En mars dernier sortait un rapport de la Haute autorité de santé (HAS) critiquant la psychanalyse et la psychothérapie institutionnelle dans le traitement de l’autisme. Des propos qui évidemment n’ont pas plu aux psychiatres français. L’un d’entre eux, Gérard Schmit, interrogé par Futura-Sciences, défend sa position et ses pratiques.

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    L'autisme se présente sous de très nombreuses formes, avec différents degrés de sévérité. Ainsi, chaque patient se présente avec ses propres troubles du développement, avec des difficultés au niveau communicationnel, social et comportemental, manifestant des attitudes très stéréotypées. Il n'existe à l'heure actuelle aucune thérapie efficace chez la totalité des enfants autistes. © cindy47452, Flickr, cc by nc sa 2.0

    L'autisme se présente sous de très nombreuses formes, avec différents degrés de sévérité. Ainsi, chaque patient se présente avec ses propres troubles du développement, avec des difficultés au niveau communicationnel, social et comportemental, manifestant des attitudes très stéréotypées. Il n'existe à l'heure actuelle aucune thérapie efficace chez la totalité des enfants autistes. © cindy47452, Flickr, cc by nc sa 2.0

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    Dans le précédent article, nous recueillions l'avis du neurobiologiste Yehezkel Ben-Ari, opposant à la psychanalyse dans le traitement de l'autisme.

    Face à l'autisme, la solution miracle n'existe pas (encore ?). Cette maladie complexe et variée, grande cause nationale 2012 en France, a pour origine des mutations génétiques (au moins 1.000 potentielles) entraînant un mauvais câblage du cerveau et induisant un comportement d'enfermement de l'enfant, qui a des difficultés à communiquer, à partager son attention ou manifeste des attitudes inappropriées.

    Pour tenter de le soigner, ou au moins de l'apaiser, il existe de très nombreuses méthodes, dont certaines sont plus populaires que d'autres, selon la culture et l'histoire des territoires. Ainsi, les pays anglo-saxons sont friands des techniques de conditionnement, et utilisent beaucoup la méthode ABA en traitement de l'autisme. Une technique qui connaît ses succès et ses échecs.

    La France a laissé quant à elle davantage de place à la psychothérapie depuis les quatre dernières décennies. Aux mêmes maux des remèdes différents. Quelles pratiques sont les plus pertinentes ? La Haute autorité de santé (HAS) a émis dans un rapport datant de mars dernier ses recommandations contre ce trouble envahissant du développement. Et la psychiatrie française en prend un coup, puisque psychanalyse et psychothérapie institutionnelle sont décriées, notamment la technique du packing qui fait tant polémique. Un texte plein de lacunes et de défauts selon Gérard Schmit, du CHU de Reims, qui fait pour Futura-Sciences une lecture très critique de ce fameux rapport.

    Gérard Schmit est psychiatre au CHU de Reims. Pour lui, le rapport de la HAS néglige le travail effectué par la psychiatrie française depuis les 40 dernières années. Le thérapeute défend également l'efficacité du packing, appliqué sur quelques cas rares et bien particuliers. © Gérard Schmit

    Gérard Schmit est psychiatre au CHU de Reims. Pour lui, le rapport de la HAS néglige le travail effectué par la psychiatrie française depuis les 40 dernières années. Le thérapeute défend également l'efficacité du packing, appliqué sur quelques cas rares et bien particuliers. © Gérard Schmit

    Futura-Sciences : Qu'avez-vous envie de répondre à ces remarques qui portent sur l'inutilité de certaines pratiques psychiatriques contre l'autisme ?

    Gérard Schmit : Je suis un peu déçu de constater que les réussites de ces dernières décennies sont passées inaperçues. Il y a 40 ans, les enfants autistes étaient livrés à eux-mêmes dans les hôpitaux psychiatriques et évoluaient vers un état de marasme développemental parce qu'on ne savait pas quoi faire d'eux. Puis des psychiatres ont commencé à manifester de l'intérêt et les choses ont commencé à bouger. Depuis, la situation s'est nettement améliorée et les patients sont bien mieux pris en charge.

    Le problème de ce rapport, c'est qu'il n'a pas été mené de façon tout à fait scientifique. La revue de la littérature s'appuie sur des articles d'une pertinence limitée et néglige certaines études qui aboutissent à un résultat contradictoire et qui pourtant y auraient eu leur place. Certes, nous n'utilisons pas de protocolesprotocoles aussi stricts que pour les méthodes pratiquées aux États-Unis, mais ces techniques connaissent aussi l'échec.

    D’autres critiques à émettre sur ce rapport ?

    Gérard Schmit : Oui, bien sûr. On nous parle d'épidémie d'autisme ces dernières années, car les proportions d'enfants atteints ont nettement augmenté : de maladie rare, elle toucherait quelques pour cents de la population. Pourquoi ? Parce que le terme d'autisme a été redéfini et regroupe maintenant nombre de tableaux cliniques très différents et très hétérogènes. La HAS se limite à distinguer les formes sévères des formes plus modérées et prétend proposer un traitement presque universel qui serait bénéfique pour tous en incitant à favoriser la méthode ABA. Cela n'a aucun sens : c'est comme si on décrétait qu'il fallait soigner n'importe quel type de cancer par la radiothérapie. Il ne faut pas faire croire qu'il existe des thérapies meilleures que d'autres, elles dépendent surtout du patient.

    Êtes-vous un opposant à la méthode ABA ?

    Gérard Schmit : Non, pas du tout, parce qu'elle fonctionne parfois. Le problème, c'est qu'elle n'est pas une solution miracle et qu'elle suit de trop près un protocole prédéfini. Un enfant autiste n'est pas une machine à réparer. Nous disposons d'éléments d'objectivation pour évaluer ses performances, son comportement, etc., mais nous devons accéder à lui en tant que personne, ce qui nécessite de faire appel à sa subjectivité. Comme pour tout le monde, l'apprentissage correspond à l'intériorisation de données émanant de l'extérieur. Avec les enfants autistes, il faut s'adapter pour rentrer en communication avec eux, leur proposer des objets communs d'attention et de médiation. 

    La méthode ABA fonctionne parfois car elle est adaptée à la subjectivité de certains patients, leur proposant les éléments nécessaires pour les sortir de leur condition. Mais elle ne marche pas à tous les coups parce que l'enfant autiste ne la comprend pas toujours, probablement car elle est trop restrictive. Nous, psychiatres, accordons davantage d'importance à la réactivité de l'enfant et nous adaptons de ce fait notre thérapie, comme ce qui est préconisé dans le rapport de la HAS d'ailleurs.

    La technique du packing n'est utilisée qu'en France et en Suisse francophone dans le traitement de l'autisme. Il s'agit de couvrir l'enfant autiste d'un linge frais et humide pour le soulager. Cette pratique est très critiquée par certains, mais sollicitée par d'autres. © Mike1024, Wikipédia, DP

    La technique du packing n'est utilisée qu'en France et en Suisse francophone dans le traitement de l'autisme. Il s'agit de couvrir l'enfant autiste d'un linge frais et humide pour le soulager. Cette pratique est très critiquée par certains, mais sollicitée par d'autres. © Mike1024, Wikipédia, DP

    La pratique du packing, ou l'enveloppement du patient autiste dans un linge frais et humide, a été épinglée. Quel est votre point de vue ?

    Gérard Schmit : Déjà, il faut savoir que c'est une méthode très rarement utilisée, très chère, mais qui fonctionne. À titre d'exemple, elle ne concerne qu'un enfant par an dans mon service. Ce sont des malades qui sont très sévèrement touchés et qui s'automutilent ou se frappent la tête contre les mursmurs. Il faut réagir. Alors pour éviter de leur donner des doses trop élevées de neuroleptiques, on utilise le packing, ce qui a tendance à les calmer. L'ironie de l'histoire, c'est que certains de ces jeunes patients ainsi traités sont ceux-là même qui n'ont pas été soignés par les autres méthodes et qui ont été exclus des thérapies, ne sachant qu'en faire. On les met alors entre les mains de psychiatres barbares et incompétents...

    L'autisme est une maladie consécutive à des anomaliesanomalies dans l'anatomieanatomie du cerveaucerveau. Peut-on réellement soigner le mal avec des mots ?

    Gérard Schmit : Si on pouvait soigner une maladie neurologiquemaladie neurologique entraînant un dysfonctionnement mental en réparant les neurones, ce serait une très bonne chose. Mais je doute que cela puisse toujours se faire.

    Le jour où quelqu'un sort un médicament, une thérapie cellulairethérapie cellulaire ou autre solution qui guérit complètement l'autisme, je serai émerveillé. Mais pour l'instant, je n'ai aucune arme biologique à lui opposer, alors je fais avec les moyens dont je dispose : j'essaie d'établir le contact, je diversifie les prises en charge en prenant en compte l'éducation, la pédagogie ou les méthodes thérapeutiques. Ainsi, nous souhaitons aider l'enfant autiste à se construire avec le cerveau qu'il a plutôt que de vouloir le conditionner de l'extérieur. Je ne suis pas hostile aux neurosciences, je suis hostile aux théories réductionnistes qui voudraient qu'on considère qu'il n'existe qu' une dimension à un problème, là où il y en a plusieurs. 

    Le psychisme humain s'incarne dans le cerveau mais se nourrit aussi des expériences de vie, des apports relationnels qui modifient en retour le fonctionnement cérébral. Cette influence bidirectionnelle cerveau-psychisme existe aussi chez les personnes autistes. Il ne s'agit pas de traiter un cerveau lésé avec des mots mais d'entrer en relation avec une personne et ceci, c'est tout simplement humain.