Le premier virophage découvert par le Professeur Didier Raoult, de l’Université de Marseille, constitue à la fois une nouvelle famille virale et une nouvelle entité biologique, capable non seulement d’infecter d’autres virus mais aussi d’effectuer le transfert de gènes d’un virus à l’autre.


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    Virus géant de type Mamavirus (en rouge) et virus satellites de type Spoutnik (en vert). Crédit Université de Marseille.

    Virus géant de type Mamavirus (en rouge) et virus satellites de type Spoutnik (en vert). Crédit Université de Marseille.

    Professeur de Microbiologie à la faculté de Médecine de Marseille où il dirige une unité de recherche du CNRS et un Institut Fédératif de recherche sur les maladies infectieuses, auteur de plus de 800 publications internationales et de plusieurs ouvrages, le Pr Didier RaoultDidier Raoult a décrit plus de 50 organismes pathogènes nouveaux pour l'homme, dont le plus gros virus à ADN connu sur terre découvert en 2003 qu'il avait baptisé avec humour Mimivirus, contraction de "Mimicking microbemicrobe virus", c'est-à-dire "virus imitant un microbe" (isolé une décennie plus tôt dans une tour de climatisationclimatisation industrielle à Bradford, en Angleterre, mais confondu alors avec une bactérie).

    Plus récemment, Didier Raoult a isolé ce qui semble être une variante de cet organisme, cette fois dans une tour de climatisation à Paris, mais légèrement plus gros, qu'il a baptisé très logiquement "Mamavirus". Puis un examen approfondi par microscopie électronique a permis de discerner des particules beaucoup plus petites, semblant étroitement liées à Mamavirus. De tels fragments d'acide nucléiqueacide nucléique sont souvent observés en association avec un virus, et les chercheurs ont baptisé le nouveau venu "SpoutnikSpoutnik", par analogieanalogie au premier satellite lancé par l'Homme.

    Le nouveau venu

    Mais Didier Raoult a rapidement démontré qu’il s’agissait en réalité d’un véritable virus. Ils en rendent compte dans la revue Nature du 7 août 2008, sous le titre "The virophagevirophage, a unique parasiteparasite of the giant MimivirusMimivirus".

    Avec seulement 21 gènesgènes contre 1260 pour Mamavirus, Spoutnik paraît réellement minuscule. Mais terriblement insidieux… Lorsque Mamavirus infecte une bactérie, sa nucléocapside, entourée de la membrane plasmiquemembrane plasmique, pénètre dans la cellule par pinocytosepinocytose et forme une "mini-usine" où pourra s’accomplir l’assemblage et la maturation des nouveaux virus en utilisant le matériel cellulaire de son hôte, qu’il détourne à son propre usage. Car, comme tous ses semblables, Mamavirus est incapable de se reproduire seul.

    Mamavirus. Crédit : Commons.

    Mamavirus. Crédit : Commons.

    Spoutnik, lui, utilise un raccourci qui stupéfie les chercheurs. Au lieu de pénétrer à l’intérieur d’une cellule-hôte ou d’y injecter son matériel génétiquematériel génétique comme dans le cas des bactériophagesbactériophages (chaque domaine du vivant, eucaryoteseucaryotes, bactéries ou archéesarchées, étant parasité par des virus qui lui sont propres), il infecte directement la nucléocapside d’un Mamavirus et la détourne à son propre usage, où il se reproduit parallèlement à son hôte.

    Comment un virus peut tomber malade

    Mamavirus, lui, ne considère pas la situation d’un bon œil… Infecté par Spoutnik, son matériel génétique "de seconde main" à nouveau détourné, il se met à produire non seulement moins de répliques de lui-même, mais de plus, celles-ci accumulent les imperfections et les anomaliesanomalies morphologiques qui le rendent moins contagieuxcontagieux.

    Dans certains cas, on a retrouvé plusieurs particules virales de Spoutnik dans une grande capsidecapside vide de Mamavirus, ce qui indique que celui-ci, infecté, est véritablement malade et peut en mourir. Observation intéressante s’il en est, car si un virus peut mourir, il faut bien admettre qu’il a été vivant… or, cette question existentielle de la vie de cette entité biologique a été posée de très nombreuses fois, sans jamais trouver de réponse définitive.

    Une séquence génétique surprenante

    Mais ce n’est pas tout. Car le séquençageséquençage du génome du virophage démontre qu’il a non seulement échangé certains gènes avec Mamavirus, mais aussi qu’il en a importé d’autres de virus étrangers. Cette analyse du génome, effectuée en collaboration avec des chercheurs français (Patrick Forterre, Institut Pasteur et Université de Paris Sud) et américains (Eugene Koonin, du National Center for Biotechnology Information, USA), montre que sur les 21 gènes de Spoutnik, 13 affichent très peu de similitudes avec tous les autres gènes connus. Mais 3 sont intimement liés aux gènes de Mimivirus et de Mamavirus, probablement "cannibalisés" au cours de l’évolution, tandis qu’un autre est proche de virus d’archée et que deux encore proviennent clairement de bactériophages.

    Ceci suggère que le virophage pourrait transmettre du matériel générique d’un virus à l’autre, à l’instar des bactériophages capables de transporter du matériel génétique entre les bactéries.

    Des implications variées et prometteuses

    Cette découverte pourrait avoir des implications insoupçonnées, selon certains virologues. Une étude métagénomiquemétagénomique récente des eaux océaniques a permis d’établir une abondance d’ordres génétiques étroitement associés aux virus géants, suggérant que ces derniers pourraient être un parasite commun du planctonplancton. Selon Jean-Michel Claverie, ceux-ci ont été ignorés longtemps, car systématiquement éliminés en raison de leur taille par les filtres destinés aux bactéries. L’équipe de Didier Raoult a aussi mis en évidence la présence de gènes spécifiques à Spoutnik dans des prélèvements océaniques, ce qui suggère que l’on pourrait se trouver en présence d’une nouvelle et abondante famille virale.

    En organisant la vie et la mort du plancton marin, les virus géants – et donc les virus satellites tels Spoutnik – pourraient exercer une influence sur les cycles nutritionnels et climatiques des océans. « Ces virus pourraient toujours actuellement jouer un rôle majeur dans les systèmes globaux », annonce Curtis Suttle, un expert en virologie marine à l’Université de Colombie Britannique à Vancouver, en soulignant que « 70 % des gènes viraux identifiés dans les prélèvements océaniques n’avaient jamais été identifiés auparavant, démontrant à quel point ces organismes sont peu connus ». Et le chercheur de préciser qu’il utilise sciemment le mot "organisme", car pour lui, ces virus sont bien vivants, la nouvelle découverte balayant tout doute à ce sujet.

    Des possibilités thérapeutiques

    Déjà, d’autres chercheurs évoquent les possibilités thérapeutiques offertes par un virus capable d’en infecter un autre tout en l’affaiblissant, voire en le détruisant. Il ne serait pas déraisonnable d’imaginer mettre au point un virophage prenant pour cible une zone du HIV restant constante, c’est-à-dire non susceptible de subir une mutation. De ce fait, les capacités de réplicationréplication du VIHVIH ainsi infecté pourraient être significativement réduites et le rendre vulnérable au système immunitairesystème immunitaire de l’organisme.

    Est-ce un rêve ?