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    L'anthropologie a permis de démontrer que plusieurs milliers de soldats de l'armée de Napoléon étaient décédés à cause du froid et du typhus, et non sous les coups de l'armée russe. En juin 1812, Napoléon réunit 500.000 soldats issus de 20 nations (Autriche, France, Italie, Pologne, Suisse, etc.) pour attaquer la Russie.

    Retraite de Russie en 1812. © Michailowitsch Prjanischnikow, <em>Wikimedia commons</em>, DP
    Retraite de Russie en 1812. © Michailowitsch Prjanischnikow, Wikimedia commons, DP

    Lorsque l'armée napoléonienne s'empare de Moscou, le 14 septembre 1812, elle a déjà perdu 200.000 soldats. Les Russes ne capitulent pas, mais incendient Moscou, forçant Napoléon et son armée à abandonner la ville. C'est le début de la retraite de Russie. Le 5 décembre, les soldats de Napoléon atteignent Vilnius, en Lituanie. Il ne reste plus que quelques dizaines de milliers des 500.000 hommes qui ont franchi le Niémen six mois auparavant. L'hiverhiver est exceptionnellement dur, sans compter les ravages du typhus et de la dysenteriedysenterie, qui terrassent plusieurs milliers de soldats. Leurs cadavres sont jetés dans les tranchées creusées au mois de juin précédent. Lorsque les Russes arrivent à Vilnius, ils décident d'ensevelir les cadavres abandonnés pour éviter tout risque d'épidémieépidémie.

    Fouille du charnier de la Grande Armée de Napoléon à Vilnius par l'équipe de l'unité d'anthropologie (CNRS, université de la Méditerranée) en mars et avril 2002. © Olivier Dutour, UMR 6578, CNRS, université de la Méditerranée
    Fouille du charnier de la Grande Armée de Napoléon à Vilnius par l'équipe de l'unité d'anthropologie (CNRS, université de la Méditerranée) en mars et avril 2002. © Olivier Dutour, UMR 6578, CNRS, université de la Méditerranée

    Un charnier de la Grande Armée découvert à Vilnius

    En novembre 2001, lors de la constructionconstruction d'un complexe industriel à Vilnius, des ouvriers découvrent une fosse commune contenant au moins 3.000 squelettes. Les squelettes sont entassés sur une hauteur de trois mètres, à plusieurs mètres de profondeur, sur un espace de plus de 600 m2. Ils portent des boutons ou une pièce de cinq francs ornée du profil de Napoléon, ce qui permet d'affirmer qu'il s'agit des soldats de la Grande Armée.

    De plus, les boutons qui portent des numéros permettent d'identifier les régiments d'infanterie de ligne et de la garde impériale, de même que les régiments de la confédération du Rhin. Les archéologues et les anthropologues qui étudient les squelettes de ces jeunes soldats essaient d'évaluer la taille et l'âge des victimes, ainsi que l'état de leur dentition et les maladies dont ils souffraient. Bref, l'étude porteporte sur l'état sanitaire des jeunes soldats, avant le rapatriement des dépouilles en France.

    La retraite de Russie illustrée par Adolph Northen. Des 500.000 soldats qui ont franchi le Niémen, moins de 30.000 reviendront au même point. © DP
    La retraite de Russie illustrée par Adolph Northen. Des 500.000 soldats qui ont franchi le Niémen, moins de 30.000 reviendront au même point. © DP

    L'armée napoléonienne décimée par le froid et les maladies

    L'anthropologue lituanien Rimantas Jankauskas, qui a analysé des milliers d'ossements, a démontré que les soldats de Napoléon ne sont pas morts sous les tirs des cosaques, mais à cause du froid, des privations et des épidémies. Des chercheurs du CNRS de l'université de Méditerranée, en collaboration avec une équipe franco-lituanienne, ont analysé des résidus de terre, des tissus humains et des dents, ainsi que des uniformes de soldats de Vilnius. Ils ont démontré ainsi que 30 % des soldats de la Grande Armée de Napoléon sont décédés d'infections transmises par les poux. En effet, les soldats, victimes d'une mauvaise hygiène forcée, auraient succombé au typhus et aux autres fièvresfièvres dues à ces parasitesparasites. On a dénombré beaucoup plus de soldats français décédés à cause du typhus que tués par l'armée russe. Certains avancent même le chiffre de 500.000 soldats qui auraient péri à cause du typhus ! L'équipe, dirigée par Didier RaoultDidier Raoult, a utilisé une technique à base de kérosènekérosène permettant de séparer les poux des prélèvements effectués. Des restes de poux ont pu être identifiés dans les résidus de terre des tranchées et dans les uniformes des soldats. Biologiquement et morphologiquement, la bactériebactérie Bartonella quintana, qui est responsable de cette épidémie, a pu être identifiée.

    Grâce à une autre technique basée sur la pulpe dentaire (tissu mou vascularisé de la dent) qui consiste à ouvrir les dents afin d'en extraire la pulpe sous forme de poudre, le prélèvement du sang d'un soldat a permis l'analyse des fragments d'ADNADN responsables spécifiquement des bactéries qui ont contaminé les soldats par leur sang. D'ailleurs, la bactérie Bartonella quintana (surnommée la fièvre des tranchées) a également été retrouvée dans la pulpe dentaire de plusieurs soldats, ainsi que celle de Rickettsia prowazekii, responsable d'une autre forme du typhus. D'autre part, plusieurs squelettes présentent des membres fracturés, fractures causées par la manipulation des corps congelés. La présence de squelettes de sexe féminin démontre que des blanchisseuses, des cantinières et des vivandières accompagnaient le régiment.

    Les techniques utilisées par l'anthropologie ont permis non seulement d'identifier les causes du décès des soldats de Napoléon, mais également de réécrire une partie de l'histoire des troupes de Napoléon.

    Napoléon sur son lit de mort, peinture d'Horace Vernet, 1826. Les cheveux de l’empereur contenaient une grande quantité d’arsenic. © DP
    Napoléon sur son lit de mort, peinture d'Horace Vernet, 1826. Les cheveux de l’empereur contenaient une grande quantité d’arsenic. © DP

    Comment sonder la matière par le NanoSims

    L'instrument NanoSims (nano-secondary ion mass spectrography, spectromètre de masse à ions secondaires d'optique ionique modifié) permet de balayer la matière (objet à étudier) par un faisceau d'ions primaires. L'impact des ions primaires occasionne une série de heurts (percussions) atomiques qui provoquent un déplacement des éléments constitutifs de l'échantillon. Cet instrument permet d'obtenir une meilleure image des éléments biologiques, chimiques et géologiques observés.

    Par cette technologie d'imagerie, on peut suivre des molécules identifiées par un isotopeisotope. Il s'agit d'imager à haute résolutionrésolution la distribution d'ions élémentaires dans un échantillon. Il est donc possible d'extraire un élément de l'objet observé, d'obtenir une image en trois dimensions de celui-ci pour mieux connaître sa composition isotopique, et cela dans une grande résolution spatiale. Dans le cas de Napoléon, cette technique a permis de démontrer avec une grande précision la nature toxique de l'arsenic dans ses cheveux.