Que savons-nous actuellement de la mémoire immunitaire chez les patients guéris de l'infection à SARS-CoV-2 ? Futura est allé poser la question à deux experts qui travaillent sur le système immunitaire.


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    Ce nouveau virus, apparu il y a quelques mois, regorge de mystère. Si nous avons pu rapidement décrypter son génome, nous sommes encore loin de tout savoir sur ce qu'il se passe lorsqu'il interagit avec notre organisme. Parmi toutes ces interrogations, celle de la mémoire immunitaire nous taraude. Après une infection au SARS-CoV-2, sommes-nous protégés ? Qu'advient-il de nos lymphocytes à mémoire ? Y en a-t-il ? Chez tout le monde ? Si oui, combien ? Ont-ils acquis une longévité accrue ? Sont-ils robustes ? Ou au contraire sont-ils fragiles avec une courte duréedurée de vie ? Tant de questions auxquelles les scientifiques doivent répondre dans une course acharnée contre la progression de la pandémie.

    Quelques rappels sur le système immunitaire

    Notre système immunitaire est une machinerie éminemment complexe. On ne peut pas le booster en un claquement de doigt. Grâce aux avancées de la biologie, des technologies et de la méthode scientifique, nous en connaissons un peu plus à son sujet. Cependant, nous sommes bien loin d'en saisir tous les tenants et les aboutissants. Pour alléger la lecture, racontons une histoire, un peu comme dans le dessin animé Il était une fois... la vie.

    Imaginez votre organisme comme une petite cité grecque. Vous avez des soldats (macrophagesmacrophages, cellules dendritiques, cellules NK, granulocytesgranulocytes) qui tournent en permanence pour s'assurer que personne n'attaque votre cité. Ces derniers peuvent déclencher ce qu'on appelle la réponse immunitaire innée. Elle se traduit généralement par des réactions inflammatoires. En plus de ça, vous avez des estafettes (cellules présentatrices d'antigènesantigènes) qui, lorsque les soldats sont débordés, amènent le suspect à vos généraux (les lymphocytes B et T). En réalité, certains des soldats décrits (macrophages, cellules dendritiques) ont la capacité de se différencier et se transformer en estafette lorsqu'ils rencontrent des moléculesmolécules propres aux agents pathogènes (acides nucléiquesacides nucléiques viraux ou bactériens par exemple). Les lymphocytes-généraux scrutent l'uniforme de l'assaillant (protéineprotéine particulière) et ses décorationsdécorations (autres caractéristiques particulières, en général de nature protéique) lorsqu'il se présente. Tout cela fait partie de la réponse immunitaire adaptative.

    La mémoire immunitaire agit comme un bouclier. Dans le cadre du SARS-CoV-2, plusieurs hypothèses sont à l'étude pour l'expliquer. © SciePro, Adobe Stock
    La mémoire immunitaire agit comme un bouclier. Dans le cadre du SARS-CoV-2, plusieurs hypothèses sont à l'étude pour l'expliquer. © SciePro, Adobe Stock

    Par la suite, ils créeront des armes (des anticorpsanticorps nommés immunoglobulinesimmunoglobulines) spécialisées dans le combat d'assaillants spécifiques (réponse immunitaire humorale) où ils lâcheront des bombes (des molécules cytotoxiquescytotoxiques, comme granzymegranzyme B, qui ont pour capacité de tuer les cellules infectées) sur les assaillants (réponse immunitaire cellulaire). Dans les deux cas, ils formeront normalement d'autres généraux en massemasse. Ces derniers mieux entraînés et mieux armés seront prêts à réagir plus vite et plus fort lorsque le pathogènepathogène refera surface. C'est ce que l'on appelle la mémoire immunitaire. 

    La mémoire immunitaire désigne donc une population de lymphocytes (B ou T) ayant acquis des propriétés fonctionnelles nouvelles ou accrues permettant à l'organisme de se défendre avec beaucoup plus d'efficacité lors de la réexposition à un agent pathogène déjà rencontré dans le passé. C'est comme cela que fonctionnent les vaccins. Pourtant, que ce soit les infections ou les vaccinsvaccins, l'immunitéimmunité conférée est variable et emprunte parfois des mécanismes différents.

    Comme nous l'explique Branka Horvat, directrice de l'équipe Immunobiologie des infections virales au Centre international de recherche en infectiologie de Lyon, « avoir été infecté et ne pas produire beaucoup d'anticorps ne veut pas forcément dire qu'on n'est pas protégé ; en effet, il faut aussi évaluer la réponse immunitaire cellulaire, plus difficilement mesurable que la réponse humorale. » Le vaccin contre le virus de la rougeolerougeole par exemple, nous immunise à vie tandis que la protection conférée par le vaccin contre le tétanostétanos s'évanouit au cours du temps, nécessitant donc des rappels vaccinaux. Pour maintenir une immunité, il fait l'objet de plusieurs rappels dans la vie d'une personne. 

    Mémoire immunitaire et SARS-CoV-2 

    En Corée du Sud, plusieurs cas de personnes ayant surmonté la maladie, sans production détectable d'anticorps, ont été rapportés. Mais en réalité, il y a plusieurs hypothèses pour définir ce phénomène. Comme l'explique Thierry Defrance, directeur de l'équipe Lymphocytes B effecteurs et à mémoire au Centre international de recherche en infectiologie à Lyon : « Il y a plusieurs hypothèses. Soit il s'agit d'une résurgence des symptômessymptômes sans que le virus soit à nouveau détectable. Dans ce cas, il s'agirait d'une sorte de sursautsursaut du système immunitaire à distance de la primo-infection (par exemple un second orageorage cytokinique mais sans cause virale déclenchante). Ou bien, ce qui me semble plus probable, c'est une ré-expression du virus qui se serait dissimulé dans certains sites protégés de l'organisme, moins accessibles à la réponse immunitaire et qui pourrait se réactiver lorsque la pressionpression du système immunitaire est moins forte. Cela pose la question d'un défaut possible de génération de mémoire immunitaire lors de la primo infection. Mais cela ne représente probablement pas la majorité des cas pour lesquels une mémoire semble effectivement générée. L'étude chinoise prépubliée montrant que 70 % des patients infectés font des anticorps neutralisants et le fait que le plasmaplasma de patients post-infection peut être transféré à des patients nouvellement infectés pour neutraliser le virus atteste par là même d'anticorps neutralisants circulant chez les patients post-infection. » 

    On peut aussi penser à un diagnosticdiagnostic défaillant lors de la supposée première infection ou bien d'autres hypothèses, inconnues jusqu'alors, qui ne doivent pas être occultées avant de plus amples investigations.

    Si nous n'avons pas d'anticorps détectables, cela ne signifie pas forcément que nous ne sommes pas immunisés. © Guteksk7, Adobe Stock
    Si nous n'avons pas d'anticorps détectables, cela ne signifie pas forcément que nous ne sommes pas immunisés. © Guteksk7, Adobe Stock

    La réalité, c'est que nous ne savons pas grand-chose, mais que nous apprenons vite. Une étude prépubliée chinoise (celle dont parlait Thierry Defrance, ci-dessus) suggère qu'il y a une réponse anticorps mais qu'elle est assez variable. La durée et la robustesse de cette mémoire immunitaire chez ceux qui en bénéficient sont également inconnues. Comme l'a évoqué avant-hier le ministre de la Santé Olivier Véran, pour l'instant plusieurs hypothèses sont à l'étude et il faut attendre que la science tranche sur les faits, car c'est bien son rôle. 

    Pour comprendre pourquoi, il faut se remémorer le fonctionnement des sciences. Les sciences, ce n'est pas un grand livre avec tout le savoir écrit dedans. Les scientifiques sont tout l'inverse des personnes qui prétendent tout savoir. Ils apprennent à force d'élaboration de théories, d'expériences et de confrontation au réel. Dès lors qu'un nouveau phénomène se donne à voir (ici, l'émergenceémergence d'un nouveau virus), malheureusement, nous sommes dans l'inconnu. C'est ce qui caractérise le travail scientifique. Naviguer dans l'incertitude et confronter ses hypothèses à la réalité. Seule la confrontation de l'hypothèse avec les données expérimentales donne naissance à un savoir. Le scientifique n'est pas un grand sage qui crée de la vérité ex nihilo

    Cela, il faut bien l'avoir en tête afin de comprendre pourquoi, dans cette crise que nous traversons, nous entendons si fréquemment « soyons prudents », « nous ne savons pas encore », « les scientifiques travaillent d'arrache-pied, il faut leur laisser le temps de produire des connaissances ». Le travail scientifique est méthodique. Il requiert de la persévérance et de la rigueur. Pour toutes ces raisons, il est passionnant, fastidieux et ingrat. On doit se confronter au réel. Et, souvent, on se le prend en pleine figure en constatant que notre hypothèse est fausse.

    De l'autre côté, le grand public attend des scientifiques qu'ils sachent. Cela montre une piètre connaissance de ce qu'est la science par la population. Est-ce la faute des scientifiques qui ne vulgarisent pas assez ? De l'éducation nationale qui ne sensibilise pas assez nos écoliers à l'histoire des sciences ? Ou aux citoyens qui se désintéressent trop de ces questions ? Ce n'est pas le sujet ici. Ce qu'on peut tout de même dire, c'est que sans savoir ce que sont les sciences, nous baignons dans le relativisme des énoncés.

    Plus profondément, nous sommes confrontés à la peur de l'incertitude. Mieux comprendre les sciences et travailler sur soi-même, c'est pouvoir mieux accepter cette incertitude sur le monde au lieu de s'enliser dans de fausses vérités qui nous rassurent et prolongent la durée de l'incertitude. Nous espérons que cette crise aura au moins le mérite de montrer à la population générale que la science, c'est avant tout de nager dans l'incertitude. Quant à nous, citoyens, elle nous permettra, peut-être, d'apprendre à vivre avec cette dernière qui est, en réalité, omniprésente dans nos vies.