Un crocodile fossile de près de six mètres vient d'être baptisé en l'honneur du rocker Ian Fraser Kilmister, plus connu sous le nom de Lemmy. Cette nouvelle espèce n'est pas une découverte mais la reclassification d'un crocodilomorphe marin qui vivait sur Terre il y a plus de 160 millions d'années. L'anecdote n'est pas à ranger dans la rubrique « people » mais en paléontologie, dans l'histoire du Jurassique et de sa faune.

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    Devant l'allure du crânecrâne de ce fossile, Lorna Steel, conservatrice au Natural History Museum (NHM, Londres), a proposé de baptiser celui-ci en l'honneur de Ian Fraser Kilmister (1945-2015), leader du groupe Motörhead, alias « Lemmy » et dont elle dit être une fan. Voilà donc Lemmysuchus, littéralement « le crocodile de Lemmy », intronisé dans le bestiaire du Jurassique moyen, un nouveau genre de la famille des téléosauridés. C'est ce qu'elle explique dans un communiqué du NHM, estimant que le pionnier du heavy metal aurait aimé boire un verre à la santé « d'une des plus méchantes créatures marines ayant vécu sur la Terre ».

    L'animal était présent il y a 164 millions d'années, dans les eaux côtières de ce qui est aujourd'hui l'Europe. Il mesurait 5,80 m environ et son crâne atteignait 1 m. D'après Michela Johnson, doctorante et coauteur de l'article paru dans le Zoological Journal of the Linnean Society, il devait être l'un des plus grands prédateurs de ce milieu. En fait découvert au siècle dernier, ce crocodilomorphe n'est pas un inconnu. Sa famille, les téléosauridés, disparue à la fin du Jurassique ou au début du Crétacé, comprend plusieurs espèces, cousines des crocodilienscrocodiliens actuels.

    Le crocodile de Lemmy vient d'attraper une proie. © Mark Witton, NHM

    Le crocodile de Lemmy vient d'attraper une proie. © Mark Witton, NHM

    Un monde de redoutables crocodilomorphes

    Ces téléosauridés étaient largement répartis sur le Globe, présents sur la Laurasie et le GondwanaGondwana, les deux supercontinentssupercontinents de l'époque, situés respectivement au nord et au sud de la planète. Avec leur museau pointu, ils ressemblaient à nos gavials et font partie de ces crocodilomorphes adaptés à la vie marine (avec les métriorhynchidés). Pourtant, leurs dents larges paraissent très bien adaptées pour casser les coquillages et même briser des carapaces de tortuestortues.

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    Un crocodile géant avec des dents de tyrannosaure vient d’être identifié

    Les fossiles sont nombreux car ces reptilesreptiles étaient diversifiés avant la catastrophe de la fin du Crétacé. Sur la terre ferme, la taille respectable d'autres cousins, montés sur des pattes bien plus hautes, devait en faire de redoutables prédateurs, qui n'avaient rien à envier aux dinosaures carnivorescarnivores. C'était par exemple le cas de Razana, avec sa longueur de 7 m pour un poids voisin de la tonne.

    Le crâne d'un <em>Steneosaurus leedsi</em> (ici en photo) avait été retrouvé dans la même formation argileuse que le fossile de <em style="text-align: justify;">Lemmysuchus </em>et les deux avaient d'abord été classés dans le même genre. Mais les différences sont trop nombreuses. Par exemple, le <em>Steneosaurus leedsi</em>, avec son museau très allongé et sa dentition plus fine, semble davantage adapté pour se nourrir de poissons plutôt que de coquillages. © NHM

    Le crâne d'un Steneosaurus leedsi (ici en photo) avait été retrouvé dans la même formation argileuse que le fossile de Lemmysuchus et les deux avaient d'abord été classés dans le même genre. Mais les différences sont trop nombreuses. Par exemple, le Steneosaurus leedsi, avec son museau très allongé et sa dentition plus fine, semble davantage adapté pour se nourrir de poissons plutôt que de coquillages. © NHM

    Que s'est-il passé à la fin du Jurassique ?

    La classification est malaisée car les squelettes, incomplets, forment des sortes de puzzles. C'est l'un d'eux qu'ont revisité Michela Johnson et ses collègues, en étudiant des restes d'une espèce jusque-là baptisée Steneosaurus obtusidens. Mauvaise classification, ont conclu ces paléontologistes. Le fossile ne peut appartenir à ce genre. Il fallut donc lui en forger un nouveau. Ainsi apparut Lemmysuchus obtusidens.

    La faunefaune de cette époque n'est qu'imparfaitement connue. Il reste notamment à comprendre ce qui a causé la disparition de nombreuses espèces à la fin du Jurassique, sur les terres émergées comme dans les océans. L'histoire des crocodilomorphes, très affectés lors de cette transition vers le Crétacé, a sûrement beaucoup de choses à nous apprendre.


    Mission en Amazonie péruvienne : à la recherche d'un crocodile géant

    Communiqué de l'IRDIRD publié le 15 août 2005

    Samedi 13 août 2005, pour la première fois depuis cinquante ans, une équipe d'une dizaine de scientifiques de l'IRD et d'autres organismes péruviens sont partis en expédition sur l'arche de Fitzcarrald, en Amazonie péruvienne, pour trouver des restes de vertébrésvertébrés géants fossiles et, plus particulièrement, du Purussaurus, un crocodilecrocodile géant âgé de 20 millions d'années.

    Il y a une cinquantaine d'années, un maxillairemaxillaire du crocodile géant Purussaurus a été découvert lors d'une première expédition sur l'Arche de Fitzcarrald, dans le Sud de l'Amazonie péruvienne, et a permis la reconstitution du crâne présentée au Musée d'Histoire Naturelle de l'Université de San Marcos de Lima (MUSM). Depuis, cette zone riche de grands vertébrés fossiles mais très difficile d'accès n'a fait l'objet d'aucune mission scientifique. Cette région est d'autant plus intéressante qu'elle est en altitude et fortement incisée par les cours d'eau, qui mettent ainsi au jour les sédimentssédiments les plus anciens du bassin amazonien.

    Reconstitution du crâne du <em>Purussaurus</em> réalisée par le MUSM (comparé au grand caïman noir actuel). © François Pujos (IFEA)

    Reconstitution du crâne du Purussaurus réalisée par le MUSM (comparé au grand caïman noir actuel). © François Pujos (IFEA)

    Le 13 août 2005, quand les cours d'eau sont à leur plus bas niveau et permettent d'observer plus facilement les affleurementsaffleurements géologiques, une dizaine de scientifiques (géologuesgéologues, paléobotanistes et paléontologuespaléontologues) français et péruviens de l'IRD, du LMTG (UR-154), de Perupetro, de l'IFEA (Institut français d'études andines) et du MUSM sont partis en expédition sur l'arche de Fitzcarrald, entre le village d'Atalaya et le Rio Inuya afin de trouver des restes de vertébrés géants fossiles et, plus particulièrement, du crocodile géant Purussaurus, et d'étudier leurs paléoenvironnements géologiques, climatiques et biologiques.

    Localisation de l'aire de prospection de l'expédition Fitzcarrald 2005. © IRD

    Localisation de l'aire de prospection de l'expédition Fitzcarrald 2005. © IRD

    Depuis deux ans, des géologues et des paléontologues de l'IRD et du LMTG de Toulouse (UR-154), de Perupetro, de l'IFEA et du Musée d'Histoire Naturelle de l'Université de San Marcos de Lima (MUSM) ont créé un projet pluridisciplinaire ayant comme objectif de reconstituer l'histoire géologique et paléoenvironnementale (paléodiversité, paléoclimat et paléogéographiepaléogéographie) du bassin amazonien durant ces vingt derniers millions d'années.

    Les premières missions scientifiques réalisées en Amazonie péruvienne dans le cadre de ce projet ont révélé une extrême richesse en fossiles de vertébrés, et plus particulièrement en restes de crocodiliens, parmi lesquels le crocodile géant Purussaurus est particulièrement bien représenté.