Les prix IgNobel 2017 viennent d'être décernés. Parmi les lauréats de ce concours des recherches « qui font rire puis réfléchir » figurent des chercheurs français du CNRS récompensés pour une étrange étude sur le cerveau et le fromage. Comme nous le rapportions en 2016, pour avoir bien senti qu'il se passait quelque chose, ces scientifiques ont décrypté les processus cérébraux qui expliqueraient pourquoi certaines personnes détestent tant le fromage.

au sommaire


    Article du CNRS paru le 18 octobre 2016

    Difficile d'être tiède face à un munster ou un époisses : on adore ou cela nous dégoûte. La France a beau être le pays qui compte le plus grand nombre de variétés de fromages (près de 1.600), nombreuses sont les personnes qui sont rebutées par cet aliment. Or l'aversion est un élément extrêmement puissant dans le monde animal : elle représente un élément clé de la survie, d'où l'intérêt d'étudier les mécanismes cérébraux à l'œuvre.

    Pourquoi le fromage ? Car il semblait aux chercheurs que nombre de personnes n'aimaient pas ce type de laitage. Des chercheurs du Centre de recherche en neuroscience de Lyon (CNRS/Inserm/Université Claude BernardClaude Bernard Lyon 1/Université Jean Monnet) et du laboratoire Neuroscience Paris Seine (CNRS/Inserm/UPMC) ont donc effectué une étude sur un échantillon de 332 personnes afin de vérifier leur intuition : le fromage est bien l'aliment pour lequel l'aversion est la plus fréquente. Elle concerne 6 % des personnes interrogées alors que l'aversion pour le poissonpoisson ne concerne que 2,7 % des personnes testées et celles pour la charcuterie 2,4 %. Parmi les personnes aversives au fromage, 18 % se disent intolérantes au lactose et dans 47 % des cas, au moins un des membres de leur famille n'aime pas non plus le fromage. Ces chiffres suggèrent une origine génétique de cette aversion, qui pourrait par exemple être liée à l'intolérance au lactose.

    Pour étudier ce qu'il se passe dans le cerveau, quinze personnes aimantaimant le fromage et quinze autres ne l'appréciant pas ont ensuite été sélectionnées et ont participé à une étude d'imagerie par résonance magnétique fonctionnelleimagerie par résonance magnétique fonctionnelle (IRMf). Elles ont ainsi été confrontées simultanément à l'image et l'odeur de six fromages différents et de six autres types d'aliments témoins. Elles devaient affirmer si elles appréciaient ou pas l'odeur et la vue de ces aliments, puis si, à ce moment précis, elles avaient envie de les manger.

    Chez les personnes qui n’aiment pas le fromage, l’odeur et/ou la vue de cet aliment ne stimulent pas une région du cerveau pourtant activée quand on a faim. © Alliance, Shutterstock

    Chez les personnes qui n’aiment pas le fromage, l’odeur et/ou la vue de cet aliment ne stimulent pas une région du cerveau pourtant activée quand on a faim. © Alliance, Shutterstock

    Le circuit de la récompense impliqué dans le dégoût du fromage

    Les chercheurs ont alors observé que le pallidum ventral, une petite structure habituellement activée chez des personnes qui ont faim, était totalement inactive lors de la présentation d'une odeur et d'une image de fromage chez les personnes aversives au fromage alors qu'elle était activée par tous les autres types d'aliments.

    Plus étonnant, les chercheurs ont constaté que des aires cérébrales, le globus pallidus et la substantia nigrasubstantia nigra, qui participent au circuit de la récompense (activées quand on adore quelque chose), étaient plus impliquées chez les personnes qui détestent le fromage que chez celles qui l'apprécient. Il semble donc que ces structures classiquement impliquées dans le traitement de la récompense, sont aussi sollicitées en réponse à un stimulus aversif. Pour expliquer cette dualité, les chercheurs suggèrent que ces régions comprennent deux types de neurones avec des activités complémentaires : l'une liée au caractère récompensant d'un aliment, l'autre à son caractère aversif.

    Ces travaux,  publiés sur le site de Frontiers in Human Neuroscience, lèvent donc un coin du voile sur les aires cérébrales activées par la perception d'un aliment aversif et conduisent à penser que le circuit de la récompense peut aussi encoder le dégoût.