Fabriquer des cellules souches ? Rien de plus facile. Il suffit de les plonger 30 minutes dans une solution acide, attendre quelques jours et le tour est joué. En revanche, convaincre la communauté scientifique a demandé beaucoup de temps et de persévérance à la chercheuse japonaise à l’origine de ce projet audacieux. Des efforts récompensés par une découverte qui pourrait révolutionner la médecine régénérative.

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    Identifiées il y a seulement 16 ans chez l'Homme, les cellules souches embryonnaires offrent des possibilités thérapeutiques sans pareilles. À l'origine de toutes les cellules du corps, elles sont capables de se multiplier indéfiniment et de se transformer en cellules spécialisées comme des globules rouges, des neurones ou des lymphocytes. Elles pourraient ainsi être utilisées en médecine régénérative pour remplacer des tissus endommagés ou détruits et soigner des maladies dégénératives comme Alzheimer, le diabète de type 1 ou la dégénérescence maculairedégénérescence maculaire liée à l'âge (DMLA).

    L'utilisation des cellules souches embryonnairescellules souches embryonnaires, qui comme leur nom l'indique proviennent d'embryonsembryons, pose toutefois des problèmes éthiques. Pour contourner le problème, les chercheurs sont partis à la recherche de solutions alternatives qui permettraient d'obtenir ces cellules sans passer par les embryons. La solution est apparue en 2006, grâce aux travaux de Shinya Yamanaka et John Gurdon, qui ont mis au point une stratégie pour reprogrammer des cellules adultes déjà différenciées en cellules souches, appelée cellules souches pluripotentes induitescellules souches pluripotentes induites (CSPi). Cette découverte majeure a d'ailleurs été récompensée par le prix Nobel de médecine et de physiologie en 2012. Cependant, bien que très encourageante, l'utilisation de ces cellules reprogrammées génétiquement grâce à des facteurs de transcriptiontranscription n'est pas anodine et pourrait poser des problèmes à terme, comme le développement de tumeurstumeurs malignes.

    Avec John Gurdon, Shinya Yamanaka a trouvé le moyen de fabriquer des cellules souches non embryonnaires. Les recherches se poursuivent et ont déjà conduit à une méthode plus efficace pour créer de telles cellules. © Wikimedia Commons, DP
     
    Avec John Gurdon, Shinya Yamanaka a trouvé le moyen de fabriquer des cellules souches non embryonnaires. Les recherches se poursuivent et ont déjà conduit à une méthode plus efficace pour créer de telles cellules. © Wikimedia Commons, DP

    Les scientifiques continuent donc leurs investigations pour dénicher une stratégie plus sûre de fabrication de cellules souches. Dans une nouvelle étude, publiée dans la revue Nature, une équipe japonaise du Riken présente une méthode qui permet d'obtenir de telles cellules rapidement et sans difficulté. Cet exploit devrait faciliter le travail des nombreux scientifiques intéressés par cette thématique et nous rapproche un peu plus de solutions de traitement par thérapie cellulaire.

    Stresser les cellules pour les rendre pluripotentes

    La tactique est simple : soumettre les cellules à un stress en les cultivant pendant 30 minutes dans un milieu de culture acideacide par exemple. « C'est extraordinaire, raconte un Yoshiki Sasai, un des participants. Je n'aurais jamais pensé qu'un stressstress puisse avoir un tel effet ! » Il a d'ailleurs fallu plus de cinq ans à Haruko Obokata, la principale auteure de l'étude, pour développer cette technique et surtout convaincre les chercheurs, ses collègues compris, qu'elle fonctionnait bien. « Au départ, tout le monde pensait qu'il s'agissait d'un artefact, raconte-t-elle. Il y a eu des jours difficiles  j'ai moi-même vraiment douté. »

    L'histoire a commencé lorsque Haruko Obokata s'est rendu compte que les cellules changeaient de formes et ressemblaient à des cellules souches si elle les faisait passer dans un tube capillaire très fin, les soumettant ainsi à un stress. Elle a alors décidé de les contraindre à d'autres types de stress et d'observer leur devenir. Son hypothèse était juste : dans certains cas, une acidité par exemple, les cellules se sont rapidement transformées en cellules souches !

    Un chemin semé d’embûches

    Encore fallait-il prouver que ces cellules étaient pluripotentes, c'est-à-dire capables de se différencier en n'importe quelle cellule. Pour cela, la chercheuse utilisa des cellules fluorescentes rendues pluripotentes pour fabriquer des embryons de souris. « Je pensais vraiment que c'était beaucoup de travail pour rien », explique Teruhiko Wakayama, un participant à l'étude qui aida Haruko Obokata avec les souris fluorescentes. Mais au final, après de longs mois d'essais, ils réussirent ensemble à produire un embryon de souris complètement fluorescent. Autrement dit, les cellules fabriquées par Haruko Obokata étaient capables de se reprogrammer en n'importe quelle cellule spécialisée pour donner naissance à un embryon. Mais tous ces efforts n'étaient pas encore suffisants. « Mon manuscrit a été rejeté de la publication plusieurs fois », raconte la chercheuse.

    Pour convaincre les sceptiques une fois pour toutes, elle devait encore montrer que ces nouvelles cellules souches résultaient de la transformation de cellules matures et n'étaient pas tout simplement des cellules souches contaminantes déjà présentes avant l'épisode de stress. Pour ce faire, elle réalisa l'expérience avec des lymphocytes T et filma en direct leur conversion en cellules souches pluripotentes, phénomène qu'elle appela « acquisition de pluripotencepluripotence déclenchée par stimulus » (STAP, pour stimulus-triggered acquisition of pluripotency, en anglais).


    Sur cette vidéo, on peut voir comment des lymphocytes T, trempés dans un bain d’acide pendant 30 minutes, se transforment en cellules souches appelées cellules STAP. Ces cellules peuvent être utilisées pour cloner un embryon de souris. © Science News, YouTube

    Une méthode révolutionnaire dans la recherche sur les cellules souches

    Les chercheurs ont déjà réussi à fabriquer des cellules souches à partir de 12 types de cellules différents, provenant par exemple du cerveaucerveau, de la peau, des poumonspoumons et du foiefoie. En moyenne, 25 % des cellules survivent au stress et 30 % d'entre elles se transforment en cellules pluripotentes. Cette technique est donc beaucoup plus efficace que les CSPi pour lesquels le taux de conversion est de 1 % environ. Ce qui est également extraordinaire c'est que ces cellules STAP peuvent se transformer en cellules placentaires, choses que ni les CSPi ni les cellules souches embryonnaires ne sont capables de faire. « Cela pourrait rendre le clonage beaucoup plus facile », explique Teruhiko Wakayama.

    Cette nouvelle technique simple, rapide et peu coûteuse pourrait donc révolutionner la recherche sur les cellules souches. Cependant, de nombreuses études restent à faire avant le développement de la thérapie cellulairethérapie cellulaire chez l'Homme. Au vu des résultats obtenus, plusieurs laboratoires ont toutefois prévu de tester la technique sur des souris, et éventuellement sur des cellules humaines.