et de leur hygiène de vie, représentent une population moins exposée aux maladies... terrestres.

    Pour expliquer cette différence, le professeur Michael Delp de l'université d'État de Floride, aux États-Unis, a démontré chez le rongeurrongeur qu'une combinaison de facteurs, en l'occurrence l'absence de gravité et l'exposition au radiations spatiales et solaires, augmentait significativement les problèmes cardiovasculaires. Son étude, qui vient d'être rendue publique, montre que les voyages spatiaux au-delà du champ magnétique terrestrechamp magnétique terrestre induisent un risque cinq fois supérieur. Fait intéressant, l'exposition à ces radiations cosmiques seules semble n'avoir aucun effet sur le risque de développer un cancercancer.

    Neil Armstrong, le 21 juillet 1969, dans le module lunaire, peu après sa première promenade sur la surface de la Lune. Il décédera en août 2012 à l'âge de 82 ans de complications après une opération cardiovasculaire. © Nasa

    Neil Armstrong, le 21 juillet 1969, dans le module lunaire, peu après sa première promenade sur la surface de la Lune. Il décédera en août 2012 à l'âge de 82 ans de complications après une opération cardiovasculaire. © Nasa

    Le système cardiovasculaire doit être surveillé sur le long terme

    Ces conclusions sont tirées de l'examen de la santé cardiovasculaire des 24 astronautes du programme ApolloApollo (entre 1961 et 1972). Les données médicales de chacun des membres ayant voyagé dans l'espace lointain, dont les sept astronautes décédés ont été scrupuleusement analysées. Puis elles ont été comparées à l'état de santé d'un groupe témoin d'astronautes restés sur Terre ainsi qu'à d'autres membres du programme qui sont restés en orbite basse. Ces travaux ont été vérifiés sur des rongeurs exposés durant six mois à des radiations au moins équivalentes à celles des astronautes du programme Apollo.

    Stéphane Besnard, médecin de bord en vols paraboliques et affilié au groupe de biologie du développement du Cnes, nous aide à mieux comprendre les résultats de cette étude. Lorsque les astronautes sont en orbite, leur système cardiovasculaire se modifie. Cela se traduit par « une modification du travail cardiaque, avec une charge de travail moindre parce qu'une partie du volumevolume sanguin ne descend plus dans les membres inférieurs, du fait de la gravité quasiment nulle ». C'est pourquoi, dès leur arrivée dans l'espace, en urinant, les astronautes évacuent l'équivalent d'un dixième de leur volume sanguin. À l'inverse, le système cardiovasculaire voit sa fonction facilitée à « maintenir la pressionpression et la perfusionperfusion sanguine dans les organes vitaux que sont le cerveaux, les artèresartères du cœur et la rétinerétine ». Quant aux artères et aux veines, elles ne vont pas « recevoir le même volume sanguin, ce qui va modifier leur structure et leur élasticitéélasticité notamment ».

    À ce facteur de gravité nulle s'ajoute celui de l'exposition aux radiations. L'étude de Delp révèle que ces deux facteurs vont induire un « dysfonctionnement prolongé des cellules endothéliales vasculaires » et un phénomène d'« utilisation et d'épuisement des anti-oxydants présents dans les cellules du système cardiovasculaire ». L'exposition à ces deux facteurs induirait donc « un risque supplémentaire pour les astronautes, risque qui surviendrait et se déclencherait bien plus tard ». Normalement, quand les astronautes retournent sur Terre, « tous les paramètres cardiovasculaires reviennent à la normale, alors que le système osseux garde toujours un petit déficit ».

    Prise de sang pour l'astronaute européen, de nationalité britannique, Tim Peake (à droite). Elle est réalisée par l'astronaute américain Tim Kopra. © Esa, Nasa

    Prise de sang pour l'astronaute européen, de nationalité britannique, Tim Peake (à droite). Elle est réalisée par l'astronaute américain Tim Kopra. © Esa, Nasa

    Un cocktail de facteurs néfastes

    Sur le plan cardiaque, en quelques semaines, « les astronautes récupèrent assez vite l'ensemble de leur fonctions ». Cependant, il semblerait qu'au niveau cellulaire, les choses ne se passent pas aussi bien. Dans les parois des vaisseaux sanguins, ces deux facteurs, associés au stressstress du séjour dans l’espace, « induisent des modifications cellulaires qui ne sont pas perceptibles ». Sur le long terme, les réserves d'anti-oxydants pourrait devenir insuffisantes, ce qui « expliquerait pourquoi les astronautes décèderaient de maladie cardiovasculaire ». Certes, ces anti-oxydants se renouvellent mais, « d'un individu à un autre cette capacité cellulaire à se protéger contre les agressions extérieures varie ».

    En conclusion, si les voyages dans l'espace sont évidemment possibles, cette étude suggère que quitter la magnétosphèremagnétosphère terrestre peut être plus dangereux pour la santé cardiovasculaire que ce que l'on pensait. La combinaison de plusieurs facteurs, comme le stress, la perte de la gravité et les troubles sensoriels combinés aux radiations, forme un cocktail néfaste pour la santé des astronautes. « Il serait intéressant de savoir si nous sommes tous égaux sur ce point. » D'après certains spécialistes, il est possible que « certaines personnes soient mieux prédisposées, avec des capacités d'adaptation meilleures que d'autres ».

    Chris Cassidy (Nasa) réalisant un examen ultrason sur Luca Parmitano (Esa) dans la Station spatiale internationale. © Esa, Nasa

    Chris Cassidy (Nasa) réalisant un examen ultrason sur Luca Parmitano (Esa) dans la Station spatiale internationale. © Esa, Nasa

    Les critères de sélection restent à préciser

    Aujourd'hui, il n'existe pas de marqueur connu pour ces prédispositionsprédispositions et on ne sait donc pas sélectionner les astronautes sur ces critères. Il est possible que dans quelques années, pour les voyages à destination de Mars, les agences spatiales « ajoutent certains critères génétiquesgénétiques à la sélection de leurs astronautes pour retenir ceux qui s'adapteront le mieux à ces contraintes sans risque après leur retour sur Terre ». Aujourd'hui, cette sélection se fait sur des critères psychologiques tel que la personnalité et les états émotionnels, l'aptitude aux tests psychotechniques, ainsi que sur les capacités physiques et sportives, en plus de l'absence de troubles médicaux.

    Cet étude présente deux limites. Les 24 astronautes du programme Apollo qui ont effectivement séjourné dans l'espace étaient tous du sexe masculin. Elle ne permet donc pas de savoir si les effets diffèrent chez les femmes astronautes, et encore moins comment le vol spatial aura une incidenceincidence sur la santé des personnes ordinaires que souhaite faire voyager jusqu'à Mars SpaceXSpaceX, par exemple.