Dans les larmes de souris immatures sexuellement se trouve une phéromone nommée ESP22, qui pousse les mâles à reporter leurs avances vers des congénères de leur âge. Un nouveau pas pour déterminer les paramètres physiologiques qui orientent le désir chez ces rongeurs.

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    Les souris jeunes disposent d'une arme dans leurs larmes pour faire fuir les mâles qui s'intéresseraient de trop près à elles : la phéromone ESP22. © CdePaz, Flickr, cc by nc sa 2.0

    Les souris jeunes disposent d'une arme dans leurs larmes pour faire fuir les mâles qui s'intéresseraient de trop près à elles : la phéromone ESP22. © CdePaz, Flickr, cc by nc sa 2.0

    Qu'est-ce qui contrôle nos désirs ? Pourquoi tombe-t-on amoureux d'une personne et pas d'une autre ? La question interpelle les scientifiques depuis de longues années, et Charles DarwinCharles Darwin l'évoquait déjà en 1871 dans La Filiation de l'Homme et la sélection liée au sexe, ouvrage dans lequel il proposait la notion de sélection sexuelle. Les jeux de l'amour occupent évidemment un rôle central dans l'évolution, et donc dans la vie des espècesespèces qui les pratiquent, si bien que la plupart des sens disponibles sont impliqués.

    Mais tous les animaux ne prêtent pas la même importance aux mêmes perceptions. L'être humain est très visuel (mais se laisse aussi attendrir par le son d'une voix ou envoûter par un parfum, et ne refuse pas les caresses), tandis que la souris, vivant aussi la nuit et dans des endroits sombres, préfère se fier à son odorat. Les rongeursrongeurs fuient comme la peste les émanations des chats, et perçoivent la présence de rivaux ou de partenaires potentiels par les seules phéromones qui émanent de leurs urines. Chez eux, la communication passe beaucoup par le nez.

    Y compris pour le désir sexuel ? Des chercheurs de la faculté de médecine de l'université Harvard (États-Unis), sous l'égide de Stephen Liberles, répondent par l'affirmative, d'après les résultats qu'ils ont publiés dans la revue Nature. Ils ont montré que les souris immatures sexuellement sécrètent dans leurs larmeslarmes une phéromone qui pousse les mâles adultes à proposer leurs avances ailleurs.

    ESP22, la phéromone murine contre le viol

    Les scientifiques ont en réalité remarqué que les souris âgées de deux et trois semaines produisaient dans leur liquideliquide lacrymal une moléculemolécule nommée ESP22. Celle-ci est normalement perçue par l'organe voméronasal des adultes, très développé chez les rongeurs, si bien que les mâles s'en détournent... sauf sur des lignées de rongeurs ne sécrétant pas ladite phéromone, comme l'ont testé les auteurs. De la même façon, des adultes privés de leur organe voméronasal se montrent intéressés par les rongeurs prépubères.

    Le désir sexuel est régulé par de nombreux signaux sensitifs. Chez la souris, la phéromone ESP22 contribue à l'annihiler. © <em>National Cancer Institute</em>, Wikimedia Commons, DP

    Le désir sexuel est régulé par de nombreux signaux sensitifs. Chez la souris, la phéromone ESP22 contribue à l'annihiler. © National Cancer Institute, Wikimedia Commons, DP

    Cette phéromone joue donc un rôle inhibiteur dans le désir sexuel de la souris. L'analyse neurologique révèle que le reniflement d'ESP22 active dans la foulée les neuronesneurones du système limbiquesystème limbique dans une région qui contrôle les conduites instinctives, comme le comportement sexuel, l'agressivité ou l'autodéfense.

    D'autres facteurs qui dirigent le désir

    Peut-on imaginer que l'Homme aussi réagisse à ESP22 ? L'extrapolation dans ce cas de figure est assez complexe, car comme précisé plus haut, la souris accorde davantage d'importance que nous aux signaux olfactifs, et a donc développé des méthodes de communication différentes. D'autre part, il existe un débat au sein de la communauté scientifique pour déterminer la réelle efficacité de notre organe voméronasal à nous, humains. Dans notre espèce, il se résume à une petite fraction de tissu tubulaire à côté de l'os nasalos nasal, dont on discute la fonctionnalité. Certains pensent qu'il joue toujours son rôle, tandis que d'autres estiment qu'il s'agit d'un reliquat de l'évolution, et que le nez lui-même suffit à capter les phéromones.

    Cependant, si nous n'accordons pas une importance fondamentale aux odeurs, il existe très certainement des signaux sensoriels qui interviennent dans la discrimination des partenaires et qui activent les mêmes régions du cerveau que chez les souris. On sait par exemple que les caractères sexuels secondaires (développement des seins pour la femme ou de la musculature chez l'homme, par exemple) sont particulièrement appréciés. Mais il existe de nombreux autres paramètres qui n'ont pas encore été identifiés. Et les étudier chez les animaux pourrait amener les scientifiques sur la bonne piste.