En montrant que le cerveau est capable d'accéder au sens émotionnel des mots présentés de manière subliminale, et pas seulement aux lettres qui le constituent, des chercheurs de l'unité Inserm « Neuroimagerie cognitive » et de l'Hôpital Pitié-Salpêtrière (AP-HP) prouvent que les processus mentaux inconscients sont certainement beaucoup plus riches qu'on ne l'estimait jusqu'à présent puisqu'ils intègrent des notions aussi abstraites que le champ sémantique.

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    Neurophysiologie : le sens des mots accessible inconsciemment

    Neurophysiologie : le sens des mots accessible inconsciemment

    Ces travaux dirigés par Lionel Naccache sont publiés dans les Proceedings of the National Academy of Science.

    On sait depuis longtemps que notre cerveau est capable de traiter des informations issues de l'environnement sans que nous en soyions conscients. Mais quelles sont les limites de ces processus mentaux inconscients ? Cette question agite la communauté des neurosciences cognitives depuis plusieurs décennies.

    La plupart des processus mentaux inconscients mis en évidence portent sur des représentations cognitives non abstraites. On sait par exemple que la morphologie d'un mot et les lettres qui le composent sont accessibles inconsciemment. En revanche la perception de la signification des mots reste très discutée. De même, les images subliminales, c'est-à-dire présentées trop brièvement pour être perçues consciemment, font débat quant au niveau de traitement effectué par le cerveau de l'individu. Il reste probablement à un niveau sommaire, sans accès au sens de l'image.

    L'étude menée par l'équipe Inserm de Lionel Naccache, en collaboration avec les services de neurophysiologie clinique, neurologie et neurochirurgieneurochirurgie de l'hôpital Pitié-Salpêtrière et publiée dans Proceedings of the National Academy of Science (PNAS) montre pourtant que ces processus mentaux inconscients peuvent atteindre des niveaux très abstraits.

    Les chercheurs ont utilisé la technique de présentation visuelle subliminale : ils ont flashé brièvement des mots à des patients, avec une duréedurée d'apparition ne permettant pas une lecture consciente. Ces patients épileptiques -dont la prise en charge médicale nécessitait l'implantation transitoire d'électrodesélectrodes profondes intra-cérébrales dans une perspective chirurgicale- leur ont permis d'observer directement l'impact de cette présentation subliminale au niveau du cerveau. Chez les trois patients qui se sont prêtés à cette étude, les électrodes ont été implantées dans une région incluant une structure cérébrale fondamentale pour la régulation de réactions émotionnelles : l'amygdale cérébrale.

    L'activité électrique de l'amygdale de ces patients a été enregistrée pendant qu'on leur présentait diverses séquences de mots : effrayants (ex : danger, tuer), neutres ou gais (ex : cousin, sonate). Chez chacun de ces trois patients, les scientifiques ont détecté une réponse reproductible de l'amygdale liée à la valeur émotionnelle de ces mots inconsciemment perçus. Cette réponse de l'amygdale témoigne ainsi d'un décodage inconscient préalable de la signification de ces mots, et de l'extraction de leur contenu émotionnel. Afin de valider ces résultats, les chercheurs ont inclus à l'expérience la présentation de mots consciemment perceptibles, ce qui a permis de démontrer que la même région s'activait également avec une perception consciente du sens émotionnel de ces mots.

    Bien que ces patients soient épileptiques, les chercheurs précisent que les régions du cerveau étudiées n'étaient pas impliquées dans leur maladie et que les résultats obtenus peuvent donc être généralisés à des sujets sains. Ces travaux suggèrent également que le sujet a réalisé un traitement global de la valeur sémantique du mot, en amont de cette réaction émotionnelle. L'équipe envisage donc de nouvelles recherches au niveau des étapes précoces de traitement sémantique inconscient.

    Cette étude menée grâce à une collaboration efficace entre des équipes de recherche fondamentale et des cliniciens permet d'enrichir notre vision des processus mentaux non conscients, longtemps perçus comme "stupides", automatiques ou rigides alors qu'ils se révèlent pouvoir atteindre les niveaux les plus riches et les plus abstraits de nos représentations mentales.