Analyser et dater les changements socio-économiques dans les sociétés andines avant la conquête espagnole vers 1535 est une tâche difficile surtout quand ces civilisations n'ont laissé aucune trace écrite. La reconstruction de ces évolutions et leur datation en milieu rural sont maintenant possibles grâce à un minuscule organisme, l'acarien oribate.

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    Contrairement à celui infestant nos habitats, cet acarienacarien colonise les zones de pâturage. Il se nourrit essentiellement de débris végétaux, de microchampignons et des excréments du bétail. Son occupation du terrain est proportionnelle à la population du bétail. Les cuticulescuticules (squelette externesquelette externe) des acariens se sont accumulés dans les terrains où ils ont vécus et peuvent donc être retrouvés dans les anciens horizons du sol. Ainsi ce minuscule organisme de moins de 1 mm donne un éclairage nouveau sur ces civilisations andines. L'oribate est un précieux indicateur de la présence des troupeaux dans les zones de pâturages et permet de reconstruire les étapes des changements socioculturels dans les Andes.

    <br />Fouille archéologique d'un ancien habitat à quelque 100 m du petit lac de Marcacocha et de son pâturage riverain visibles à droite.<br />&copy; Alex Chepstow-Lusty UMR CNRS 5059<br />Tous droits réservés

    Fouille archéologique d'un ancien habitat à quelque 100 m du petit lac de Marcacocha et de son pâturage riverain visibles à droite.
    © Alex Chepstow-Lusty UMR CNRS 5059
    Tous droits réservés

    Tel est le résultat surprenant d'une équipe internationale de scientifiques conduite par Alex Chepstow-Lusty du Centre de Bio-archéologie et d'écologieécologie de Montpellier (UMR CNRS, Université de Montpellier II, EPHE), avec Alain GiodaAlain Gioda de l'IRDIRD (UR Great Ice, Montpellier), Mick Frogley de l'université de Sussex et Brian Bauer de l'université de Chicago, publié dans Journal of Archaeological Science.

    Pour tester cette méthode, un site intéressant a été identifié : le petit lac des Andes de Marcacocha (3350 m) au Pérou qui présente une situation remarquable. Il a le double intérêt d'être entouré d'un vaste pâturage et de se trouver à proximité d'un grand chemin qu'empruntaient les caravanes de lamaslamas, déjà avant le temps de l'empire Inca et de sa capitale voisine Cuzco.

    <br />Vue aérienne de la vallée couverte d'anciennes terrasses où se niche le petit lac de Marcacocha avec le chemin des Incas qui le longe (voir flèche). Nous sommes à 85 km au Nord-Ouest de Cuzco.<br />&copy; Alex Chepstow-Lusty UMR CNRS 5059<br />Tous droits réservés

    Vue aérienne de la vallée couverte d'anciennes terrasses où se niche le petit lac de Marcacocha avec le chemin des Incas qui le longe (voir flèche). Nous sommes à 85 km au Nord-Ouest de Cuzco.
    © Alex Chepstow-Lusty UMR CNRS 5059
    Tous droits réservés

    Les carottagescarottages dans les couches de sédimentssédiments lacustreslacustres ont autorisé la reconstruction d'une séquence continue de plusieurs milliers d'années et le comptage des cuticules des acariens dans la partie plus superficielle a permis de mettre en lumièrelumière 4 périodes récentes qui correspondent à des changements sociaux et économiques connus des empires Inca et espagnol. Ces périodes ont pu être validées par des documents d'archives après la conquête espagnole.

    <br />Vue macroscopique d'un acarien.oribate piégé il y a plusieurs siècles par la boue du lac de Marcacocha.<br />&copy; Nick Rowe, CIRAD, Montpellier<br />Tous droits réservés

    Vue macroscopique d'un acarien.oribate piégé il y a plusieurs siècles par la boue du lac de Marcacocha.
    © Nick Rowe, CIRAD, Montpellier
    Tous droits réservés

    • Première période ou l'apogéeapogée de l'empire Inca, du début du XVe siècle à l'arrivée des Espagnols dans la décennie 1530 : l'abondance d'acariens correspond à une utilisation intensive des lamas. Elle correspond aussi à une période de climatclimat tempéré, propice pour coloniser les régions de hautes altitudes ;
    • Deuxième période avec la conquête espagnole et son cortège d'épidémies induites provoquant le décès de 90 % de la population indienne. L'analyse de documents historiques montre aussi une mortalité élevée des lamas atteints par des maladies de peau et de pelage. Les caravanes de lamas disparaissent sur cette route commerciale d'où une chute spectaculaire de la présence des acariens dans les sédiments ;
    • Troisième période, à partir des années 1600, pendant laquelle les Espagnols diffusent largement le bétail européen (vachesvaches, chevaux, moutons). On assiste donc à une augmentation de la présence des acariens en raison d'une plus grande disponibilité d'excréments du bétail
    .
    • Quatrième période, "autour de la fin du XVIIè et le début du XVIIIè siecles correspondant à la fois à une période climatique plus froide du Petit âge de glace et à une épidémie qui frappe la grande ville de Cuzco, décimant en une seule journée 600 personnes. Des documents historiques témoignent de la disparition des bergers dans la région du lac de Marcacocha avec l'abandon des pâturages et par conséquent la chute de la densité des acariens.

    Les scientifiques, grâce à l'existence de documents historiques à partir du XVIe siècle, ont pu confirmer la pertinence scientifique d'utiliser l'acarien oribate comme indicateur de la présence de l'activité humaine et de remonter plus loin dans le temps (au-delà de 500 ans) pour redéfinir les zones de pâturage à forte densité de bétail et les zones d'occupation humaine pour les périodes sans archives.

    La méthode doit être maintenant appliquée dans d'autres zones du globe. Elle pourrait aussi être utilisée pour comprendre les conséquences de l'introduction des maladies et analyser les étapes de l'épanouissement et du déclin de certaines civilisations causées par des pressionspressions politiques ou des forçages climatiques.

    Référence de l'article :
    Evaluating socio-economic changes in the Andes using oribatid mites abundances as indicators of domestic animal densities, Alex Chepstow-Lusty, Alain Gioda (IRD, Montpellier), Michael Frogley (Université du Sussex, Angleterre), Brian Bauer (Université d'Illinois à Chicago Etats-Unis) et collaborateurs. Journal of Archaeological Science, 34 (7), 1178-1186. 2007

    Pour plus d'informations : Jesse Smith, H. 2007. The Fall of the Mitey. Science, vol 315 (5280), 30 March, 1768.