L'autorisation de concevoir des « bébés-médicament » soulève bien des problèmes éthiques.

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    Il est désormais devenu légal en France de sélectionner génétiquement un bébé à naître afin de pouvoir sauver le frère ou la sœur atteint d'une grave maladie génétique.

    Cette mesure vient d'être définitivement adoptée pendant les grandes vacances, mais elle ne semble pas avoir suscité beaucoup de réactions, alors que le champ des problèmes éthiques soulevés est immense.

    <br />Prélèvement d'une cellule embryonnaire, au cours d'un Diagnostic Préimplantatoire, afin d'en faire l'analyse génétique<br />&copy; The Institute for Reproductive  Medicine and Science of St.Barnabas, Etats-Unis

    Prélèvement d'une cellule embryonnaire, au cours d'un Diagnostic Préimplantatoire, afin d'en faire l'analyse génétique
    © The Institute for Reproductive Medicine and Science of St.Barnabas, Etats-Unis

    Revenons-en aux faits :

    L'autorisation de concevoir des « bébés-médicaments » fait partie de la loi de bioéthique qui vient d'être révisée, au terme de débats parlementaires ayant duré plusieurs années. Cette loi fixe le cadre des problèmes bioéthiques soulevés par la recherche scientifique et plus particulièrement depuis qu'il est possible de faire des manipulations génétiques directement sur l'homme.

    Image du site Futura Sciences
    Cette loi doit être révisée tous les 5 ans, en fonction des avancées scientifiques dans le domaine. Le problème est de concilier à la fois les besoins de la recherche, de travailler sur les cellules humaines afin de mieux comprendre leur fonctionnement et d'aboutir à des traitements de maladies aujourd'hui incurables, et à la fois d'éviter de franchir les barrières de l'inacceptable, notamment de l'eugénisme, par exemple en clonant arbitrairement des êtres humains, voire pire.

    Parmi les changements apportés par la loi du 8 juillet 2004, on peut noter l'autorisation de la recherche sur les cellules souches embryonnaires ou sur des embryons congelés surnuméraires (par une dérogation de 5 ans), l'extension du Diagnostic PréImplantatoire (DPIDPI) au cas des « bébés-médicament », ainsi que le fait que tout le monde est maintenant considéré comme un donneur d'organes à sa mort, sauf en cas d'opposition formulée de son vivant. Le clonageclonage, qu'il soit à visée thérapeutique ou reproductif, est toujours interdit.

    Comment obtenir un bébé-médicament ?

    Considérons un couple ayant déjà eu un enfant atteint d'une maladie génétique très grave et nécessitant impérativement un don de tissu ou de cellules pour guérir.

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    Il faut donc pouvoir disposer d'un donneur qui soit histocompatible, c'est-à-dire d'une personne saine et génétiquement la plus proche possible, sinon la greffegreffe sera vouée à l'échec. Il faut donc pouvoir sélectionner génétiquement des embryons afin de ne garder que ceux répondant à ces critères, puis le(s) réimplanter chez la mère afin qu'elle accouche d'un enfant permettant de réaliser avec succès le don de cellules ou de tissu pour sauver son grand-frère ou sa grande-sœur.

    Cela fait déjà plusieurs années que la technique est autorisée aux Etats-Unis et en Angleterre. Ainsi, le premier bébé-médicament est né il y a 4 ans pour sauver sa sœur Molly atteinte de l'anémie de Fanconianémie de Fanconi. Des signes positifs de guérisonguérison sont apparus dès l'an 2000. De même, en Grande-Bretagne, une autorisation a été accordée afin de sauver Zain, 5 ans, atteinte d'une thalassémiethalassémie, alors que ses 4 frères et sœurs ne se sont pas révélés histocompatibles.

    &copy; www.partoacuatico.com

    © www.partoacuatico.com

    Peut-on vraiment reprocher à un couple de vouloir sauver leur enfant ? Mais pour autant, tout doit-il être permis dans ce but ?

    Loin de moi l'idée de vouloir imposer un point de vue ou de prononcer une sentence sur ce sujet. Comme dans la plupart des cas, je pense que le rôle des scientifiques est de proposer des techniques pour faire progresser la recherche ou pour sauver ou soulager des vies, et d'informer le public pour que chacun puisse se faire sa propre opinion sur un sujet qui doit interpeller chacun. Il s'agit ici d'ailleurs d'un choix de société extrêmement délicat.

    En effet, si l'on se place du côté des parents, quoi de plus naturel que de vouloir sauver à tout prix son enfant gravement malade à cause d'un mauvais coup de la loterie de l'hérédité, surtout s'il existe un traitement... Mais plaçons-nous du côté de l'enfant à naître : quel sens pourra-t-il donner à sa vie s'il comprend qu'il n'est pas né seulement par envie, mais plutôt pour être « utile » ? Une fois le don de tissu réalisé, il pourrait se sentir « inutile »... Et quelle relation aura-t-il avec son frère ou sa sœur sauvée ?

    Parce qu'il est éthiquement inacceptable de donner un tel sens à la vie d'un enfant, la loi n'autorise le recours à cette méthode qu'après acceptation de chaque cas par une nouvelle agence de biomédecine (qui n'est toujours pas créée à l'heure actuelle), ainsi que d'un encadrement médical et psychologique des parents. On espère donc que les bébés-médicaments ne seront conçus que dans le cas où les parents, après avoir eu un enfant atteint d'une maladie incurable, avaient déjà le désir d'avoir un autre enfant, en bonne santé.

    Le terme bébé-médicament pourrait donc être remplacé par celui de « bébés du double espoir »... Dans ce cas, le DPI est de toute manière nécessaire pour éviter que ce nouvel enfant ait aussi la maladie ; il suffira juste d'ajouter un autre critère de sélection, celui de l'histocompatibilité avec le malade.

    Cependant, je pense qu'il faut rester très prudent ; en effet, avec le typage HLAHLA réalisé lors du DPI, on est aux frontières de la sélection génétique des nouveaux-nés : l'expérience acquise par ces autorisations pourrait ouvrir la porteporte à une systématisation possible de la technique. Peut-être pas en France, mais il va de soi que cette loi n'aura pas vraiment de portée si elle n'est pas suivie d'un consensus au niveau européen, voire au niveau mondial sur le sujet, afin d'éviter qu'en cas de refus, les parents décident d'aller dans un pays plus laxiste en la matièrematière.

    N'oublions pas que dans ce domaine, le mythe de l'apprenti sorcier n'est jamais très loin et qu'il pourrait bien un jour devenir une réalité inacceptable.

    Afin d'éviter le recours aux bébés du double espoir, il sera peut-être un jour possible d'obtenir des cellules capables de guérir les maladies génétiques sans en passer par la conception d'un nouvel enfant. C'est notamment tout l'enjeu des recherches sur les cellules souches, mais la France commence à accuser un retard dans ce domaine, faute d'investissements suffisants de la part des pouvoirs publics et d'une attente de plusieurs années avant l'adoption de cette révision de la loi sur la bioéthique.