Des milliers de nouvelles molécules thérapeutiques, proposées par l'industrie pharmaceutique, ont été abandonnées pour des problèmes d’efficacité ou de finances. Mais ce qui n'a pas fonctionné pour une maladie ne peut-il pas le faire pour d'autres ? Des programmes nationaux proposent d’aider les chercheurs à trouver de nouvelles vies à ces médicaments oubliés.

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    Lorsqu'un laboratoire pharmaceutique identifie une nouvelle moléculemolécule, elle a statistiquement moins de 5 % de chance d'être un jour vendue en pharmacie. Autrement dit, la quasi-totalité des principes actifs testés contre une pathologie n'aboutissent pas. À titre d'exemple, on estime que sur les trois dernières décennies, environ 30.000 médicaments ont été abandonnés.

    Pourtant, ce qui ne fonctionne pas pour une maladie peut s'avérer efficace pour une autre. C'est le cas célèbre du Viagra, d'abord imaginé pour traiter les angines de poitrine, mais qui s'avère bien meilleur pour gérer les troubles de l’érection.

    Très récemment, c'est une autre molécule, nommée lonafarnib, qui pourrait être recyclée. D'abord destinée à faire reculer des tumeurs au cerveau, elle serait capable d'apporter (via son principe actif) une première solution, même partielle, à la progéria, une maladie génétique très rare qui se traduit par un vieillissement prématuré. Ce travail, publié dans Pnas, fait l'objet de critiques mais démontre qu'il ne faut pas jeter tout ce qui a pu être façonné.

    Médicaments abandonnés : une manne à recycler

    Cette idée n'est pas forcément nouvelle mais cela fait peu de temps que certains États cherchent à puiser dans les ressources disponibles de nouvelles utilités aux médicaments. Le UK Medical Research Council, agence de santé publique britannique, devrait par exemple annoncer dans le courant du mois débloquer 10 millions de livres sterling (12,4 millions d'euros) pour trouver d'autres applicationsapplications à 22 molécules des laboratoires londoniens d'AstraZenecaAstraZeneca.

    Les médicaments n'ont pas qu'une vie. Parfois, lors des essais cliniques, on s'aperçoit d'effets secondaires qui ouvrent de nouvelles perspectives pour une autre utilisation. C'est par exemple le cas de la célèbre pilule bleue, le Viagra. © Sirer, <a href="http://bit.ly/Kh6tfi" target="_blank">StockFreeImages.com</a>

    Les médicaments n'ont pas qu'une vie. Parfois, lors des essais cliniques, on s'aperçoit d'effets secondaires qui ouvrent de nouvelles perspectives pour une autre utilisation. C'est par exemple le cas de la célèbre pilule bleue, le Viagra. © Sirer, StockFreeImages.com

    À ce jeu, les Américains sont des pionniers. Depuis mai dernier, un projet semblable a été lancé par les National Institutes of Health (NIH) des États-Unis. Le budget est un peu plus conséquent (20 millions de dollars, soit 15,4 millions d'euros) et l'opération concerne 58 principes actifs développés par 8 laboratoires différents. Tous ces médicaments sont déjà entrés en phase clinique, se sont avérés sûrs pour la santé humaine mais n'ont pas convaincu ou ont dû être abandonnés pour des raisons économiques. L'idée est de présenter le tout sous la forme d'un concours, dans lequel les huit meilleurs projets seront récompensés et financés par les firmes pharmaceutiques.

    Tout le monde a à y gagner. Les chercheurs peuvent voir leur nom associé à la découverte d'une molécule quand les laboratoires seront sûrement moins réticents à investir de l'argentargent dans un projet pertinent et réfléchi, pour, à terme, mettre sur le marché un composé qui sauvera des vies.

    À la mi-août, 160 propositions étaient déjà parvenues au NIH. La plupart d'entre elles envisageaient différentes utilisations pour un même principe actif. L'avantage, c'est que des champs de domaine très vastes et très différents étaient examinés, comme l'autismeautisme, la maladie d’Alzheimer ou le cancer.

    Des obstacles restent à franchir

    Le succès n'est cependant pas garanti. Certains, comme John LaMattina, ancien de PfizerPfizer passé aujourd'hui dans une autre compagnie (PureTech Ventures) craint que les firmes restent réticentes à l'idée de financer de tels projets. Ces composés ont déjà été refoulés, ce qui risque d'instaurer le doute.

    D'autres pensent que ces mêmes laboratoires pourraient ne pas jouer le jeu. Ils se sont engagés auprès du NIH à partager la paternité du nouveau médicament avec le ou les chercheurs à l'origine de la nouvelle vie du produit. Mais qui dit qu'ils tiendront leur parole ?

    Enfin, les scientifiques doivent faire face à une autre difficulté : ils ne connaissent pas la structure exacte des molécules auxquelles ils essaient de trouver une nouvelle fonction, guerre économique oblige. Ils travaillent presque en aveugle. Des conditions loin d'être idéales pour utiliser pleinement le potentiel de leur matièrematière première. Où cela les mènera-t-il ?

    Si l'idée de réutiliser différemment des médicaments pour d'autres usages ne manque pas de pertinence, elle est dans les faits encore très peu exploitée. Les États s'investissent dans des projets de faible ampleur dont le succès n'est pas encore garanti. Mais restons optimistes, c'est déjà mieux que rien...