La folie médiatique autour de la chloroquine, cet anti-paludique vanté par des experts français depuis début mars, n'a pas fini de faire des dégâts dans le monde entier. En plus de tout ce que nous savions déjà, on constate maintenant que cette cacophonie ampute la recherche clinique mondiale.


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    Qui n'a pas entendu parler de la chloroquine ? Qui ne possède pas un avis sur son efficacité présumée ? Si ce n'est pas déjà le cas, notre article Chloroquine et Covid-19 : que faut-il en penser ? pourra vous aider à y voir plus clair. Le problème avec ce qu'on peut appeler sans crainte désormais, « l'affaire de la chloroquine », c'est le rabattage médiatique qui a eu lieu à son sujet. Cette cacophonie digne d'une mauvaise télé-réalité a considérablement amputé la recherche médicale en France. Ça, nous le savions déjà. Ce que nous ignorions, c'est que cette histoire avait impacté la recherche médicale dans le monde entier. Un article paru dans la prestigieuse revue Nature nous aide à y voir plus clair.

    Quand un engouement médiatique et politique ampute la recherche médicale

    Une annonce qui vient de Chine, un virologue marseillais « fanfaronnant » sur les résultats de son étude peu rigoureuse, un président américain en roue libre. Il n'en a pas fallu plus pour tirer une balle, voire une rafale de balles, dans les deux pieds de la recherche médicale. « Il y a un énorme favoritisme », explique Valdés-Ferrer, chercheur en sciences médicales, à l'Institut national des Sciences médicales et de la nutrition, au Mexique, qui étudie les effets d'un médicament contre la démence sur le Covid-19. « Les études de tous les autres médicaments potentiels, pour tous les âges et degrés de gravitégravité, sont en grande difficulté. »

    Partout, les essais cliniques rencontrent des problèmes. Déjà, en France, brasier de la polémique, des médecins avaient éprouvé des difficultés pour inclure des patients dans le protocoleprotocole de l'étude Discovery. Les résultats devaient normalement être disponibles début avril. Ils devraient être publiés très bientôt. Un mois, lors d'une pandémie, c'est long. Très long. Comme si cela ne suffisait pas, les difficultés sont désormais planétaires : au Mexique, en Iran, en Espagne, aux États-Unis et en France, bien sûr.

    « Lorsque vous avez des personnes désespérées et, disons-le, des médecins désespérés, vous voulez croire que vous avez quelque chose qui fonctionne, explique Daniel Kaul, spécialiste des maladies infectieuses à la faculté de médecine de l'université du Michigan. Mais à la fin de la journée, cela n'aide personne si ce n'est pas efficace, et si cela empêche les gens de participer à d'autres études. »

    Une majorité de patients veut participer aux essais qui incluent la possibilité de recevoir de la chloroquine. Parfois, ils ne veulent même pas participer. Ils veulent de l'hydroxychloroquinehydroxychloroquine, un point c'est tout. Les inclure dans des essais devient alors un véritable calvaire. Certains en ont même déjà pris en préventionprévention ou bien sont sous « traitement ». À ce stade là, il devient impossible de les inclure où que ce soit. En effet, la prise d'un autre médicament constitue un biais indépassable pour interpréter les données d'un autre essai clinique. « Les patients ont déjà commencé à prendre deux, voire trois médicaments », désespère Alireza Ghaffarieh, pathologiste à l'Université des sciences médicales de Kermanshah, en Iran. Il a renoncé à son intention d'exclure le traitement à la chloroquine de son essai concernant un médicament chélateur de ferfer chez les personnes atteintes de Covid-19.

    La crise de la chloroquine a amputé la recherche médicale partout dans le monde. © HalfPoint, Adobe Stock
    La crise de la chloroquine a amputé la recherche médicale partout dans le monde. © HalfPoint, Adobe Stock

    Bruit médiatique sur bruit statistique

    Aussi, ce vacarme ne semble pas proportionnel à l'efficacité de la moléculemolécule. En effet, petit à petit, on constate que la chloroquine ressemble de plus en plus à la peau de l'ours que l'on nous a vendue avant de l'avoir tuée contre le Covid-19. Il faut, bien sûr, encore rester prudent. « Les petits essais peuvent osciller des deux côtés -- de "oui, ça a l'airair super" à "non, c'est nocif"  -- et c'est ce que nous voyons », rappelle dit Richard Whitlock, chirurgien et médecin de soins intensifs à l'Institut de recherche en santé des populations (PHRI) à Hamilton, au Canada. C'est ce qu'on appelle le bruit de mesure. Certaines études d'observations pré-publiées et des analyses pharmacocinétiques poussent à encore plus de prudence et à l'attente des essais contrôlés randomisés. 

    De plus, les essais cliniques en cours n'ont pas été stoppés précocement. Or, il existe des procédures pour les arrêter lorsqu'on constate des bénéfices spectaculaires ou des risques colossaux. On peut d'ores et déjà, semble t-il, faire le deuil de ses présupposés bénéfices. L'engouement a pris une telle proportion que les agences du médicament de différents pays commencent également à s'en mêler. Elles appellent bien à n'utiliser ce médicament qu'au sein d'essais cliniques dans le cadre du Covid-19. On notera que c'est ce que recommande l'Organisation mondiale de la SantéOrganisation mondiale de la Santé (OMS) depuis le début. « Les médecins essaient simplement parce qu'ils veulent offrir quelque chose à leurs patients, déplore Lauren Sauer, chercheuse en médecine d'urgence à l'université Johns Hopkins, à Baltimore, dans l'état du Maryland (États-Unis). Les anecdotes font désormais office de preuve, semble-t-il. » N'oublions pas que le groupe placeboplacebo n'est pas toujours le groupe le moins « chanceux ».

    Si tout ça n'était pas encore suffisant pour rester vraiment très prudent, d'autres données concernant dix-sept personnes souffrant de lupus, une maladie auto-immune nécessitant un traitement à l'hydroxychloroquine, poussent encore plus à la retenue. Lorsqu'elles sont infectées par le SARS-CoV-2SARS-CoV-2, elles auraient plus d'effets secondaires qu'en temps normal. Bien sûr, leur état de santé, la posologie ou encore le traitement de longue duréedurée sont autant de facteurs de confusion qui peuvent jouer un rôle. Le petit échantillon ne permet évidemment pas non plus de savoir si l'effet est bien réel. Néanmoins, cela doit appeler, vous l'avez deviné, car nous le rabâchons depuis le début, à la plus grande prudence.

    Finalement, l'hystérie collective autour de la chloroquine semble surtout avoir retardé la recherche clinique dans sa potentielle découverte de traitements efficaces. « Les chercheurs auraient pu régler certaines de ces questions il y a des semaines s'il y avait eu un effort international rapide pour développer de vrais essais cliniques rigoureux sur la chloroquine, explique Ole Søgaard, médecin spécialiste des maladies infectieuses à l'hôpital universitaire d'Aarhus au Danemark. Aujourd'hui, plus de 100 essais cliniques visent à tester la chloroquine ou l'hydroxychloroquine contre Covid-19. »

    Néanmoins, dans le scénario où la chloroquine aurait bien un intérêt thérapeutique, même modeste, dans le cadre du Covid-19, du temps aura aussi été perdu pour trouver une molécule alternative aux patients cardiaques. En effet, cette molécule est contre-indiquée chez ce type de malades à cause des effets secondaires qu'elle peut provoquer. Dans ce même scénario, il ne faudra pas être victime d'un biais du résultat. 

    Il faudra tirer les bonnes leçons de l'affaire de la chloroquine. © Khamkula, Adobe Stock
    Il faudra tirer les bonnes leçons de l'affaire de la chloroquine. © Khamkula, Adobe Stock

    Tirer les bonnes leçons

    Quels enseignements tirer de cette cacophonie autour de la chloroquine ? Plusieurs choses sont importantes : 

    L'argument d'autorité n'est pas un argument. Même si des personnes expertes d'un domaine affirment quelque chose, il est important de regarder comment la communauté scientifique, qui sait analyser les résultats présentés, réagit aux annonces des experts concernés. On a aussi pu voir cela récemment avec les « élucubrations fantaisistes » de Luc Montagnier sur l'origine du SARS-CoV-2.

    Il faut prendre plus de recul et toujours se demander à quel point nous sommes ignorants sur un sujet. C'est censé être l'attitude normale du scientifique. Étant donné ce que l'on a observé au cours de ces péripéties médiatiques, il vaut mieux appliquer cette règle également à soi-même.

    Ne nous laissons pas aveugler par nos espoirs et prenons garde à notre communication. L'espoir peut faire croire n'importe quoi tandis qu'une mauvaise communication suscitant ou étant la résultante de cet espoir peut conduire à adopter des comportements dangereux.

    Pour détailler tous ces points et plus encore, Futura organise un LIVE sur sa page Facebook ce vendredi 1er mai : « La science à l'ère du sensationnel : comment ne pas se faire manipuler ? ». Nous tenterons d'y aborder la problématique de l'expertise, le fonctionnement des sciences et l'initiation à l'esprit critique. Nous espérons vous y voir nombreux.