En 1983, une équipe française observait pour la première fois le VIH sous un microscope. Tour d’horizon du parcours médical et scientifique qui a conduit à cette découverte.

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    Le 20 mai 1983, dans la revue Science, des chercheurs de l'institut Pasteur dirigés par Luc MontagnierLuc Montagnier ont publié la découverte du virus responsable du Sida. Trente ans plus tard, Futura-Sciences vous propose de revenir sur le contexte particulier de l'époque et sur la stratégie scientifique qui a mené à cette trouvaille.

    À la fin de l'année 1978, de nombreux Américains à New York et Los Angeles sont atteints d'une pathologie inconnue. Les symptômes sont tous identiques : amaigrissement, fièvre, pneumonie et sarcome de Kaposi, une forme de cancer qui provoque l'apparition de tumeurstumeurs violacées sur la peau. Cette maladie, qui touche principalement la communauté homosexuellehomosexuelle, est alors surnommée « pestepeste gay » ou « syndromesyndrome gay ». Le 5 juin 1981, le Center for Disease ControlCenter for Disease Control (CDC) diffuse la première description de cette maladie. Peu de temps après, le New York Times publie l'un des premiers articles sur le sujet, Un rare cancer diagnostiqué chez 41 homosexuels.

    Le Sida s'est tout d'abord répandu dans les communautés homosexuelles. On a compris plus tard que cette maladie peut affecter n'importe qui. © Philippe Leroyer, Flickr, cc by nc nd 2.0

    Le Sida s'est tout d'abord répandu dans les communautés homosexuelles. On a compris plus tard que cette maladie peut affecter n'importe qui. © Philippe Leroyer, Flickr, cc by nc nd 2.0

    Les scientifiques reconnaissent alors l'émergenceémergence d'une nouvelle pathologie qui affecte le système immunitaire et l'empêche de lutter contre les infections. Le chercheur Bruce Voeller la nomme SidaSida, pour syndrome d’immunodéficience acquise. Les premières recherches démontrent que le Sida se transmet par les voies sexuelle et sanguine. Elle ne frappe pas uniquement les homosexuels, mais touche aussi les hétérosexuels, les utilisateurs de droguesdrogues par voie intraveineuse et certaines personnes ayant reçu une transfusion sanguine.

    Un rétrovirus mis en cause dans le Sida

    Au vu des modes de transmission, l'hypothèse d'une origine virale de la maladie est privilégiée. Avec l'apparition en France de cas similaire au cours de l'année 1982, les scientifiques et médecins français commencent à se mobiliser. Willy Rozenbaum, qui travaille à l'hôpital Bichat, essaye en vain de trouver l'agent responsable de cette maladie qui, selon lui, est causée par un virus d'un nouveau genre. Il contacte alors des chercheurs de l'unité d'oncologieoncologie virale de l'institut Pasteur, Jean-Claude Chermann, Françoise Barré-SinoussiFrançoise Barré-Sinoussi et Luc Montagnier. Ces derniers possédaient à l'époque des technologies nouvelles pour travailler sur les rétrovirus, des virus à ARNARN connus pour provoquer des immunodéficiences.

    Image de microscopie électronique à transmission provenant de la première publication ayant mis en évidence le VIH, appelé à cette époque LAV, pour <em>lymphadenopathy associated virus</em>.<em> </em>© Barré-Sinoussi<em> et al.</em>,<em> Science</em>

    Image de microscopie électronique à transmission provenant de la première publication ayant mis en évidence le VIH, appelé à cette époque LAV, pour lymphadenopathy associated virus. © Barré-Sinoussi et al., Science

    C'est alors que les choses sérieuses commencèrent. En janvier 1983, Willy Rozenbaum envoie des prélèvements ganglionnaires provenant d'un patient atteint du Sida, mais à un stade précoce, avant l'apparition d'une immunodéficience profonde ou le taux de lymphocytes CD4 est quasiment nul. Les scientifiques se mettent alors à pister la présence d'un rétrovirusrétrovirus dans l'échantillon. Pour ce faire, ils recherchent une activité de transcriptase inverse, qui serait le résultat de l'action d'une enzymeenzyme rétrovirale induisant la conversion d'ARN en ADNADN.

    C'est ce qui se produisit trois semaines plus tard. La présence d'un rétrovirus chez les patients atteints du Sida a enfin été confirmée expérimentalement ! Restait à l'observer... C'est alors que l'inquiétude grandit. Car au moment où l'activité de transcriptase inversetranscriptase inverse est décelée, les lymphocytes se mettent à mourir... Il fallait agir vite, car le virus risquait de disparaître faute de cellules hôtes ! Charles Dauguet, responsable de la microscopie au sein de l'équipe, est intervenu à ce moment-là. Après plusieurs jours de patience, il put visionner les particules virales sous son microscopemicroscope. L'équipe appela à l'époque ce nouveau virus LAV, pour lymphadenopathy associated virus. Le lien de causalité entre ce virus et le Sida restait cependant à démontrer.

    Collaboration américaine qui fait polémique

    Forts de cette découverte, les chercheurs français établirent une collaboration avec le laboratoire américain du National Cancer Institute dirigé par Robert Gallo, qui avait décrit le seul rétrovirus humain connu à l'époque, le HTLV-I. Cependant, un an après la sortie de la publication française dans Science, le secrétaire américain à la Santé annonça la découverte du virus du Sida par Robert Gallo, rebaptisé pour l'occasion HTLV-III. Selon lui, son équipe aurait découvert cet agent infectieux avant les Français.

    S'ensuivit une bataille juridique, qui s'est terminée en faveur des chercheurs de l'institut Pasteur. En 1986, la communauté scientifique décide de renommer ce virus VIHVIH, pour virus de l'immunodéficienceimmunodéficience humaine. Cette même année, l'équipe de Luc Montagnier isole un deuxième virus, le VIH-2. En 2008, la remise du prix Nobel de médecine à Luc Montagnier et Françoise Barré-Sinoussi clôt définitivement le débat.