Lorsqu'il est soumis à une tension trop forte, ce polymère rougit... Il est alors temps d'arrêter de le tordre. Pour obtenir ce signal, des physiciens américains ont inclus dans le matériau des molécules capables d'initier certaines réactions chimiques sous l'effet d'une contrainte mécanique.

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    Terreur du monde aéronautique, la crique est cette minuscule fissure qui affecte le métal quand il a trop « travaillé », comme disent les mécaniciens. A peine visible à l'œilœil nu (il faut souvent répandre un produit colorant spécial pour la mettre en évidence), elle peut néanmoins se transformer brutalement en une déchirure et conduire à une rupture en vol, un événement en général peu apprécié. Avec des pièces en polymère, la situation est plus ennuyeuse : la rupture peut se déclencher avant qu'il n'y ait eu la moindre crique. Or, on utilise de plus en plus les matières plastiquesmatières plastiques en aviation. L'aéronautique n'est pas la seule activité où l'on redoute les criques. Les constructeurs de ponts, par exemple, se sentent concernés aussi.

    Ce problème est tellement pris au sérieux que la chasse à la crique occupe désormais de nombreux chercheurs dans le monde. De multiples voies sont explorées et certains tentent même de les éliminer en rendant les matériaux auto-cicatrisants...

    Peut-être moins radicale mais sans doute plus accessible, une autre solution serait de faire en sorte que des contraintes mécaniques dépassant un seuil critique deviennent détectables.

    Une opportunité semble offerte par les matériaux au sein desquels une réaction chimique peut se déclencher sous l'effet d'une action extérieure, qui peut être thermique ou lumineuse. Par exemple, les verres de lunettes qui se teintent au soleil réagissent aux ultraviolets en changeant de structure chimique. Depuis quelque temps, certains se disent qu'une contrainte mécanique pourrait le faire aussi. En 2007, un groupe américain l'avait démontré en déclenchant des réactions chimiques à l'aide d'ultrasons.

    De la mécanique à la chimie

    Menée par le chimiste Jeffrey Moore (Department of Chemistry & Beckman Institute for Advanced Science and Technology), de l'université de l'Illinois à Urbana-Champaign, l'équipe avait travaillé avec des chaînes de polymères (du polyméthacrylate) au sein desquelles étaient incluses des moléculesmolécules cycliques. Les chimistes avaient notamment utilisé du spiropyrane. Ce composé photochrome bien connu change de conformationconformation (il passe d'un isomèreisomère à un autre) sous l'effet de la lumièrelumière.

    Ce matériaumatériau capable de réagir à une contrainte mécanique est appelé mechanophore en anglais. Les francophones semblent préférer l'expression transducteurs mécano-chimiques.

    L'équipe, toujours menée par Jeffrey Moore, est aujourd'hui allée un cran plus loin en obtenant un polymère solidesolide dopé au spiropyrane qui change de couleurcouleur sous l'action d'une déformation. Les chimistes ont préparé deux matériaux différents. Le premier est un élastomèreélastomère. Sous l'effet d'une forte traction, des fibres s'étirent puis changent brutalement de couleur juste avant de se rompre (voir la photographiephotographie au bas de l'article). Le second est un polymère rigide. Des billes de ce matériau ont été soumises à une forte pressionpression et, au-dessus d'un certain seuil, ont viré au violet.

    Ces chercheurs ont donc démontré que l'on peut effectivement concevoir un polymère capable de signaler une prochaine rupture. Il suffira alors d'un coup d'œil voire d'une analyse automatique par une caméra pour repérer immédiatement qu'une pièce a subi une contrainte trop importante et qu'il est temps de la changer.