Pendant les quatre minutes qu’a duré la descente fatale du vol AF 447, l’équipage n’a pas compris la situation dans laquelle se trouvait l’Airbus A330. L’avertisseur de décrochage semble avoir fonctionné à contretemps, explique le BEA. Après des révélations sur une possible autocensure du rapport concernant justement cette conclusion, les pilotes en veulent au BEA et le SNPL veut se désengager de l’enquête.

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    Vendredi dernier, 29 juillet, le BEA, Bureau d'enquêtes et d'analyses, chargé d'étudier les accidentsaccidents aériens, remettait un premier rapport complet sur le crash du vol AF 447 entre Rio-de-Janeiro et Paris, le 1er juin 2009. Une première publication avait déjà été publiée en mai dernier, relatant précisément ce que l'on savait des dernières minutes du vol, grâce aux enregistreurs de vol récupérés au fond de l'océan (voir tous les liens au bas de cet article). Entre les deux, la différence tient notamment à l'analyse des alarmes de décrochagedécrochage. Car l'enquête se focalise en effet autour de ce point.

    Alors que l'avion traversait une zone nuageuse et de fortes turbulences, il semble désormais clair que les sondes Pitot, dispositifs installés à l'extérieur et mesurant la vitesse de l'air (donc celle de l'avion par rapport à l'air), ont subi un givrage, ce qui a faussé les indications de vitesse. Cette première conclusion avait déjà conduit à une recommandation du BEA et Air France avait, sur tous ses avions, changé ces sondes Pitot (fabriquées par ThalèsThalès).

    L'enregistreur des paramètres de vol (<em>Flight Data Recorder</em>) de l'Airbus A330-203 F-GZCP retrouvé parmi les débris de l'avion entre 3.800 et 4.000 mètres de profondeur. La catastrophe a fait 228 victimes. © BEA

    L'enregistreur des paramètres de vol (Flight Data Recorder) de l'Airbus A330-203 F-GZCP retrouvé parmi les débris de l'avion entre 3.800 et 4.000 mètres de profondeur. La catastrophe a fait 228 victimes. © BEA

    Mais dans la nouvelle édition du rapport, qui pèse cette fois 117 pages, le BEA pointe un problème supplémentaire concernant le fonctionnement de l'alarme de décrochage. Elle se déclenche quand la vitesse devient trop faible ou, plus précisément, quand l'incidenceincidence devient trop forte, l'incidence étant l'angle de l'avion par rapport à son mouvement dans l'air. Entre le début des ennuis et le choc sur la surface de l'océan, cet avertisseur s'est déclenché puis s'est arrêté à plusieurs reprises.

    Or, il peut effectivement arriver que cette alarme se taise quand il ne faut pas. En effet, explique le BEA, elle se désactive toute seule quand la vitesse est vraiment trop faible, en l'occurrence à 60 nœuds (111 km/h) car en principe, à cette vitesse, l'avion est posé et il est inutile de la faire sonner pendant tout le roulage.

    Un indicateur qui fonctionne à l’envers

    Mais après la pénétration de l'avion dans la zone nuageuse et le givrage des Pitot, les indications de vitesse sont complètement faussées. De plus, il faut comprendre que le vol à haute altitude met l'avion dans une situation particulière. Les indications de vitesse, d'ailleurs, paraissent étranges pour un observateur non pilote : l'avion semble voler très lentement car la vitesse indiquée diminue avec l'altitude (parce que la pressionpression devient faible ; à la limite, la vitesse indiquée serait nulle dans le vide spatial). Cette valeur est néanmoins utile pour le pilotage. Une autre indication de vitesse est le nombre de Machnombre de Mach, qui, lui, intègre la pression. Pour un Airbus, cette valeur est d'environ 0,8 en croisière.

    Quand la pression est faible et que la vitesse est élevée, l'appareil atteint ses limites : les vitesses minimale et maximale (en Mach) sont très proches. La plage de vitesses est donc très étroite entre décrochage et survitesse. L'avion peut alors assez facilement sortir de son « domaine de vol », c'est-à-dire l'ensemble des paramètres aérodynamiques qui lui permettent de voler correctement. Et l'Airbus du vol AF 447 en est sorti.

    Un schéma montrant le domaine de vol en fonction de l'altitude (en ordonnées) et la vitesse, en Mach (en abscisses). On remarque que plus l'avion vole haut, plus la marge entre la vitesse minimale (Mmin) et la vitesse maximale (Mmax) se rétrécit. © BEA

    Un schéma montrant le domaine de vol en fonction de l'altitude (en ordonnées) et la vitesse, en Mach (en abscisses). On remarque que plus l'avion vole haut, plus la marge entre la vitesse minimale (Mmin) et la vitesse maximale (Mmax) se rétrécit. © BEA

    Dans le cockpit, les pilotes regardent des indicateurs de vitesse contradictoires, manifestement faux, et l'avertisseur de décrochage... se met à fonctionner à l'envers. La vitesse apparente étant très faible, il se désactive. Quand les pilotes poussent sur le manche, la vitesse augmente et, passant au-dessus du seuil de 60 nœuds, l'alarme se fait entendre. Entre vitesses manifestement erronées et avertisseur de décrochage fantaisiste, l'équipage, sans références visuelles extérieures, a eu bien du mal à comprendre la situation. Et dans les quatre minutes qu'a duré la descente, l'avion, qui perdait trois kilomètres d'altitude par minute, était décroché, le neznez bien en l'air.

    Rapport caviardé ?

    Le rapport du BEA daté du 29 juillet pointe plusieurs éléments qui ont conduit à la catastrophe. L'un d'eux met en cause les pilotes ou leur formation car l'équipage n'aurait pas appliqué les procédures prévues en cas « d'IAS douteuse » (IAS pour Indicated Air Speed, vitesse-air indiquée). Le rapport implique aussi explicitement le fonctionnement de l'avertisseur de décrochage, expliquant comment ses désactivations et réactivationsréactivations ont conduit les pilotes à penser, probablement, qu'il était aussi faux que les indicateurs de vitesse. Pourtant, à la fin du texte, le BEA énonce un certain nombre de recommandations, dont une meilleure formation aux procédures en cas d'IAS douteuse mais, curieusement, ne dit rien sur cette alarme, alors que les premières conclusions sur les tubes Pitot avaient conduit les experts à préconiser un remplacement.

    La solution a-t-elle été trouvée par le journal Les Échos ? Dans une version antérieure du rapport du BEA, datée du 25 juillet et qui n'a pas été rendue publique, il existerait, d'après l'article paru dans ce journal, une longue partie supprimée dans l'édition du 29 juillet et portant principalement sur le fonctionnement de cette alarme. Cette révélation, ainsi que la mise en cause de l'équipage, conduisent aujourd'hui le SNPL (principal syndicat des pilotes) à vouloir se désengager de l'enquête et à soupçonner le BEA d'un manque d'indépendance.

    Mais, même avec cette éventuelle correction, le rapport publié par le BEA pointe clairement une désactivation intempestive de l'alarme de décrochage. Quoi qu'il en soit, dans cette affaire où d'énormes intérêts sont en jeu, entre Airbus, Air France et Thalès, il est à peu près certain que des spécialistes, discrètement ou non, se pencheront sur l'ergonomie des indicateurs et notamment des alertes sur l'incidence et le décrochage.