Au fond des mers, des bactéries vivent dans les premiers centimètres de sédiments. Entre celles qui sont enfouies, privées d'oxygène, et celles qui séjournent au contact de l'eau, et manquent donc de nutriments, un subtil échange d'électrons semble être en place. Le système paraît efficace mais on ne comprend pas comment il fonctionne...

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    Enterrées à plus d'un centimètre de profondeur, les bactéries devraient étouffer, incapables de respirer, faute d'oxygène. Pourtant elles vivent, probablement grâce à leurs congénères qui respirent librement et leur expédient  les électrons manquants, peut-être via de minuscules conducteurs électriques. © Nils Risgaard-Petersen

    Enterrées à plus d'un centimètre de profondeur, les bactéries devraient étouffer, incapables de respirer, faute d'oxygène. Pourtant elles vivent, probablement grâce à leurs congénères qui respirent librement et leur expédient les électrons manquants, peut-être via de minuscules conducteurs électriques. © Nils Risgaard-Petersen

    Pour réduire la consommation électrique des agglomérations, les humains se penchent - entre autre - sur une composante essentielle : la distribution. Il est en effet possible de diminuer les pertes en optimisant la fourniture de courant électriquecourant électrique et en améliorant l'adéquation entre offre et demande. Pour y parvenir, on doit utiliser des moyens informatiques et le résultat est appelé smart grid en anglais, ce que les Français ont traduit par réseau intelligent, ce qui est sans doute assez maladroit.

    Les bactéries ont-elles inventé le concept depuis des temps immémoriaux ? Oui, affirme Lars Peter Nielsen, de l'Université Aarhus (Danemark). Lui et ses collègues microbiologistes sont allés étudier, tout près de leur laboratoire, les sédimentssédiments du fond de la baie d'Aarhus, par vingt mètres de profondeur. Après avoir prélevé des échantillons de sédiments, l'équipe a fait vivre ces populations bactériennes au laboratoire et les ont soumises à quelques expériences.

    Les chercheurs voulaient comprendre pourquoi les bactéries sont présentes jusqu'à un centimètre de profondeur, ce qui est beaucoup trop. Avec cette épaisseur de sédiment au-dessus d'elles, elles devraient en effet manquer d'oxygène, apporté par l'eau. A l'inverse, les bactéries installées à la surface du sol marin respirent librement mais devraient, elles, manquer de sels minérauxminéraux, qui se trouvent surtout à l'intérieur du sédiment. Une question simple que l'on aurait pu se poser depuis longtemps...

    Pour comprendre, l'équipe a bousculé l'équilibre et brutalement appauvri l'eau en oxygène. Pour suivre le film des événements, des capteurscapteurs ont été placés dans le sédiment, pour mesurer divers composés chimiques affectés par le métabolisme des bactéries. Qu'allait-il se passer ?

    Echange électrons contre nourriture

    Les bactéries enfouies jusqu'à 1,2 centimètre ont cessé de consommer le sulfure d'hydrogènesulfure d'hydrogène, comme elles le font quand tout va bien. Simultanément, le pH de l'eau augmentait (elle devenait donc plus basique, au sens chimique du terme). On pourrait penser que les modifications chimiques induites par la raréfaction de l'oxygène en surface ont affecté les bactéries des profondeurs. Mais c'est impossible car l'effet a été très rapide (moins d'une heure). Une migration de moléculesmolécules serait trop lente pour expliquer des changements qui se propagent aussi vite à travers un centimètre de boue.

    Tout se passe comme si les bactéries profondes avaient reçu rapidement l'information sur la chute du taux d'oxygène. Quelque chose les a prévenues... Les auteurs de l'étude font l'hypothèse que le moyen de communication est une circulation d'électronsélectrons. L'observation a d'ailleurs montré qu'au sein du sédiment 40% des oxydationsoxydations réalisées par les bactéries l'ont été grâce à des électrons et non pas à l'aide de molécules d'oxygène.

    Les bactéries enfouies récupèreraient donc de l'énergieénergie sous forme d'électrons libres venant de la surface, ce qui leur permet d'oxyder le sulfure d'hydrogène et les matièresmatières organiques. En échange, elles libèrent des nutriments qui migrent vers le haut et nourrissent leurs compagnes au contact de l'eau.

    L'équipe n'a pas d'explication sur le support de ces échanges électroniques. Pour les auteurs, il est possible qu'existent des sortes de nanoconducteurs, formés de bactéries agrégeant des particules métalliques, comme de la pyritepyrite. Minuscules mais réunis par milliards, ils formeraient une sorte de réseau électriqueréseau électrique entre la surface du sédiment et le sous-sol. La profondeur est certes limitée à environ un centimètre mais, pour une bactérie, cette distance est considérable.

    L'hypothèse est belle mais il reste à trouver ces nanoconducteurs... En attendant, l'expérience démontre au moins l'existence de phénomènes électriques au sein de couches sédimentaires, une biogéochimie dont on sait bien peu de choses.