En cette Journée mondiale de l'hémophilie, reprenons l'entretien que nous avait accordé Catherine Costa, généticienne moléculaire à l'hôpital Henri Mondor de Créteil. Elle expliquait à Futura-Sciences dans quelles directions se dirige la recherche sur cette maladie du sang.

au sommaire


    L'hémophilie se caractérise par un défaut de la coagulation sanguine, ce qui signifie qu'en cas de blessure, le saignement s'éternise. De ce fait, certaines activités, comme le VTT (à cause du risque de chute), sont fortement déconseillées aux personnes malades. La boxe est même prohibée. Pour limiter les risques, les personnes hémophiles peuvent s'injecter, en prévention, la dose de facteurs de coagulation en fonction des activités prévues pour la journée. © Wellcome Images, Flickr, cc by nc nd 2.0

    L'hémophilie se caractérise par un défaut de la coagulation sanguine, ce qui signifie qu'en cas de blessure, le saignement s'éternise. De ce fait, certaines activités, comme le VTT (à cause du risque de chute), sont fortement déconseillées aux personnes malades. La boxe est même prohibée. Pour limiter les risques, les personnes hémophiles peuvent s'injecter, en prévention, la dose de facteurs de coagulation en fonction des activités prévues pour la journée. © Wellcome Images, Flickr, cc by nc nd 2.0

    Un problème de coagulation. Ou plus précisément un déficit dans la synthèse d'un des nombreux facteurs de la coagulation sanguine. Voici ce qui cause l'hémophilie, maladie génétique qui affecte environ 6.000 Français, dont la moitié souffre d'une forme sévère. Lorsque la paroi d'un vaisseau sanguin vient à rompre, les mécanismes censés limiter la perte de liquideliquide, qu'on appelle la coagulation, sont bien plus longs à se mettre en place. Tant que la blessure est superficielle, pas de raison de paniquer, mais pour une hémorragie plus importante, il faut agir.

    Heureusement, il existe aujourd'hui des médicaments efficaces. Leur principe consiste à injecter le facteur coagulant qui fait défaut dans la circulation sanguine. Le processus de la coagulation, très complexe, fait intervenir une bonne quinzaine de moléculesmolécules, jouant tous un rôle fondamental dans sa mise en place. Lorsqu'une d'entre elles manque à l'appel, cela impacte l'ensemble des réactions chimiquesréactions chimiques. Les thérapies visent donc à rétablir l'équilibre.

    Aujourd'hui, l'espérance de vie d'une personne hémophile est sensiblement la même que le reste de la population, à deux exceptions près. Tout d'abord, les habitants des pays en voie de développement n'ont pas le même accès aux traitements ni à la même préventionprévention que dans le monde occidental. Un saignement intense peut leur être fatal. Ensuite, l'espérance de vie des hémophiles est plus élevée que celle des personnes infectées par le virus de l'hépatite C. En effet, certains patients traités jusque dans les années 1980 ont été transfusés avec du sang contaminé par ce virus mortel et ne peuvent s'en débarrasser.

    Hémophilie, ou un quotidien contraignant

    Désormais, les solutions thérapeutiques proposées sont plus sûres et ne manquent pas d'efficacité. C'est ce qu'explique à Futura-Sciences le docteur Catherine Costa, spécialiste de génétique moléculaire à l'hôpital Henri Mondor de Créteil. Mais cela ne se fait pas sans contraintes...

    Catherine Costa, docteur en génétique moléculaire à l'hôpital Henri Mondor (à Créteil, en banlieue parisienne) est une spécialiste de l'hémophilie. © DR

    Catherine Costa, docteur en génétique moléculaire à l'hôpital Henri Mondor (à Créteil, en banlieue parisienne) est une spécialiste de l'hémophilie. © DR

    « Une personne hémophile doit organiser sa vie autour de sa maladie. Tout dépend bien sûr de la sévérité de l'affection, mais c'est un traitement régulier et de longue haleine », explique la spécialiste. Il existe en fait deux principales formes de traitements médicaux :

    • La prophylaxieprophylaxie, c'est-à-dire l'injection trois fois par semaine du facteur de coagulation défaillant, en prévention ;
    • Le traitement à la demande, soit l'administration par intraveineuse du médicament en cas de saignement.

    « Des progrès importants ont été réalisés au niveau de l'éducation thérapeutique, reprend Catherine Costa. Ainsi, on apprend aux patients à se prendre en charge eux-mêmes et à se faire leurs injections ». Mais le problème n'est pas résolu pour autant. Si petit à petit on tente de simplifier la vie des personnes hémophiles, on ne fait que soigner quelques symptômessymptômes en attendant de pouvoir faire mieux.

    La thérapie génique pas encore au point… mais ça viendra

    Pour une guérisonguérison complète, il faudrait annihiler le mal à sa source. Pour cette maladie du sang, c'est donc au niveau génétique qu'il faut agir. Dans la très grande majorité des cas, l'allèleallèle défaillant loge sur le chromosome X, ce qui explique pourquoi l'hémophiliehémophilie est essentiellement masculine (voir la légende du schéma ci-dessous). La thérapie géniquethérapie génique semble donc être la solution la plus adaptée pour soigner cette affection rare. Mais où en est-elle ?

    Les maladies génétiques récessives portées par le chromosome X, comme l'hémophilie, sont particulières. Ce schéma explique pourquoi. Les femmes étant dotées de deux chromosomes sexuels X, les risques de déclarer la maladie sont plus faibles, car il suffit d'une bonne version du gène pour être asymptomatique. Un homme en revanche peut recevoir un X malade de sa mère si elle est porteuse (<em>carrier</em>), et comme son père lui a fourni un chromosome Y, le gène du facteur de coagulation défaillant est seul à s'exprimer : il déclare la maladie (<em>affected</em>). © <em>National Institute of Health</em>, Wikipédia, DP

    Les maladies génétiques récessives portées par le chromosome X, comme l'hémophilie, sont particulières. Ce schéma explique pourquoi. Les femmes étant dotées de deux chromosomes sexuels X, les risques de déclarer la maladie sont plus faibles, car il suffit d'une bonne version du gène pour être asymptomatique. Un homme en revanche peut recevoir un X malade de sa mère si elle est porteuse (carrier), et comme son père lui a fourni un chromosome Y, le gène du facteur de coagulation défaillant est seul à s'exprimer : il déclare la maladie (affected). © National Institute of Health, Wikipédia, DP

    « Cela fait 20 ans que tous les espoirs sont fondés sur ce traitement, poursuit le docteur Costa. Mais on est extrêmement déçu de voir la lenteur de la progression. Au cours des différentes années, de nombreux problèmes ont été soulevés. On essaie de les régler au fur et à mesure. » 

    Les efforts finissent presque par payer. En décembre 2011, la thérapie génique montrait ses premiers succès (relatifs). « L'article était assez prometteur mais tout n'est pas encore réglé, ajoute-t-elle. La grande nouvelle est que le traitement semble efficace sur le long terme. Malheureusement, on constate des effets négatifs au niveau du foiefoie. » Cela reste donc trop imparfait.

    Améliorer le quotidien des patients

    L'autre limite de ce travail était de se focaliser sur l'hémophilie B, une forme relativement fréquente (mais pas la plus courante) de la maladie qui se caractérise par un déficit de facteur IXfacteur IX de la coagulation. Or, l'espoir de rémissionrémission de l'hémophilie A (lorsque le facteur VIII fait défaut) est plus lointain. « Dans ce cas, la thérapie génique est plus difficile à mettre en place, notamment à cause de la longueur du gènegène, explique la scientifique. Mais on va y arriver, même pas à pas ».

    Pendant que certains scientifiques tentent d'ajuster les problèmes un à un, d'autres planchent sur de nouveaux moyens de simplifier le quotidien des patients. Leur objectif étant d'en finir avec l'intraveineuse et d'administrer le médicament par une voie différente.

    Pour le moment, rien de concret n'est encore proposé. « Une autre piste consiste à augmenter la duréedurée de vie du facteur de coagulation injecté. Au lieu de devoir se piquer tous les trois jours, le patient hémophile en prophylaxie pourrait n'avoir à supporter qu'une dose chaque semaine », conclut Catherine Costa. Ce qui constituerait en soi une avancée non négligeable et confortable. En attendant qu'une solution meilleure soit proposée et ne chasse les précédentes...

    (Interview parue dans Futura-Sciences le 17 avril 2012)