Le stress se transmettrait de façon héréditaire et non culturelle à ses descendants, et principalement de père en fille. C’est la conclusion d’une étude surprenante menée sur quatre générations de souris.

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      Image du site Futura Sciences

    Enfin une réponse claire pour les psychologues ? Ces spécialistes constatent qu'un événement stressant vécu par un individu durant sa jeunesse atteint parfois ses enfants et ses petits-enfants. Est-ce d'ordre culturel ou naturel ? Des travaux menés chez la souris et explicités dans la revue Biological Psychiatry font pencher la balance vers cette seconde option.

    Deux chercheurs de la Tufts University, dans la banlieue de Boston, ont entrepris une étude sur plusieurs générations de rongeursrongeurs. La première (F0), composée de 12 mâles et 11 femelles, a subi une adolescence anxiogène. Entre les âge de 27 et 76 jours, les animaux ont été changés de cage très régulièrement, ce qui ne leur laissait pas l'opportunité d'entretenir des relations durables ni de mener une vie normale de souris.

    Deux mois après, lors de tests d'anxiété et du comportement social, ces rongeurs ont obtenu de moins bonnes performances que leurs homologues faisant office de contrôle. Malgré le retour à une vie normale depuis une petite dizaine de semaines, l'instabilité de l'adolescence persistait encore, principalement chez les femelles. Celles-ci présentaient de hauts niveaux de corticostérone (hormone du stress), et manifestaient de l'angoisse et une sociabilité altérée, refusant les interactions avec les inconnus. Quant aux mâles, ils semblaient moins affectés, malgré quelques signes d'anxiété.

    Des souris mâles saines et des femelles stressées

    Les souris de la génération F0 se sont reproduites entre elles, donnant naissance aux individus F1. Certains étaient élevés par leur mère naturelle tandis que les autres ont grandi auprès d'une mère de substitution, n'ayant pas vécu de traumatisme durant son adolescence. Lorsque cette cohorte a dû passer les mêmes tests que ses géniteurs, une drôle de réalité est apparue. 


    Des chats ne font pas des chiens, et des petites souris stressées font des petites souris stressées. Une hérédité qui reste encore très mal comprise. © Mr eNil, Flickr, cc by nc nd 2.0

    Les mâles F1 ne montraient aucun signe alarmant et se comportaient comme les autres souris. Mais pas les femelles. Tout comme leur mère, elles présentaient des troubles de la sociabilité, même si elles ont été éduquées par un individu non stressé.

    L'expérience se poursuit avec une troisième génération, nommée F2. Celle-ci est mixte et se compose d'animaux nés de deux parents F1, ou seulement d'un seul. Là encore, les mâles semblent se porter parfaitement tandis que les femelles manifestent toujours de l'anxiété. Mais cette fois, il y a une nuance. Lorsque celles-ci ont un père F1, les niveaux de stress sont plus élevés que dans les autres cas de figure. Autrement dit, un mâle asymptomatique transmet le traumatisme de ses parents à sa fille qui le ressent alors. Un mode de transmission jusqu'alors inconnu.

    Après une nouvelle et dernière portée de souris, F3, les constats sont les mêmes. Les mâles n'ont toujours aucun problème de sociabilité alors que les femelles restent anxieuses, d'autant plus si leur père est lui-même un descendant direct de F0.

    Une hérédité très mal comprise

    Cette découverte laisse perplexe la communauté scientifique qui n'est pas encore en mesure de saisir la totalité des mécanismes. Pour Deborah Bourc'his, spécialiste au CNRS et à l'Inserm qui donne son point de vue dans les colonnes du Monde, « il s'agit de caractères transmis par le père apparemment normal, mais qui ne s'expriment que chez les filles, c'est-à-dire dans un contexte hormonal particulier ». Les taux de corticostérone pourraient être une piste intéressante à suivre.

    Seuls trois mécanismes pourraient expliquer cette étrange hérédité. La génétique, avec l'apparition de mutations dans la séquence ADN des mâles. Plus probable, des modifications épigénétiques, c'est-à-dire dans les facteurs protéiques et moléculaires chargés de réguler l'activité des gènes. Les auteurs émettent l'hypothèse que ces changements pourraient se manifester dans les spermatozoïdesspermatozoïdes des pères, par exemple. La troisième solution évoquée concerne un éventuel comportement anormal du mâle au moment de l'accouplementaccouplement, pas identifié, qui induirait l'anxiété des femelles à naître. Ce qui pour l'heure paraît difficile à accréditer...

    Les auteurs s'emploieront désormais à faire la lumièrelumière sur les raisons de cette transmission du stress jusqu'aux petits-enfants chez les souris. Ils utiliseront probablement des clonesclones génétiques afin de déterminer le rôle du génomegénome et de l'épigénétique dans cette histoire. Se posera ensuite une autre question : cela vaut-il aussi pour l'Homme ?