Il suffit de quelques secondes pour mémoriser une scène et tout son contexte : l'enfant qui réussit ses premiers tours de roues en vélo ou la foule devant le panneau des résultats du baccalauréat. Cet enregistrement, lié à la mémoire dite épisodique, se traduit instantanément par la mise en place de nouvelles connexions. C'est ce que démontrent, à l'échelle de neurones uniques, des chercheurs britanniques. Ces cellules, individuellement, seront ensuite activées par un élément rappelant cette scène, ce qui remontera son souvenir. C'est la première fois qu'un mécanisme sous-jacent à une telle mémorisation est repéré à l'échelle cellulaire.

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    « Le neurone de Jennifer Aniston » : c'est ainsi que Rodrigo Quian Quiroga et Matias Ison, de l'université de Leicester (Royaume-Uni), résument les recherches sur la mémoire qu'ils viennent de publier avec leurs collègues dans la revue Neuron. La série d'expériences qu'ils ont menées leur ont en effet permis de localiser des neurones qui s'activent lors de la mémorisation puis lors du souvenir d'un fait très précis, par exemple l'image de Jennifer Aniston... ou de la tour Eiffel si les deux ont été associées.

    Pour parvenir à une telle résolutionrésolution, l'équipe a utilisé des électrodesélectrodes implantées à l'intérieur du cerveau de 14 patients. Atteints d'une forme grave d'épilepsie, ils étaient hospitalisés pour localiser leur affection et se sont portés volontaires pour ces expériences sur la mémoire. Les électrodes étaient installées dans le lobe temporaltemporal médian, une région connue pour être impliquée dans la mémorisation et qui contient l'hippocampe, l'amygdale et le cortexcortex rhinal. La précision de la mesure était telle que les chercheurs pouvaient distinguer l'activité de neurones isolés.

    Julia Roberts devant la Maison Blanche, Clint Eastwood devant la tour de Pise ou bien Jennifer Aniston devant la tour Eiffel : en quelques secondes, peut-être moins, des connexions se mettent en place de telle sorte que des neurones uniques mémorisent cette association. © Université de Leicester

    Julia Roberts devant la Maison Blanche, Clint Eastwood devant la tour de Pise ou bien Jennifer Aniston devant la tour Eiffel : en quelques secondes, peut-être moins, des connexions se mettent en place de telle sorte que des neurones uniques mémorisent cette association. © Université de Leicester

    Un neurone modifie son activation quand se forme un nouveau souvenir

    L'exercice, en plusieurs étapes, a consisté à présenter une centaine d'images de personnes (célébrités ou membres de la famille du patient) ou d'animaux puis de lieux connus, comme la tour Eiffel ou la Maison Blanche. Il a alors été possible de repérer des neurones individuels qui s'activent spécifiquement à la vue d'une des personnes et rien d'autre. Puis les sujets ont vu des montages juxtaposant une personne et un lieu. Ils devaient alors mémoriser cette association. Une fois l'apprentissage terminé, seules les images de lieux étaient présentées. Résultat : l'image de la tour Eiffel déclenchait l'activation de « neurones Aniston » si les deux avaient été associées. Ces neurones, devant les autres images, demeuraient totalement inactifs.

    Selon les auteurs, c'est la première fois qu'un mécanisme de mémorisation est ainsi localisé à l'échelle des neurones individuels. Rodrigo Quian Quiroga souligne que cet apprentissage est immédiat : il suffisait aux sujets de visionner une fois le montage de deux images pour que l'association soit mémorisée. Et c'est bien ainsi, poursuit-il, que nous fonctionnons tous les jours (les anglophones pourront visionner cette vidéo intitulée The Jennifer Aniston Neuron & Forming Memories). Mieux, les chercheurs ont vu, en quelque sorte en direct, le neurone Aniston s'activer au moment même où était présenté le montage la montrant près de la tour Eiffel. C'est donc la mémorisation elle-même qui a été repérée.

    Le processus détecté ici est celui de la mémoire épisodique, celle qui nous permet de garder le souvenir d'un événement dans son contexte. Cette découverte « fournit un mécanisme plausible lié à la création de nouveaux souvenirs », explique Matias Ison dans le communiqué de l'université de Leicester. L'ensemble des phénomènes reste encore mystérieux mais ce traçage de la mémorisation jusqu'au niveau cellulaire pourrait donner des clés bien utiles pour comprendre cette fonction encore très mal connue et peut-être pour mieux lutter contre des maladies neurologiques.