au sommaire


    Les voyages de gènesgènes changent fondamentalement notre conception de l'évolution. Les lignées ne font pas que diverger, devenir indépendantes les unes des autres sur un plan génétiquegénétique, sous l'effet de la compétition.

    Limace de mer. © EOL Learning and Education Group, CC by 2.0 
    Limace de mer. © EOL Learning and Education Group, CC by 2.0 

    Souvent, leurs instructions génétiques fusionnent. La majorité des êtres qui évoluent - c'est-à-dire les bactériesbactéries, les archéesarchées et, dans une moindre mesure, les eucaryoteseucaryotes - interagit génétiquement, recombine, se partage du matériel génétique ou le vole à d'autres. Les relations génétiques entre les lignées ressemblent assez à ces traces enchevêtrées que la mer laisse sur le sablesable des plages quand la marée descend. De loin, on croit voir de belles et nettes arborescences ; de près, on s'aperçoit qu'il s'agit d'un entrelacs de pistes creusées par l'écoulement de l'eau, qui se rejoignent, divergent et se rejoignent encore. Si un grain de sable était à nouveau emporté vers la mer dans ce réseau de rigoles en transformation permanente à mesure que l'eau le traverse, ce grain de sable passerait d'une rigole à l'autre et il ne serait ni facile ni peut-être même possible d'en prédire la trajectoire. De la même façon, l'ADNADN circule dans les lignées et entre les lignées tout en contribuant à leur transformation permanente. L'ADN emprunte une diversité de canaux génétiques, grands et petits, parcourant des connexions verticales et latérales pour transiter d'un être à l'autre par hérédité ou par mobilité. Un gène particulier peut ainsi explorer le vaste monde biologique sans rester coincé dans sa branche généalogique initiale.

    Le phénomène de transduction. Dans le cadre de son cycle de vie, un bactériophage (virus infectant des bactéries) porteur d’instructions génétiques (en mauve) injecte son ADN dans une bactérie. Certains de ses descendants repartent sous forme de particules virales en emportant de l’ADN (en vert) de la bactérie hôte. Ces bactériophages peuvent à leur tour acheminer cet ADN dans une autre bactérie, dont l’ADN devient mosaïque (par exemple vert et rouge à l’étape 6). © Reytan, DP
    Le phénomène de transduction. Dans le cadre de son cycle de vie, un bactériophage (virus infectant des bactéries) porteur d’instructions génétiques (en mauve) injecte son ADN dans une bactérie. Certains de ses descendants repartent sous forme de particules virales en emportant de l’ADN (en vert) de la bactérie hôte. Ces bactériophages peuvent à leur tour acheminer cet ADN dans une autre bactérie, dont l’ADN devient mosaïque (par exemple vert et rouge à l’étape 6). © Reytan, DP

    Comment cela est-il possible ? L'évolution, sous l'action de la sélection naturellesélection naturelle, a favorisé la mise en place de nombreuses structures et de nombreux mécanismes permettant à l'ADN de bouger et de s'établir au sein d'un porteur, soit en changeant de position dans une molécule d'ADN, soit en changeant de molécule d'ADN lorsque la cellule en contient plusieurs. Et les gènes ne se contentent pas de faire des sauts de puce. Pour eux, la membrane ou la paroi cellulaire n'est pas un indépassable plafond de verre, mais la ligne de départ vers un autre horizon.

    Le phénomène de conjugaison. Une bactérie porteuse d’ADN sous forme chromosomique (en rouge) et sous forme d’un plasmide conjugatif (en bleu) peut servir de donneuse d’instructions génétiques. Le plasmide conjugatif code la formation d’un pilus qui va amarrer la bactérie qui le contient à une autre bactérie. Ce plasmide code aussi des mécanismes moléculaires lui permettant de transférer un des brins de son ADN dans la cellule à laquelle son hôte bactérien est accroché. À la fin du processus, les instructions génétiques portées par le plasmide sont présentes dans les deux bactéries. © Adenosine, CC by-sa 3.0
    Le phénomène de conjugaison. Une bactérie porteuse d’ADN sous forme chromosomique (en rouge) et sous forme d’un plasmide conjugatif (en bleu) peut servir de donneuse d’instructions génétiques. Le plasmide conjugatif code la formation d’un pilus qui va amarrer la bactérie qui le contient à une autre bactérie. Ce plasmide code aussi des mécanismes moléculaires lui permettant de transférer un des brins de son ADN dans la cellule à laquelle son hôte bactérien est accroché. À la fin du processus, les instructions génétiques portées par le plasmide sont présentes dans les deux bactéries. © Adenosine, CC by-sa 3.0

    La traversée des gènes voyageurs

    Traverser les frontières biologiques pose deux problèmes à l'ADN voyageur : comment peut-il entrer dans les cellules et en sortir ? Les scientifiques ont pu observer trois types de solutions permettant à l'ADN de franchir parois et membranes. Toutes trois impliquent l'intervention d'autres structures biologiques qui sont elles-mêmes capables de franchir une, voire deux enveloppes cellulaires. Tout d'abord, les gènes voyageurs peuvent entrer dans un nouvel hôte... en se faisant dévorer. Ensuite, ils peuvent emprunter des navettes génétiques qui traversent les membranes, comme les virus. Ces navettes sont bien plus nombreuses que le sont les cellules : il y en a partout, du sous-sol à l'air que nous respirons. On trouve entre un million et un milliard de virus dans un centimètre cube d'eau. Enfin, l'ADN migrateurmigrateur peut circuler plus ou moins clandestinement avec d'autres matériaux biologiques, emporté par des vecteurs, comme les vésicules extramembranaires, dont la fonction biologique première n'est pas forcément l'expédition d'ADN hors de la cellule.

    La limace de mer, <em>Elysia chlorotica. </em>Cet animal de couleur verte se nourrit d’algues photosynthétiques et capture leurs chloroplastes. La limace s’alimente alors comme une plante : d’eau, d’air et de lumière. L’ADN de la limace contient des instructions génétiques permettant de faire fonctionner ces « usines photosynthétiques » prélevées dans les algues, car elle a intégré certains gènes de cette proie au sein de son propre matériel héréditaire. Cet animal est donc devenu une limace-bactérie. © EOL Learning and Education Group, cc by 2.0
    La limace de mer, Elysia chlorotica. Cet animal de couleur verte se nourrit d’algues photosynthétiques et capture leurs chloroplastes. La limace s’alimente alors comme une plante : d’eau, d’air et de lumière. L’ADN de la limace contient des instructions génétiques permettant de faire fonctionner ces « usines photosynthétiques » prélevées dans les algues, car elle a intégré certains gènes de cette proie au sein de son propre matériel héréditaire. Cet animal est donc devenu une limace-bactérie. © EOL Learning and Education Group, cc by 2.0

    En raison de tous ces échanges, l'évolution signifie aussi coopération, voire convergence, quand des copies du même gène voyageur se retrouvent chez des êtres qui ne sont pas forcément des parents directs, mais plus simplement des voisins. Parfois, ces voisins entre lesquels ces gènes circulent, comme la grippegrippe qui se transmet entre les humains présents dans le même espace, étaient juste là par hasard. D'autres fois, ils ont contribué à la mise en mouvement de l'ADN ou l'ont provoquée. À la descendance avec modification s'ajoute donc une dimension évolutive majeure : le partage avec modification.

    Ce flux, cette valse des instructions génétiques, et cette promiscuité moléculaire ont de nombreuses conséquences. Ils transforment les vivants, ils créent des liens fonctionnels et écologiques entre eux, ils créent de nouvelles formes de gènes et de nouvelles formes de vie. Au final, le vaste monde est empli d'hybrideshybrides, de chimèreschimères, de mélanges, de particules génétiques en mouvement, de mécanismes qui distribuent l'ADN et d'autres qui tâchent d'empêcher ces voyages de gènes, transgressifs et créateurs. Mais une chose est sûre : nous, les vivants, nous sommes tous des mosaïques génétiques.