Les femmes sont largement majoritaires à souffrir de douleurs chroniques, sans que l’on sache vraiment pourquoi. De récentes études viennent toutefois de montrer que les réponses neuronales sont différentes pour les deux sexes, ce qui suggère de développer des antidouleurs spécifiques pour chaque cible. Une véritable gageure, alors que la très large majorité des études sur le sujet sont paradoxalement menées chez la souris mâle.


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    Les femmes sont-elles plus sensibles à la douleur que les hommes ? De nombreuses études ont montré qu'elles sont plus nombreuses à souffrir de douleurs chroniques (migraine, mal de dosdos, ostéoarthrose...), sans que l'on puisse véritablement l'expliquer. Seraient-elles plus susceptibles de développer des maladies dont la douleur est le principal symptôme ? Ont-elles un seuil de tolérance plus bas ? Ou se plaignent-elles simplement plus souvent que les hommes dans les études épidémiologiques ?

    Récemment, une nouvelle piste a pourtant émergé : les mécanismes physiologiques dans les circuits de la douleur seraient différents entre les deux sexes. Une étude de 2015 publiée dans la revue Nature Neuroscience montre ainsi que la douleur est bloquée chez les souris mâles dont le fonctionnement de la microglie (des macrophages de la moelle osseuse responsables de la transmission de la douleur dans le système nerveux) est entravé. Mais lorsqu'on mène l'expérience avec des souris femelles, celles-ci ressentent toujours la douleur. Chez ces dernières, la transmission de la douleur incomberait plutôt aux lymphocyteslymphocytes T, un type de cellule immunitaire complètement différent.

    Les femmes sont majoritaires à souffrir de douleurs chroniques. © picture-waterfall, Fotolia
    Les femmes sont majoritaires à souffrir de douleurs chroniques. © picture-waterfall, Fotolia

    Homme et femme : la douleur passe par des circuits différents

    Cette différence vient d'être confirmée par une nouvelle étude publiée dans la revue Brain, avec pour la première fois une preuve chez l'humain. Puisqu'il est impossible de pratiquer des biopsiesbiopsies du cerveaucerveau comme pour la souris, les chercheurs ont récupéré le tissu rachidien de 8 femmes et 18 hommes à qui l'on avait retiré une tumeurtumeur. Ils ont effectué un séquençageséquençage ARNARN de leurs cellules neuronales sensorielles afin de déterminer quels gènesgènes sont actifs dans la perception de la douleur, en comparant les patients qui souffraient de douleurs neuropathiques chroniques et ceux qui n'en n'avaient pas (la douleur n'étant pas causée par la tumeur elle-même). Ils ont ainsi identifié deux mécanismes différents pour chaque sexe : chez l'homme, ce sont les macrophages (des cellules du système immunitairesystème immunitaire) qui semblent être activés dans la réponse à la douleur, alors que chez la femme, ce seraient plutôt des neuropeptides, des substances semblables aux protéinesprotéines et libérées par les neuronesneurones.

    Un nouveau médicament anti-migraine… qui cible uniquement la femme

    Si cette étude était confirmée, cela impliquerait le développement de traitements antidouleurs spécifiques pour chaque cible, donc pour chaque sexe, suggèrent les auteurs. De nouveaux médicaments dans la préventionprévention de la migraine qui ciblent un neuropeptide appelé CGRP (calcitonin gene-related peptide) ont ainsi récemment fait l'objet de tests cliniques et ont montré une bonne efficacité. Or, les femmes, davantage concernées par la migraine, étaient largement majoritaires dans la cohortecohorte des études (85 % des participants en phase 3), ce qui pourrait avoir biaisé les résultats, indique Ted Price, l'un des auteurs, au site Wired. Il se pourrait qu'en réalité, les anti-CGRP soient spécifiques non pas à la migraine... mais aux femmes. « Les études chez la souris ont montré que le CGRP a un rôle clé dans de nombreuses formes de douleurs chez la femme », avance le chercheur. On peut supposer à l'inverse que les hommes seront peu réceptifs à ces traitements. Une précédente méta-étude avait déjà montré que la morphine est légèrement plus efficace chez les femmes que chez les hommes.

    Des études précliniques majoritairement menées chez des mâles

    D'autres différences entre les sexes pourraient encore être à l'œuvre, comme  les hormoneshormones sexuelles, la génétiquegénétique ou même la psychologie ; les femmes sont, par exemple, plus susceptibles de souffrir d'anxiété, et cela peut aggraver la sensation de douleur. Le problème est que la majorité des recherches précliniques sur la douleur sont menées sur des souris mâles : 79 % des études publiées entre 1996 et 2005 sur la douleur ont ainsi utilisé des cobayes mâles, rapporte un article publié dans la revue Pain.

    79 % des expériences publiées entre 1996 et 2005, et portant sur la douleur chez la souris, sont menées chez des individus mâles. © Céline Deluzarche, Futura, d'après <i>Jeffrey S. Mogil, Nature Reviews Neuroscience</i>, 2012
    79 % des expériences publiées entre 1996 et 2005, et portant sur la douleur chez la souris, sont menées chez des individus mâles. © Céline Deluzarche, Futura, d'après Jeffrey S. Mogil, Nature Reviews Neuroscience, 2012

    Il y a, au départ, une explication scientifique : les souris femelles seraient plus « instables » du fait de leur cycle menstruelcycle menstruel qui peut affecter telle ou telle réponse, ou induire des changements physiologiques à un moment donné. Mais, pour Jeffrey Mogil, chef du Laboratoire de génétique de la douleur de l'université McGill de Montréal au Canada, il s'agit là d'un faux problème :  « Une méta-analyseméta-analyse de 2014 a démontré que non seulement les souris femelles ne sont pas plus instables que les mâles, mais également que plusieurs traits varient bien davantage chez les mâles, assure le scientifique, qui a publié une longue étude sur le sujet dans la revue Nature Reviews Neuroscience. La vérité est que les chercheurs préfèrent tout simplement ignorer le problème ».

    Des médicaments pour chaque sexe : explosion des coûts ou opportunité ?

    La fabrication de médicaments spécifiques à chaque sexe constituerait une véritable révolution pour l'industrie pharmaceutique, alors que le coût de développement d'une nouvelle moléculemolécule a explosé ces dernières années pour atteindre 1,5 milliard de dollars. Développer des médicaments « en double » avec chacun leur mécanisme d'action impliquerait sinon un doublement, au moins un renchérissement significatif de la R&D. D'un autre côté, mieux cibler en amont les molécules impliquées dans les maladies permettrait de diminuer le taux d'échec dramatiquement haut : actuellement, seule 1 molécule sur 10.000 « criblées » par la recherche parvient à la phase de commercialisation. « Les études gagneront en fiabilité lorsque les chercheurs cesseront de supposer que les résultats de recherches menées sur des animaux mâles peuvent être extrapolés aux femelles », conclut Jeffrey Mogil.


    Médicaments : les femmes sont-elles moins bien soignées que les hommes ?

    Article de Marie-Céline RayMarie-Céline Ray publié le 27/06/2017

    Avant qu'un médicament n'arrive sur le marché, il subit des tests précliniques sur des animaux de laboratoire. Problème : la grande majorité de ces études utilisent des animaux mâles, sélectionnant ainsi les médicaments les plus efficaces sur eux, mais pas forcément sur les femelles...

    Avant d'être testés lors d'essais cliniquesessais cliniques sur des humains, les médicaments passent des tests sur des animaux durant la phase préclinique. Or, les chercheurs préfèrent souvent travailler sur des animaux mâles : ils considèrent que les cycles hormonaux féminins peuvent affecter les résultats et partent du présupposé que ce qui fonctionne chez des mâles est aussi efficace chez des femelles.

    Résultat : les trois quarts des études précliniques n'utilisent que des animaux mâles. Ainsi, dans une étude parue dans Surgery en 2014, des chercheurs de l'université Northwestern, à Chicago (États-Unis), ont analysé 2.347 articles scientifiques parus entre 2011 et 2012 ; 618 portaient sur des animaux ou des cellules. Pour les publications qui indiquaient le sexe des animaux, 80 % n'incluaient que des mâles.

    La question que l'on peut se poser est de savoir si la recherche médicale qui étudie surtout des mâles empêche les femmes d'accéder aux meilleurs soins. Pour savoir s'il y avait beaucoup de différences entre des souris mâles ou femelles, des chercheurs du centre Sanger, à Cambridge (Royaume-Uni), ont comparé 234 traits physiquesphysiques chez 14.000 souris mâles et femelles. Pour 57 % des traits qui pouvaient être quantifiés, comme le taux de cholestérolcholestérol ou la massemasse osseuse, il existait des différences entre les sexes.

    Les chercheurs ont comparé des caractéristiques physiologiques de milliers de souris mâles et femelles et mis en évidence de nombreuses différences. © jonnysek, Fotolia
    Les chercheurs ont comparé des caractéristiques physiologiques de milliers de souris mâles et femelles et mis en évidence de nombreuses différences. © jonnysek, Fotolia

    Inégalité des sexes dans la recherche clinique et préclinique

    Ils ont aussi étudié 40.000 autres souris, chez lesquelles un gène avait été inactivé. Ils ont observé que l'inactivation du gène n'avait pas les mêmes effets selon le sexe, ce qui suggère que les maladies génétiquesmaladies génétiques se manifestent différemment chez les mâles et les femelles.

    Ces résultats, parus dans la revue Nature Communications, suggèrent que, étant donné les nombreuses différences physiologiques entre les sexes, il faudrait donc concevoir des traitements différents pour les hommes et les femmes. En effet, les médicaments optimisés pour des animaux mâles risquent d'être moins efficaces sur des animaux femelles, et donc sur des femmes, voire pourraient leur causer des problèmes. Il semble que ce soit bel et bien le cas : entre 1997 et 2001, environ 80 % des médicaments retirés du marché aux États-Unis posaient plus de problèmes aux femmes qu'aux hommes, d'après un document du sénat américain.

    Ces différences entre les sexes signifient aussi que les médicaments qui fonctionneraient mieux chez les femelles souris (et a priori chez les femmes) pourraient passer à la trappe et ne jamais arriver au stade des essais cliniques sur les humains. Tout cela parce qu'ils n'ont été testés que sur des animaux mâles.

    Certes, des efforts ont été constatés ces dernières années. Ainsi, la proportion de femmes inclues dans des essais cliniques concernant la prévention des maladies cardiovasculairesmaladies cardiovasculaires est passée de 9 % en 1970 à 41 % en 2006, d'après une étude de 2010. Mais des progrès doivent encore être faits en phase préclinique...