Une équipe de cinquante physiciens, chimistes, géochimistes et biologistes, se trouve, à bord du navire scientifique Marion Dufresne de l'IPEV, dans un laboratoire naturel exceptionnel : le plateau des îles Kerguelen. Alors que l'océan Austral est globalement très pauvre en phytoplancton, près des îles Kerguelen, sa prolifération est au contraire très importante à cette période de l'année. La mission KEOPS (Kerguelen : Etude comparée de l'Océan et du Plateau en Surface et subsurface), dirigée par Stéphane Blain et effectuée dans le cadre du programme PROOF de l'INSU, a pour objectif de mieux comprendre ce phénomène, notamment en mesurant la concentration en fer dans ces eaux. L'enjeu est de taille dans le domaine du changement climatique : le phytoplancton est à la base de toute la vie aquatique, qui absorbe du CO2 et le piège au fond de l'océan (pompe biologique).

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    <br />Mission KEOPS.&copy; IPEV. CNRS.


    Mission KEOPS.© IPEV. CNRS.

    Depuis plus d'un siècle l'océan soutire chaque année environ un tiers du carbonecarbone anthropique rejeté dans l'atmosphèreatmosphère, grâce à deux mécanismes. D'une part, la "pompe physiquephysique" entraîne, par le biais de la circulation océanique, des eaux de surface chargées en CO2 vers des couches plus profondes où il se trouve isolé. D'autre part, la "pompe biologique" fixe du carbone, soit dans les tissus des organismes via la photosynthèsephotosynthèse, soit dans les coquilles calcairescalcaires de certains micro-organismes. Une partie de ce carbone est ensuite entraîné en profondeur sous forme de déchetsdéchets ou de cadavres. Mais l'assimilation de CO2 par cette pompe biologique n'est pas plus importante depuis le début de l'ère industrielle. La cause ? Le phytoplanctonphytoplancton, à la base de la pompe biologique marine, est très peu présent et efficace dans le vaste océan Austral... sauf dans certaines régions très localisées, comme les îles du plateau Kerguelen, où une prolifération exceptionnelle a lieu à cette période de l'année !

    <br />Mission KEOPS. Ces images fournies par les satellites d'observation de la couleur de l'eau montrent la floraison des algues microscopiques (artificiellement colorée en rouge sur l'image) autour des îles Kerguelen. &copy; ACRI. MERIS. MODIS.


    Mission KEOPS. Ces images fournies par les satellites d'observation de la couleur de l'eau montrent la floraison des algues microscopiques (artificiellement colorée en rouge sur l'image) autour des îles Kerguelen. © ACRI. MERIS. MODIS.

    L'équipe de la mission KEOPS a embarqué sur le navire océanographie Marion Dufresne de l'IPEV il y a un peu plus d'un mois en direction de cet oasis de vie. C'est l'occasion idéale de mesurer le transfert de carbone vers les profondeurs. Et aussi de répondre à la question : pourquoi le phytoplancton se développe si bien aux alentours du plateau des Kerguelen et pas ailleurs dans l'océan Austral ?

    Dans les deux cas, les sels nutritifs dont il se nourrit sont très abondants... Alors de quoi d'autre les cellules de phytoplancton ont-elles besoin pour leur développement ? Diverses expéditions océanographiques ont démontré que les alguesalgues étaient généralement carencées en ferfer. Alors que des expériences de fertilisation artificielle ont eu lieu, la fertilisation naturelle de l'océan par le fer n'avait pas encore été étudiée. C'est un des objectifs principaux de la mission KEOPS. Une hypothèse de base que la mission doit tester est : la floraison exceptionnelle sur ce plateau serait due à la présence de fer dans ces eaux. Stéphane Blain propose même un scénario expliquant cette concentration supposée élevée en fer autour du plateau. Les sédimentssédiments des fonds marins sont assez riches en fer. A leur contact, l'eau de mer profonde peut donc s'enrichir. Au niveau du plateau un mécanisme complexe entre les ondes de maréemarée et la forme du plancherplancher océanique pourrait entraîner ces eaux riches jusqu'à la surface alors que dans le reste de l'océan elles sont cantonnées dans les profondeurs. Reste à le vérifier sur le terrain... au milieu des éléments déchaînés des quarantièmes rugissants.

    Le 17 janvier, la mission KEOPS approche des îles Kerguelen où une étape est prévue le lendemain. Tout le monde sent le bateau basculer une fois, deux fois, trois fois, l'amplitude est devenue telle que plus rien ne tient debout et c'est une pluie de vaisselle dans la salle à manger, un envol de papiers et d'ordinateursordinateurs dans le PCPC (salle de travail des scientifiques). Mais au bilan peu de dégâts, peut-on lire dans le journal de bord de la mission. Deux semaines plus tard, la météométéo n'est pas plus favorable : Depuis hier 30 janvier nous sommes au cœur d'une très profonde dépression (953 hPa) qui génère des ventsvents violents jusqu'à près de 100 km/h dans les rafales et de forte vaguesvagues.

    <br />Mission KEOPS. Laboratoire "blanc" situé dans un caisson à l'arrière du Marion Dufresne.&copy; IPEV. CNRS


    Mission KEOPS. Laboratoire "blanc" situé dans un caisson à l'arrière du Marion Dufresne.© IPEV. CNRS

    En soi, la réalisation des mesures est déjà complexe : mesurer la concentration en fer nécessite des précautions particulières pour éviter toute contamination par la présence du bateau. Ainsi l'eau est prélevée par des bouteilles très propres installées sur un câble en kevlarkevlar. Le container situé tout à l'arrière du Marion semble plutôt commun, pourtant à l'intérieur se trouve un laboratoire "blanc ", ultra propre, où sont réalisées les mesures.

    Et dans ces conditions météorologiques, il faut être patient et attendre encore ... pour reprendre la mise à l'eau des équipements de prélèvement. Une patience qui devrait bien être récompensée : Les premiers résultats obtenus à bord excitent ... la curiosité de l'équipe scientifique, écrivaient-ils le 30 janvier.