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    Au début des années 1980, on croyait presque tout savoir sur les bactériesbactéries, sur « La » bactérie ! On a alors voulu connaître la manière dont ces bactéries vivent dans la nature. Et là on est allé de surprise en surprise.

    Isolement d'une bactérie. © Rizzelli Stefania, <em>Wikimedia commons,</em> CC by-sa 4.0
    Isolement d'une bactérie. © Rizzelli Stefania, Wikimedia commons, CC by-sa 4.0

    État de notre connaissance des bactéries

    Première surprise, la très grande majorité des bactéries nous sont inconnues parce qu'on ne peut pas les cultiver en laboratoire. On peut les voir au microscope, et on a appris à étudier leur ADNADN, pour les placer dans la classification des bactéries, à avoir parfois quelques idées sur leurs fonctions, mais pas à les cultiver. C'est une première façon de comprendre la phrase « une bactérie, ça n'existe pas ».

    Photo en épifluorescence d'un biofilm (ensemble de bactéries). © <em>Ricardo Murga and Rodney Donlan</em>, Domaine public
    Photo en épifluorescence d'un biofilm (ensemble de bactéries). © Ricardo Murga and Rodney Donlan, Domaine public

    Mode de vie des bactéries : le biofilm

    Deuxième surprise, dans la nature, les bactéries sont assez rarement libres dans un milieu liquide (sauf au milieu des océans). Très souvent elles sont fixées à tout ce qui peut servir de support, sous forme de biofilms. Qu'est-ce qu'un biofilm ? C'est un ensemble de bactéries, pas forcément de la même espèceespèce, fixées à un support à l'intérieur d'une sorte de gangue formée par des filaments, du mucusmucus et des protéinesprotéines, fabriqués par les bactéries elles-mêmes.

    À l'intérieur de ces biofilms, les bactéries peuvent être très différentes de ce qu'elles sont quand on les cultive en laboratoire (pour celles, bien sûr que l'on peut cultiver). Mais de plus, il est particulièrement difficile de distinguer l'intérieur et l'extérieur des bactéries. Par exemple, la gangue qui entoure le biofilm, formée de productions bactériennes, parfois libérées hors de la membrane, comme les vésicules, parfois liés au corps bactérien comme les pili et les flagellesflagelles, font-ils partie de l'intérieur ou de l'extérieur ? Qu'est-ce qu'une bactérie ?

    Les cinq étapes du développement d'un biofilm sur une surface dure. Étape 1 : attachement initial ; étape 2 : attachement irréversible ; étape 3 : apparition et maturation I du biofilm ; étape 4 : maturation II ; étape 5 : dispersion. Les photomicrographies (toutes à même échelle) sont celles d'un biofilm de <em>Pseudomonas aeruginosa</em> en développement. © D. Davis CC paternité 2.5 générique
    Les cinq étapes du développement d'un biofilm sur une surface dure. Étape 1 : attachement initial ; étape 2 : attachement irréversible ; étape 3 : apparition et maturation I du biofilm ; étape 4 : maturation II ; étape 5 : dispersion. Les photomicrographies (toutes à même échelle) sont celles d'un biofilm de Pseudomonas aeruginosa en développement. © D. Davis CC paternité 2.5 générique

    Les bactéries en croissance ne sont pas toutes identiques

    Des chercheurs sont ensuite, (en 2000, précisément) allés regarder de plus près ce qui se passe dans une culture pure, en laboratoire et là, nouvelle surprise : avec des techniques plus précises (marquage à la GFPGFP et cytométrie de flux), ils ont découvert que même dans ces conditions, les bactéries en croissance ne sont pas toutes identiques. À nouveau on peut dire, « une bactérie, ça n'existe pas », parce que ces différences indiquent que l'unité de fonctionnement est la population (si elles sont toutes de la même espèce), ou la communauté (lorsqu'elles elles appartiennent à des espèces différentes). Cette unité de fonctionnement ne ressemble certes pas à un métazoairemétazoaire, les bactéries ne sont pas les cellules d'un organisme multicellulaire, mais ce ne sont pas non plus des organismes indépendants, tous identiques. On doit les penser comme des éléments relativement peu autonomes, constituant des populations en interaction constante et réciproque entre elles et avec leur environnement. 

    Des vésicules, formées à partir de la membrane externe de certaines bactéries, et contenant des protéines spécifiques, se séparent de cette membrane et migrent à l'extérieur. Font-elles partie de l'intérieur ou de l'extérieur des bactéries ? © Autorisation de Laurency et Driouitch, université de Rouen
    Des vésicules, formées à partir de la membrane externe de certaines bactéries, et contenant des protéines spécifiques, se séparent de cette membrane et migrent à l'extérieur. Font-elles partie de l'intérieur ou de l'extérieur des bactéries ? © Autorisation de Laurency et Driouitch, université de Rouen

    Les molécules de quorum sensing

    Parmi ces interactions, il faut mentionner (quatrième surprise) de petites molécules, produites par les bactéries, et qui rétroagissent sur elles lorsque la densité cellulaire est élevée. On les nomme les molécules de « quorum sensing » car elles indiquent en quelque sorte aux bactéries d'une population l'état de densité de cette population, ce qui leur permet de réagir avec leur environnement en fonction de cette densité. En quelque sorte, elles font elles-mêmes partie de leur environnement.

    Les bactéries se modifient et modifient leur environnement

    La permanence de ces interactions signifie aussi que l'équilibre apparent n'est en fait qu'un état stationnaire où ce sont les transformations qui s'équilibrent. Non seulement les bactéries se modifient sans cesse en fonction de leur environnement, mais elles modifient sans cesse cet environnement. Leur environnement immédiat ou microenvironnement certes, non seulement le milieu inerte où elles baignent, mais aussi, les organismes qu'elles côtoient et avec lesquels elles entretiennent des interactions multiples, y compris elles-mêmes. On sait par exemple que nous, être humains, abritons plus de bactéries que nous n'avons de cellules, et que la présence de ces bactéries est indispensable à notre santé. Inversement bien sûr, notre présence est devenue indispensable à la vie de ces bactéries. Mais l'environnement des bactéries peut être aussi bien plus étendu. Ce sont elles qui, à l'échelle de la planète, contribuent de façon majeure à maintenir constante la composition de l'air. (Il est vrai que les habitants humains de cette planète sont en train de leur rendre la tâche impossible en ce qui concerne le CO2 notamment).

    Conclusion sur la conception et la description des bactéries

    En somme, dire « Une bactérie, ça n'existe pas », signifie que les bactéries doivent se concevoir, non pas isolément, mais à travers ces interactions réciproques avec leurs environnements. Cela signifie que l'extérieur et l'intérieur des bactéries ne sont pas si facilement distinguables, en dépit de l'existence d'une membrane censée, d'après les manuels de microbiologie être une « barrière » entre l'intérieur et l'extérieur. On peut dire, en paraphrasant les Beatles, que « The inside is out and the outside is in ». Interne et externe représentent ici une contradiction dialectique, d'une part parce qu'ils forment une unité indissociable en dépit de leur nature contraire, et d'autre part parce que cette contradiction ne peut se dépasser qu'à un niveau d'organisation supérieur. Une bactérie n'est ni un organisme unicellulaire isolé, ni une cellule participant à un organisme pluricellulaire (métazoaire). Mais il existe divers niveaux d'organisation selon l'unité de fonctionnement que l'on considère : population, communauté, colonie, biofilm, chaînes nutritives... selon les environnements non seulement proches, mais lointains auxquels on s'intéresse.