Un paradoxe pourrait bien avoir été résolu. Beaucoup de personnes obèses présentent un taux normal voire bas de l’hormone de la faim, la ghréline, mais mangent pourtant excessivement. Pourquoi ? Parce qu’ils possèdent des anticorps qui se lient à cette hormone et la préservent de la dégradation. Son effet devient donc plus durable et même à faible taux, elle donne de l'appétit.

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    L'obésité touche plus de 15 % des adultes en France, et ses mécanismes de constitution restent encore incomplètement élucidés. Normalement, une régulation précise du poids et de la prise alimentaire est coordonnée par une zone spécialisée du cerveau : l'hypothalamus. Elle permet d'adapter la prise alimentaire en fonction des réserves et des besoins. Ainsi, après une période de surabondance et de prise de poids, un sujet sain aura spontanément tendance à réduire son alimentation pendant quelque temps pour revenir à son poids antérieur.

    Chez beaucoup de malades obèses, ce mécanisme est défectueux : ils continuent, malgré leurs efforts, à avoir une prise alimentaire trop importante (hyperphagie) contribuant à maintenir un poids élevé, ou même à l'augmenter encore. Leur cerveau devrait pourtant intégrer l'information de l'excédent et réduire la prise alimentaire pour favoriser une perte de poids. Cette observation est d'autant plus surprenante que l'hormone de la faim, appelée ghréline (produite par l'estomac et agissant sur l'hypothalamus) est retrouvée le plus souvent à un taux normal, voire bas, chez les patients obèses.

    L'étude menée par Sergueï Fetissov et l'équipe de l'unité de recherche Inserm « Nutrition, inflammation et dysfonction de l'axe intestin-cerveau » (université de Rouen) dirigée par Pierre Déchelotte, en collaboration avec l'équipe d'Akio Inui à l'université de Kagoshima (Japon), révèle le mécanisme moléculaire de cette hyperphagie paradoxale.

    Des anticorps qui protègent la ghréline

    Dans Nature Communications, les chercheurs ont mis en évidence dans le sang des patients obèses la présence d'anticorpsanticorps particuliers, ou immunoglobulinesimmunoglobulines, qui reconnaissent la ghréline et modulent l'appétit. En se liantliant à cette hormone, les immunoglobulines la protègent de sa dégradation rapide dans la circulation. Elle peut alors agir plus longuement sur le cerveau et stimuler l'appétit.

    Cette coupe de l'estomac de rat révèle des cellules sécrétrices de ghréline (en rouge) non loin de cellules du système immunitaire (en vert). © Sergueï Fetissov, Inserm

    Cette coupe de l'estomac de rat révèle des cellules sécrétrices de ghréline (en rouge) non loin de cellules du système immunitaire (en vert). © Sergueï Fetissov, Inserm

    « Les immunoglobulines ont des propriétés différentes chez les patients obèses, explique Sergueï Fetissov, chercheur au sein de l'unité Inserm de Rouen et coauteur de l'étude. Elles ont une attirance plus forte pour la ghréline que celle observée chez des sujets de poids normal ou chez des patients anorexiques. C'est cette différence en affinité qui permet aux immunoglobulines de transporter plus de ghréline vers le cerveau et de renforcer son action stimulante sur la prise alimentaire », poursuit-il.

    L'équipe de recherche a confirmé ce mécanisme par des expériences chez le rongeurrongeur. Lorsque de la ghréline était administrée en étant associée à des immunoglobulines extraites du sang des patients obèses, ou à des immunoglobulines provenant de souris génétiquement obèses, elle stimulait plus fortement la prise alimentaire. À l'inverse, lorsque la ghréline était administrée seule, ou associée à des immunoglobulines de personnes ou de souris non obèses, les rongeurs régulaient davantage leur appétit en limitant leur prise alimentaire.

    Mieux réguler l’appétit des personnes obèses… et anorexiques

    « Notre découverte ouvre une nouvelle piste pour concevoir des traitements agissant au cœur de ce mécanisme pour réduire l'hyperphagie observée dans le cas de l'obésitéobésité », souligne Pierre Déchelotte.

    Cette étude prolonge d'autres travaux de l'équipe de recherche, publiés en 2011, sur le rôle des immunoglobulines interférant avec différentes hormones agissant sur l'appétit, la satiété ou l'anxiété dans des situations d'anorexieanorexie, de boulimieboulimie ou de dépression, et sur l'implication probable de la flore intestinale dans ces interactions.

    « Nos résultats pourraient également être utilisés pour l'étude du phénomène inverse, la perte d'appétit, observée par exemple dans les situations d'anorexie », conclut Pierre Déchelotte.