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    Après avoir identifié le sommeil paradoxalsommeil paradoxal comme moment privilégié du rêve, les scientifiques ont bien sûr voulu en savoir plus : comment, précisément, cette phase de sommeil paradoxal survient-elle ? Comment et où le rêve prend-il naissance dans notre cerveaucerveau ? De nombreux éléments manquent encore, mais les équipes du spécialiste du sommeil Michel Jouvet ont permis à la science d'avancer sur la question.

    Comment interpréter nos rêves ? © Toysf400, Shutterstock
    Comment interpréter nos rêves ? © Toysf400, Shutterstock

    Formation des images dans le cerveau et incohérence des rêves

    Premier constat : pendant la phase de sommeil paradoxal, les aires primaires visuelles sont désactivées, c'est-à-dire que les organes des sens ne transmettent pas d'information au cerveau. Pourtant, le cerveau continue de former des images dans d'autres aires visuelles plus élaborées : il semble qu'il fonctionne en autarcie et n'ait pas besoin d'images extérieures pour fonctionner. De la même manière que lorsqu'une personne ferme les yeuxyeux et fait un effort d'imagination, elle peut aisément visualiser le paysage de ses rêves, par exemple. Sauf que dans le cas du rêve, ce n'est pas sa volonté qui a fait un effort de rappel de cette image. Ce qui reste à investiguer, c'est la façon dont cette image s'est justement créée dans le cerveau.

    Ce que l'on sait, en revanche, c'est que le lobe préfrontal, qui gère en partie la cohérence des informations que nous recevons, est au repos pendant le sommeil paradoxal. Il n'y a donc plus de censure et notre cerveau ne sait plus faire la différence entre ce qui est vrai, ce qui ne l'est pas, ce qui est cohérent ou non. D'où la difficulté à raconter nos rêves au réveil : ils n'ont souvent ni queue ni tête et aucune trame logique.

    Comment le cerveau forme-t-il les rêves durant le sommeil paradoxal ? © Hank Grebe, mediaspin.com
    Comment le cerveau forme-t-il les rêves durant le sommeil paradoxal ? © Hank Grebe, mediaspin.com

    Naissance des rêves : une expérience sur des chats

    Les équipes de Michel Jouvet ont voulu comprendre ce qui provoquait cet état modifié du cerveau et vérifier où naissait précisément le sommeil paradoxal : y a-t-il un centre du rêve ? Ces chercheurs ont donc mené une expérience passionnante sur les chats. On savait déjà que le cortexcortex n'était pas indispensable au sommeil paradoxal. Les équipes se sont donc concentrées sur le tronc cérébraltronc cérébral et en ont ôté, peu à peu, de petites parties, notamment l'hypothalamushypothalamus et l'hypophysehypophyse, deux structures pourtant très importantes dans la régulation des humeurs. À chaque fois qu'ils ont sectionné une partie du tronc cérébral, ils constataient que les chats continuaient de vivre des périodes de sommeil paradoxal très régulières, dont ni la durée ni la fréquence n'étaient raccourcies.

    Deuxième étape de l'expérience : il ne reste plus que le pont, une structure qui fait le lien entre le cerveau et la moelle épinièremoelle épinière. Les chercheurs ont décidé de pratiquer des lésions bilatérales progressives sur cet élément. Très vite, ils se sont aperçu que, cette fois, les chats mutilés n'ont plus du tout de sommeil paradoxal : il semblerait donc que celui-ci prenne naissance dans ce pont, plus précisément au niveau de sa partie dorsolatérale.

    Le rôle des neurotransmetteurs

    Ces données ont été confirmées par des expériences histochimiques qui ont permis de montrer l'accumulation d'enzymes, responsable de la destruction des monoamines oxydases au niveau d'une structure toute proche, le complexe céruléen. Cela explique notamment que lorsqu'une personne a été privée pendant un certain temps de sommeil paradoxal, la durée du rêve, chaque nuit, augmente : les enzymes semblent réguler la libération de ces monoamines au long courslong cours. Cette théorie est aujourd'hui confirmée : ainsi, lorsqu'on injecte des inhibiteurs de la monoamine oxydase chez un individu, les phases de sommeil paradoxal (et donc le rêve dans sa version stricte) disparaissent.

    Schéma d'un neurone. 1. Mitochondrie ; 2. Vésicule synaptique avec des neurotransmetteurs ; 3. Autorécepteur ; 4. Fente synaptique avec neurotransmetteur libéré (ex : sérotonine ou dopamine) ; 5. Récepteurs postsynaptiques activés par neurotransmetteur (induction d'un potentiel postsynaptique) ; 6 Canal calcium ; 7. Exocytose d'une vésicule ; 8. Neurotransmetteur recapturé. © Mouagip, Wikipedia CC by-sa 3.0
    Schéma d'un neurone. 1. Mitochondrie ; 2. Vésicule synaptique avec des neurotransmetteurs ; 3. Autorécepteur ; 4. Fente synaptique avec neurotransmetteur libéré (ex : sérotonine ou dopamine) ; 5. Récepteurs postsynaptiques activés par neurotransmetteur (induction d'un potentiel postsynaptique) ; 6 Canal calcium ; 7. Exocytose d'une vésicule ; 8. Neurotransmetteur recapturé. © Mouagip, Wikipedia CC by-sa 3.0

    Reste à savoir comment cette monoamine oxydase agit ensuite sur le cerveau. Elle permet d'inactiver certains neurotransmetteursneurotransmetteurs de la classe des monoamines, tels que la noradrénalinenoradrénaline, la sérotoninesérotonine ou la dopaminedopamine. Tous ces neurotransmetteurs jouent, entre autres, un rôle sur la régulation de l'humeur et du sommeil. La monoamine oxydase a donc un effet indirect évident sur les différentes phases du sommeil. Plus tard, une équipe de chercheurs suédois du Karolinska Institut a permis de définir une topographie des circuits de ces neurotransmetteurs. Des systèmes qui auraient par ailleurs la possibilité de se contrôler mutuellement et que les chercheurs n'ont pas, loin de là, fini de décrypter.

    On sait notamment que la sérotonine est nécessaire à l'endormissement et au maintien de l'organisme dans un état de sommeil. Au matin, des inhibiteurs de la sérotonine entrent en action, sa concentration dans l'organisme diminue et nous nous réveillons. Les deux systèmes sont liés : si l'on inactive les neuronesneurones noradrénergiques, alors les neurones sérotoninergiques s'activent et la quantité de sommeil journalière augmente considérablement de même que, par ricochet, la quantité de rêve.

    Quelques neurotransmetteurs impliqués dans le sommeil : dopamine, acetylcholine et sérotonine. © DR
    Quelques neurotransmetteurs impliqués dans le sommeil : dopamine, acetylcholine et sérotonine. © DR

    Quant à la phase de sommeil paradoxal en particulier, les équipes de Michel Jouvet ont identifié, dans le tronc cérébral, les structures responsables de son activation. Il s'agit d'un ensemble de neurones SP-on, actifs pendant le sommeil paradoxal.

    Ces neurones possèdent leur équivalent inverse, les neurones SP-off, qui fonctionnent grâce à des neurotransmetteurs aminergiques (noradrénaline, sérotonine, histaminehistamine) : ils empêchent les neurones SP-on de fonctionner. C'est seulement lorsque leur action s'arrête que ces derniers peuvent « s'allumer » et déclencher le sommeil paradoxal.

    Schéma de l’organisation cellulaire du tissu nerveux. © Servier Medical Art
    Schéma de l’organisation cellulaire du tissu nerveux. © Servier Medical Art

    Autre particularité du sommeil paradoxal, métabolique cette fois : l'expérience a montré que la dépense énergétique de l'organisme en glucoseglucose et en oxygène était la même que pendant l'éveil : mieux vaut dont avoir bien mangé la veille au soir si l'on veut disposer de suffisamment d'énergieénergie pour rêver ! Les dépenses sont considérablement ralenties pendant le sommeil lent.

    Les enzymes sont donc responsables de la capacité de rêver ; plus il y en a, moins une personne rêve. Le mécanisme de ce dernier est donc bien biochimique, voire métabolique.