Alors que 95 % de la population subsaharienne est naturellement résistante contre Plasmodium vivax, l’un des cinq parasites responsables du paludisme, le pathogène serait en train d’évoluer et frappe également ces personnes normalement immunisées. Ces souches émergentes détectées à Madagascar pourraient-elles bientôt coloniser l’Afrique ?

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    C'est une course à l'armement. Dans une relation entre un parasite et son hôte, chacun fourbit son arsenal afin de parer les attaques ennemies, ou, au contraire, de percer les défenses. De nombreux exemples sont cités dans la littérature scientifique. Prenons un cas d'école : de nombreux Africains sont porteurs sains de la drépanocytose, une maladie génétique qui altère la forme des globules rouges. Ce qui semble être un inconvénient se révèle un atout contre le paludisme, son vecteur ne survivant pas dans le sang.

    Il y a eu d'autres adaptations du corps humain. On estime que 95 % de la population subsaharienne est naturellement immunisée contre Plasmodium vivax, l'une des cinq espècesespèces de parasitesparasites à l'origine du paludisme. Pourquoi ? Le pathogène pénètre dans les cellules sanguines après la liaison avec un antigèneantigène, nommé Duffy, présent à la surface des globules rouges. Mais la quasi-totalité des habitants de l'Afrique noire ne possèdent pas cette glycoprotéineglycoprotéine. P. vivax ne peut donc pas les infecter.

    S'il est moins agressif que P. falciparum, le plus mortel de tous, P. vivax cause également de fortes fièvresfièvres et des maux de tête violents et handicapants. Et à la différence de son cousin, il peut se cacher dans le foiefoie durant les traitements et ressurgir à l'occasion. Les populations asiatique et sud-américaine y sont assez sévèrement confrontées.

    Plasmodium vivax se donne les moyens de conquérir l’Afrique

    Malheureusement, l'avantage constaté chez la population africaine pourrait ne plus durer. En effet, depuis quelques années, les chercheurs ont observé des cas de paludisme vivax chez des patients Duffy négatifs. Le parasite aurait donc trouvé une façon de contourner les défenses. Mais laquelle ? Peter Zimmerman, chercheur à l'université Case Western Reserve (Cleveland, Ohio), suit actuellement une piste, qu'il a présentée lors du congrès annuel de la Société américaine de médecine tropicale et d’hygiène à Washington, et qui fera l'objet d'une publication prochainement dans le journal Plos Neglected Tropical Diseases (21 novembre 2013).

    Le paludisme a besoin d'un moustique, comme cet <em>Anopheles stephensii</em>, pour infester les Hommes. Sinon, il meurt assez vite. C'est aussi ce qui explique pourquoi il est difficile à étudier en laboratoire. © CDC, Wikipédia, DP

    Le paludisme a besoin d'un moustique, comme cet Anopheles stephensii, pour infester les Hommes. Sinon, il meurt assez vite. C'est aussi ce qui explique pourquoi il est difficile à étudier en laboratoire. © CDC, Wikipédia, DP

    Parmi 189 patients malgaches touchés par P. vivax et pourtant Duffy négatifs, environ 50 % avaient un parasite dont le génomegénome comportait une duplication génique jusqu'alors jamais observée. Le gènegène codant pour la protéineprotéine se liantliant à l'antigène était présent en double exemplaire. Sur les 8.000 bases composant ce gène, ils n'ont noté qu'une seule différence, preuve que cette modification du génome est récente.

    S'ils n'ont pour l'heure démontré qu'une association entre la duplication et les infections, les auteurs pensent malgré tout que le lien de cause à effet est plausible. En effet, il arrive que des organismes dédoublent certains de leurs gènes afin de contourner les défenses qu'on leur oppose. Des investigations restent à mener pour déterminer si c'est bel et bien le cas. Une situation qui pourrait donc devenir inquiétante si cette souche parasitaire se généralisait en Afrique continentale, car cela occasionnerait probablement des millions de cas supplémentaires de paludisme chaque année.

    Craintes d’une augmentation de l’incidence du paludisme

    Dans le même temps, David Serre, chercheur à l'Institut de médecine génomiquegénomique à la clinique de Cleveland, a également présenté ses travaux sur P. vivax lors du congrès, qui seront également publiés dans Plos Neglected Tropical Diseases (5 décembre 2013). De son côté, il révèle que l'analyse d'une souche cambodgienne présente des mutations génétiques qui n'avaient pas été observées. Des analyses ont néanmoins révélé que ce n'était pas un cas isolé, puisque ces gènes ont également été retrouvés en Corée du Nord, en Mauritanie et au Brésil. Cependant, ils étaient absents de la première souche séquencée en 2008, et qui faisait jusque-là office de référence. Ils pourraient là encore faciliter le processus infectieux.

    Si ces résultats sont confirmés avec des études ultérieures, ils laisseront donc craindre une augmentation de l'incidenceincidence du paludisme à travers le monde. P. vivax est déjà à l'origine d'une centaine de millions de cas par an. S'il recourt à de nouvelles armes pour toucher plus de cibles, il y a de réelles raisons de redouter une attaque plus massive encore. Aux scientifiques, en retour, de trouver les moyens adaptés.