Depuis quatre ans, une entreprise britannique planche sur un cahier des charges ambitieux : relier l'Europe à l'Australie en quatre heures avec un avion de ligne. Financé en partie par l'Esa, ce projet vient d'aboutir à un concept réalisable. Il ne reste qu'à le fabriquer. Rendez-vous dans 25 ans...

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    Les images font le tour du Web : un superbe avion hypersonique, baptisé A2, immense, taillé comme une fuséefusée, capable de voler à Mach 5, soit deux fois la vitesse du Concorde. On nous explique que cet engin reliera Bruxelles à Sydney en 4 h 40 et les informations précisent même le prix du billet : 3.500 dollars, soit environ 2.400 euros. Les mêmes articles de presse admettent toutefois que le prochain décollage aura lieu au mieux dans vingt-cinq ans.

    Un peu moins beau que le Concorde, tout de même, non ? © Reaction Engines

    Un peu moins beau que le Concorde, tout de même, non ? © Reaction Engines

    Mais pourquoi parle-t-on aujourd'hui de ce projet vieux de trois ans ? Et pourquoi se focaliser sur Bruxelles-Sydney ? L'histoire de l'A2 a commencé en 2005, avec le projet Lapcat (Long-Term Advanced Propulsion Concepts and Technologies), coordonné par l'Esa et financé pour moitié par l'Union européenne mais aussi par des partenaires privés et publics (EADSEADS, Snecma, universités de Stuttgart, de Rome et d'Oxford, entre autres). L'idée est de concevoir les grandes lignes d'un avion capable d'atteindre une vitesse comprise entre Mach 4 et Mach 8. L'exemple pris alors est celui d'un vol Bruxelles-Sydney effectué en 2 à 4 heures, en passant par l'ArctiqueArctique pour éviter le survolsurvol de zones habitées en mode supersonique ou hypersonique (c'est-à-dire au-dessus de Mach 5). Les Européens ne sont pas les seuls à imaginer un hypersonique. Au Japon, un démonstrateurdémonstrateur, HyShot, a volé en 2006 à Mach 8.

    La société britannique Reaction Engines est aussi de la partie. Son fondateur, Alan Bond, a travaillé sur le projet Hotol, mené par British Aerospace et Rolls-Royce, pour la mise au point d'un appareil capable de rallier l'orbite terrestre sans nécessiter de fusée porteuse, en décollant comme un avion. Repris par Reaction Engines, cette étude est devenue le projet Skylon, avec le même concept de motorisation hybridehybride, utilisant la réaction de l'oxygène et de l'hydrogène (qui donne de l'eau), comme sur un certain nombre de fusées (quand elles ne sont pas à poudre). Dans la basse atmosphèreatmosphère, les réacteurs du Skylon (baptisés Sabre) brûleraient de l'hydrogène liquide, embarqué dans un réservoir, et de l'oxygène prélevé dans l'atmosphère. Dans l'espace, l'oxygène serait amené d'un réservoir interne, comme dans un moteur de fusée.

    Le financement du projet Lapcat par l'Union européenne était de 36 mois, à compter d'avril 2005. Il arrive donc à son terme et Reaction Engines expose aujourd'hui ses résultats. Les belles images de synthèse sont une chose, les avancées concernant le moteur, moins spectaculaires mais plus concrètes, en sont une autre.

    Deux fois plus long qu'un A380... © Reaction Engines

    Deux fois plus long qu'un A380... © Reaction Engines

    Un géant des airs

    L'appareil, baptisé A2, serait gigantesque. Sa longueur atteindrait 143 mètres, soit deux fois celle de l'Airbus A380 (73 mètres). Ses ailes, en revanche sont en comparaison minuscules puisque l'envergure est moitié moindre que celle du même A380. La capacité serait de 300 passagers pour un rayon d'action de 20.000 kilomètres. Avec une vitesse de Mach 5, soit environ 5.000 kilomètres à l'heure à 25.000 mètres d'altitude, Sydney n'est plus, d'après Reaction Engines, qu'à quatre heures et 40 minutes de Bruxelles. L'A2 devra commencer son parcours en subsonique puis accélérer au-dessus de l'Arctique pour continuer le voyage en mode hypersonique. Un voyage transatlantique avec passage du mur du sonmur du son au-dessus de l'océan, comme le faisait le Concorde, est possible également. Mais la vitesse de Mach 5 pourra-t-elle être atteinte sur un simple Paris-New York ?

    A l'intérieur, les passagers seront privés de hublots, qui ne résisteraient pas aux températures très élevées. Mais ils pourraient profiter du spectacle, affirme Alan Bond au magazine The Guardian, si l'on dispose des caméras filmant l'extérieur et des écrans dans la cabine, à la place des hublots...

    Le réacteur Scimitar. A l'avant, en rouge, juste derrière le cône, l'échangeur de chaleur chargé de faire passer l'air de +1.000 °C à -140 °C. En jaune, la turbine principale (<em>Main Turbine</em>) et, derrière, la turbine annulaire (<em>Bypass Fan &amp; Hub Turbine</em>). La tuyère interne (<em>Core Nozzle</em>) peut s'élargir jusqu'à fermer le flux annulaire (<em>Bypass Nozzle</em>). © Reaction Engines

    Le réacteur Scimitar. A l'avant, en rouge, juste derrière le cône, l'échangeur de chaleur chargé de faire passer l'air de +1.000 °C à -140 °C. En jaune, la turbine principale (Main Turbine) et, derrière, la turbine annulaire (Bypass Fan & Hub Turbine). La tuyère interne (Core Nozzle) peut s'élargir jusqu'à fermer le flux annulaire (Bypass Nozzle). © Reaction Engines

    Refroidir de l'air à cinq mille kilomètres/heure

    L'appareil serait propulsé par des moteurs baptisés Scimitar (cimeterre), qui sont la réelle avancée de Reaction Engines. Comme le Sabre du Skylon en mode atmosphérique, les réacteurs de l'A2 utilisent l'oxygène de l'airair et de l'hydrogène liquide embarqué, ce qui lui vaut d'être appelé, improprement, « réacteur à hydrogène ». L'avion rejetterait donc surtout de l'eau, un bon point pour l'environnement, mais aussi des oxydes d'azoteoxydes d'azote, polluants notoires et puissants gaz à effet de serregaz à effet de serre. Et quid de l'effet sur la couche d'ozonecouche d'ozone ? Alan Bond reconnaît que c'est là un point à étudier.

    Cet engin serait capable d'avaler de l'air à Mach 5, dont la température atteindrait 1.000 °C, puis de le refroidir à -140 °C avant de le mélanger à l'hydrogène sortant de son réservoir dans lequel il était à l'état liquideétat liquide. Sans équivalent sur le marché, le système de refroidissement est la pièce maîtresse du futur Scimitar. L'échangeur de chaleur pèse 1.250 kgkg et est capable d'extraire 400 mégawatts du flux d'air à Mach 5. L'un des problèmes à résoudre est l'assèchement de l'air pour éviter que ce refroidissement brutal ne provoque la prise en glace instantanée de tout le réacteur...

    Tout n'est pas encore au point, c'est peu de le dire. Mais les ingénieurs se donnent encore un quart de siècle pour régler les derniers détails...