Si les cellules sont généralement plutôt casanières, l'envie peut parfois leur prendre d'aller voir ailleurs : un vagabondage aux conséquences très variables.
Au cours du développement embryonnaire, les cellules doivent migrer pour donner naissance à de nouveaux tissus. Cet esprit vagabond est indispensable au modelage du futur être vivant. En revanche lorsque des cellules tumorales acquièrent la capacité de se déplacer et d'envahir d'autres tissus, il y a un risque de métastases, ce qui rend d'autant plus difficile le traitement du cancer. A l'Institut Curie, des chercheurs de l'Inserm dans une unité CNRS viennent de montrer que la protéine Akt est un « carburant » permettant aux cellules épithéliales de se déplacer.

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    Publiée dans Cancer Research du 1er mai 2003, cette découverte offre de nouvelles perspectives thérapeutiques puisqu'en modifiant la protéine Akt, la formation des métastases pourrait être enrayée.

    L'union fait la force : tel est le mot d'ordre chez les cellules épithéliales. Organisées en feuillets, elles recouvrent une surface externe, comme la peau, ou une cavité de l'organisme, comme la muqueuse intestinale, et doivent rester soudées au sein de leur tissu pour remplir les fonctions qui sont les leurs. Cette cohésion est indispensable au bon fonctionnement de l'organisme et, en bons petits soldats, les cellules épithéliales sont censées rester « fidèles » à leur tissu d'origine jusqu'à leur mort. Mais aucun système n'est parfait et des dérèglements peuvent survenir.

    C'est généralement par une série d'accidents génétiquesgénétiques que débute la « mutinerie » cellulaire. Les anomaliesanomalies s'accumulent sur des gènesgènes qui régissent les processus vitaux (division, différenciation, réparation, apoptoseapoptose). La cellule devenue anormale échappe à toute régulation : le processus de cancérogenèsecancérogenèse est amorcé. Issues d'une première cellule mutée, les cellules cancéreuses forment alors une tumeurtumeur qui devient de plus en plus agressive pour son environnement et échappe inéluctablement à tout contrôle.

    Quand les cellules s'échappent…

    Certaines cellules cancéreuses n'arrêtent pas leur progression à la seule invasion du tissu d'origine, mais se propagent dans l'ensemble de l'organisme. Ce long cheminement des cellules tumorales n'est possible qu'au prix de nombreuses mutations. C'est la perte progressive de la fonction ou l'accroissement d'activité de certaines protéines qui leur permet de pénétrer dans un autre tissu, de perforer un vaisseau sanguin ou lymphatique, de se propager avant d'adhérer à la paroi d'un capillaire puis d'envahir un nouveau tissu. Le parcours et les organes cibles des cellules tumorales « circulantes » varient généralement selon la nature et l'implantation du cancer primitif.

    Tant que les cellules restent groupées, la tumeur est considérée comme localisée et par la même maîtrisable. Un traitement local (chirurgiechirurgie, radiothérapieradiothérapie) conduit alors à la guérisonguérison du patient. En revanche lorsque les cellules acquièrent la capacité de disséminer dans l'organisme, la tumeur est alors considérée comme métastatiquemétastatique et son éradication rendue plus complexe.

    A l'Institut Curie, l'équipe de Lionel Larue cherche à savoir comment les cellules, et tout particulièrement les cellules épithéliales, acquièrent leur capacité à migrer dans l'organisme. Ce phénomène se produit aussi bien au cours du développement de l'embryonembryon que chez certaines cellules tumorales, ce qui peut en partie expliquer que la cancérogenèse soit parfois décrite comme le « miroirmiroir inversé » de l'embryogenèseembryogenèse.

    Dans ce contexte, Lionel Larue et son équipe s'intéressent à la protéine Akt, déjà impliquée dans de nombreux processus cellulaires, qui est continuellement activée dans de nombreux cancers, dont ceux des ovairesovaires, du pancréaspancréas, du sein et de la thyroïdethyroïde.
    En collaboration avec des équipes internationales, ils ont donc cherché à élucider le rôle de cette protéine et les conséquences de son surcroît d'activité dans les cellules tumorales.

    Akt, pilier de la transformation métastatique

    La cohésion des tissus est assurée par des protéines d'ancrage situées au niveau de la membrane cellulairemembrane cellulaire. Mais, si ces protéines reçoivent l'ordre de se placer à l'intérieur des cellules, les amarres sont rompues et la cellule peut alors quitter son tissu d'origine.
    Sylvia Julien Grille dans l'équipe de Lionel Larue, en étroite collaboration avec l'équipe d'Alfonso Bellacosa à Philadelphie, vient de montrer que l'activation d'Akt en continu , et non plus en alternatif, entraîne des changements conséquents : une modification de l'expression des protéines d'ancrage et leur relocalisation à l'intérieur des cellules, une perte d'adhésion entre cellules et une augmentation de la vitessevitesse de déplacement des cellules.

    Sur des modèles animaux dans lesquels la protéine Akt est continuellement activée au niveau de la trachéetrachée, les chercheurs de l'Institut Curie observent également une accélération de la division cellulaire et une migration des cellules au-delà de la trachée (voir images p. 3).
    Les chercheurs ont donc conclu que l'activation anormale d'Akt en continu confère aux cellules la mobilité nécessaire pour aller envahir d'autres tissus et former des métastases.

    L'enjeu pour les biologistes et les chimistes de l'Institut Curie est désormais de découvrir la (ou les) moléculemolécule (s) susceptible(s) de restaurer la cohésion dans les cellules où la protéine Akt est continuellement activée. Akt constitue ainsi une cible prometteuse pour de nouveaux traitements puisqu'en agissant sur cette protéine, il serait possible de limiter l'invasion des cellules tumorales à d'autres tissus.

    Pour en savoir plus : Le développement embryonnaire, un « miroir inversé » de la cancérogenèse

    De nombreux points communs existent entre la formation d'un embryon et le développement d'un cancer, deux processus qui se caractérisent entre autres par le passage d'une cellule unique à un groupe de plusieurs cellules. Ainsi, à l'image d'une tumeur en pleine croissance, les cellules de l'œuf fécondé connaissent un rythme soutenu de divisions. Elles migrent ensuite pour donner forme aux futurs organes, tandis que des cellules cancéreuses échappéeséchappées de leur tumeur d'origine engendreront des métastases. Des similitudes qui font du développement embryonnaire une « image-miroir » de la transformation tumorale. L'étude de l'embryogenèse peut ainsi permettre de mieux comprendre comment peuvent naître et évoluer les cancers. Ce constat a donc amené les chercheurs en cancérologiecancérologie fondamentale et les spécialistes de la biologie du développement à travailler ensemble. De cette rencontre est d'ores et déjà apparu que ce sont souvent les mêmes gènes qui interviennent dans le développement d'un embryon et dans l'apparition d'une tumeur.