Pris dans la gangue rocheuse très dure d’une grotte sud-africaine, le désormais célèbre Little Foot, alias Petit Pied, a donné du fil à retordre aux paléontologues qui l’ont découvert en 1994. Très difficiles, les datations ont donné des résultats variés. Une nouvelle méthode, à l’aluminium et au béryllium, fournit aujourd’hui un chiffre fiable pour cet australopithèque : 3,67 millions d’années, soit 400.000 ans de plus que Lucy. Les deux espèces, pourtant, ont été contemporaines, ce qui impose de réviser les peuplements du sud de l’Afrique par les hominidés.

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    Le crâne et un humérus de Little Foot en cours de dégagement dans la grotte de Silberberg à Sterkfontein (Afrique du Sud). Le dégagement des os de cet australopithèque, pris dans la gangue rocheuse, requiert une très grande dextérité : le moindre faux mouvement pourrait abîmer irrémédiablement ce fossile unique. © Laurent Bruxelles, Inrap

    Le crâne et un humérus de Little Foot en cours de dégagement dans la grotte de Silberberg à Sterkfontein (Afrique du Sud). Le dégagement des os de cet australopithèque, pris dans la gangue rocheuse, requiert une très grande dextérité : le moindre faux mouvement pourrait abîmer irrémédiablement ce fossile unique. © Laurent Bruxelles, Inrap

    Des chercheurs d'institutions américaines, canadiennes, sud-africaines, et françaises publient cette semaine dans la revue Nature la datation de Little Foot. Découvert au nord-ouest de Johannesburg, au cœur du berceau de l'Humanité, dans la grotte de Silberberg (Sterkfontein), ce squelette presque complet d'un australopithèque est exceptionnel. Treize années ont été nécessaires à l'équipe de Ron Clarke (université de Witwatersrand, Afrique du Sud) pour le dégager de sa gangue rocheuse.

    Depuis sa découverte en 1997, les chercheurs discutent de l'âge exact de ce fameux fossilefossile. Rapidement, Ron Clarke et Tim Partridge (université du Witwatersrand, Afrique du Sud) attribuent un âge de 3,3 millions d'années à Little Foot - à partir de la morphologiemorphologie de l'hominidé et d'une première datation paléomagnétique des coulées stalagmitiques. Ces datations furent rapidement remises en cause. En 2003, Darryl Granger (université Purdue, États-Unis) et son équipe suggèrent une datation des sédimentssédiments enserrant le fossile d'environ 4 millions d'années, grâce à l'analyse des nucléides cosmogéniques (cosmonucléides). Ultérieurement, une datation uranium/plomb des coulées stalagmitiques de calcitecalcite livre un âge bien plus récent -- 2,2 millions d'années --, remettant ainsi en question l'ensemble des datations précédentes.

    Dès 2002, Ron Clarke envisage que les coulées stalagmitiques pourraient être bien plus récentes que le squelette. En 2014, un chercheur de l'Inrap, Laurent Bruxelles (laboratoire Traces, UMR CNRS-université Toulouse-Jean Jaurès) et l'équipe sud-africaine démontrent que les coulées stalagmitiques de 2,2 millions d'années se sont formées dans des vides sous le fossile de Little Foot et sont plus récentes que celui-ci. Aujourd'hui, les chercheurs estiment son âge à 3,67 ± 0,16 millions d'années. Avec 3,2 millions d'années, Lucy est donc plus jeune...

    Le crâne de <em>Little Foot</em> tout juste dégagé de sa gangue rocheuse, très dure. © Ronald Clarke

    Le crâne de Little Foot tout juste dégagé de sa gangue rocheuse, très dure. © Ronald Clarke

    Une nouvelle méthode de datation

    Ce résultat est le fruit de la collaboration de Ryan Gibbon (université du Nouveau-Brunswick, Canada) et Darryl Granger. Deux avancées méthodologiques majeures ont rendu possible cette datation. Tout d'abord, le développement de la méthode isochrone (pour les datations par les isotopes radioactifs, aluminium 26 et béryllium 10). Elle utilise plusieurs échantillons provenant d'un même site, afin de vérifier les conditions requises en vue d'une datation cosmogénique.

    Autre innovation d'envergure : la mise au point d'un gas filled magnet (ou secteur magnétique gazeux) par Marc Caffee au laboratoire Prime de l'université Purdue, où sont réalisées les mesures des cosmonucléides à l'aide de la technique de la spectrométrie de masse par accélérateur. En effet, les aimantsaimants à gazgaz permettent une mesure fine de 26Al et donc des datations plus précises. Les échantillons de Sterkfontein ont été parmi les premiers à être analysés par ce nouvel équipement, opérationnel à partir du second semestre 2014. Les résultats s'avèrent étonnants. Sur les onze échantillons récoltés au cours de la dernière décennie, neuf se trouvent sur une unique courbe isochrone, apportant ainsi une datation solidesolide au dépôt.

    Cette partie du vaste réseau de galeries de Sterkfontein a été entièrement évidée par les mineurs. Aujourd’hui encore, afin d’étudier <em>Little Foot</em>, on emprunte leur escalier de bois. Lors de la chute de l’australopithèque, cette cavité n’était pas encore colmatée par les sédiments et une ouverture existait au sommet de la galerie, quelques mètres au-dessus des escaliers. © Laurent Bruxelles, Inrap

    Cette partie du vaste réseau de galeries de Sterkfontein a été entièrement évidée par les mineurs. Aujourd’hui encore, afin d’étudier Little Foot, on emprunte leur escalier de bois. Lors de la chute de l’australopithèque, cette cavité n’était pas encore colmatée par les sédiments et une ouverture existait au sommet de la galerie, quelques mètres au-dessus des escaliers. © Laurent Bruxelles, Inrap

    La saga de Little Foot

    Le 6 septembre 1994, Ronald J. Clarke découvre, dans une boîte d'ossements animaux, quatre petits os d'un pied gauche d'hominidéhominidé provenant des déblais du réseau de grottes de Sterkfontein. De cette première découverte viendra le nom de Little Foot (« Petit Pied »), donné par P. V. Tobias, en référence au petit pied qu'il venait d'identifier. En mai 1997, dans une nouvelle boîte, il reconnaît d'autres fragments provenant du même pied et un fragment d'un tibiatibia droit. Certain qu'il s'agit des ossements d'un même individu, Ron Clarke missionne ses assistants, Stephen Motsumi et Nkwane Molefe, afin de localiser l'ensemble du squelette.

    Dans cette immense cavité, emplie des déblais de dynamitages miniers successifs, les deux chercheurs, munis d'un moulage de tibia, trouvent, contre toute probabilité, une connexion osseuse dans la roche. Les ossements, très fragiles, sont pris dans un sédiment aussi solide que du bétonbéton et il faut attendre août 2010 pour que Ron Clarke et son équipe révèlent la totalité du squelette et ramène à l'airair libre le fossile. Le nettoyage des ossements et la reconstruction du fossile sont encore en cours, mais plus de la moitié du squelette a été déjà analysée par micro-tomographietomographie aux rayons Xrayons X à l'université du Witwatersrand.

    Ron Clarke classe Little Foot dans l'espèceespèce AustralopithecusAustralopithecus prometheusprometheus. En effet, il se distingue des Australopithecus africanus de la grotte par une massemasse corporelle plus importante, un crânecrâne au visage plus plat et allongé et de grosses dents jugales bombées. Little Foot avec ses 3,67 millions d'années est désormais un contemporain des premiers Australopithecus afarensis de Laetoli (Tanzanie), espèce à laquelle appartient LucyLucy, et de Woranso-Mille (Éthiopie). Très différent morphologiquement d'A. afarensis, A. prometheus présente davantage de points communs avec ParanthropusParanthropus, plus récent, au visage aplati et aux grosses dents jugales bombées. La datation de 3,67 millions d'années du A. prometheus de Skertfontein soulève de nouvelles questions quant à la diversité et la répartition géographique des premiers hominidés africains et leurs relations. Cette découverte et sa datation permettent de confirmer que l'Afrique du Sud est un potentiel berceau de l’Humanité, au même titre que l'Afrique de l'Est.

    Les hominidés ont peuplé le sud de l’Afrique plus tôt que prévu

    Au début des années 1990, Ron Clarke et Kathleen Kuman (université du Witwatersrand, Afrique du Sud) étudient une partie plus récente de la grotte. Ils y découvrent une industrie lithique très ancienne, la première du genre en Afrique australe. D'après la faunefaune, ils estiment son âge entre 1,7 et 2 millions d'années. En 1994, Kathleen Kuman annonce que cette industrie est oldowayenne puis publie, en 2009, les 3.500 pièces découvertes. Connu dès 2,6 millions d'années en Afrique de l'Est, l'Oldowayen se caractérise par une technologie simple et des outils sur éclat à partir de galets. Les bifaces et les hachereaux en sont absents, eux qui marquent l'avènement de la culture acheuléenne vers 1,7 million d'années dans l'est et le sud de l'Afrique (à Sterkfontein et dans la province du Cap-du-Nord). Pour dater cette industrie de Sterkfontein a été utilisé un galet apporté sur site par les hominidés oldowayens et cela afin d'écarter tout risque de remaniement sédimentaire. Dans cette même publication de Nature, les chercheurs annoncent également sa datation de 2,18 millions d'années (± 0,21). Elle est comparable à celle de 2,19 millions d'années (± 0,08), publiée récemment pour l'industrie oldowayenne du site voisin de Swartkrans et montre que le berceau de l'humanité sud-africain abritait aussi des hominidés produisant des outils il y a 2 millions d'années ou auparavant.

    Ainsi, l'Oldowayen est présent, de manière récurrente, en Afrique australe vers 2 millions d'années, les hominidés pourvus d'outils ont donc peuplé cette partie de l'Afrique bien plus tôt qu'on ne le pensait. Il est désormais évident que la rareté des sites de cette période en Afrique australe est liée au manque de recherches et non à l'absence d'hominidés. Les débats font ragerage quant aux artisans de cette industrie, mais de nombreux chercheurs s'accordent à penser qu'il s'agit de la production de l'une des premières espèces d'HomoHomo, par exemple l'Homo habilisHomo habilis (répertorié au Malawi et en Afrique de l'Est entre 2,4 et 1,8 millions d'années, à Swatkrans vers 1,8 million d'années, voire plus tôt).