Plus un animal est gros, plus il possède de cellules. Logiquement, on pourrait penser que plus il y a de cellules dans un organisme, plus il y a de risques de contracter un cancer. Pourtant, on constate le phénomène inverse. Cette contradiction, nommée paradoxe de Peto, vient d’être expliquée par un modèle mathématique. Une justification qui ne fait pas l’unanimité.

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    Il est parfois des incohérences difficiles à comprendre et à éclaircir. Le fait que certaines espècesespèces animales soient plus sujettes au cancer que d'autres en fait partie. Si la maladie touche un être humain sur trois, elle n'affecte par exemple que 18 % des bélugasbélugas (une baleine blanche de 6 m de long), des animaux bien plus imposants que nous. Cet excédent de massemasse est nécessairement dû à un nombre de cellules bien plus important. Or, si l'on considère que chaque cellule a la même probabilité de devenir tumorale, ces cétacés devraient pâtir du cancer bien plus que nous.

    Cette contradiction s'appelle le paradoxe de Peto, en hommage à Richard Peto, chercheur à l'université d'Oxford, qui l'a pointée du doigt en 1975. Les scientifiques y voient toutefois une explication logique. Si une espèce met en place des mécanismes pour se protéger des tumeurs et augmenter ses chances de survie, cela se fait au détriment d'autres fonctions de l'organisme, comme la reproduction. Chaque population privilégie donc certains mécanismes plutôt que d'autres, les gros animaux investissant plus que les petits dans des dispositifs limitant les risques de cancer.

    Tout cela reste théorique et doit encore être prouvé. C'est ce qu'ont cherché à faire des scientifiques de l'Institut de recherche pour le développement (IRD) de Montpellier, en utilisant les mathématiques. Leur modèle apporte une explication au paradoxe de Peto.

    Des gènes qui évoluent en fonction du poids

    Leur simulation, décrite dans Evolutionary Applications, prend en considération 100 stratégies possibles de mutations génétiques afin de déterminer celles qui seraient les plus fréquemment maintenues après 4.000 générations. Les gènes étudiés sont de deux types : les proto-oncogènes, qui après une mutation risquent d'induire le cancer, et les gènes suppresseurs de tumeurs (GST), qui préservent de la maladie et qui deviennent en général inactifs après deux altérations de leur séquence. Pour qu'une tumeur se forme, les auteurs ont considéré que les premiers devaient être actifs et les seconds inactifs.

    Le béluga est un membre de la famille des baleines, n'atteignant que 6 m de long pour un poids ne dépassant pas 1,5 t. Ses risques de développer un cancer sont presque deux fois moins importants que pour un être humain. © Antony Pranata, Fotopédia, cc by nc nd 2.0

    Le béluga est un membre de la famille des baleines, n'atteignant que 6 m de long pour un poids ne dépassant pas 1,5 t. Ses risques de développer un cancer sont presque deux fois moins importants que pour un être humain. © Antony Pranata, Fotopédia, cc by nc nd 2.0

    En recoupant ces paramètres biologiques pour aboutir à un résultat proche de celui que l'on trouve dans la nature, les chercheurs ont établi leurs prédictions pour des animaux classés sur un gradientgradient de masse allant de 20 g à une tonne. Leur modèle montre que les gènes réagissent très différemment selon le poids. 

    Par exemple, l'activation des proto-oncogènes semble diminuer si la taille des animaux augmente. À l'inverse, même s'ils favorisent la survie, les GST deviennent trop coûteux pour les espèces de petit ou moyen gabarit, car les répercussions sont trop importantes sur la reproduction.

    Le métabolisme contre le cancer

    Selon les résultats de cette étude, pour un certain nombre d'espèces, il est plus avantageux d'un point de vue évolutif de compter davantage de morts à cause du cancer que de développer des mécanismes pour s'en protéger. C'est ainsi que pourrait s'expliquer le paradoxe de Peto.

    Cependant, cette théorie n'emporte pas tous les suffrages dans le milieu scientifique. En effet, il existe d'autres hypothèses valables. Par exemple, certains supposent que le métabolismemétabolisme plus lent des organismes géants limite l'oxydationoxydation impliquée dans le vieillissement cellulaire. Une prochaine expérience, basée sur la comparaison de génomesgénomes de baleines, d'éléphants et d'autres animaux, pourrait lever le doute qui plane encore sur le paradoxe de Peto.