Depuis 1872 et les travaux de Charles Darwin, on considérait que les Hommes manifestaient leurs émotions à travers six grandes catégories d’expressions faciales. Le concept vient d’être ébranlé par des scientifiques selon lesquels la culture intervient également. Et cela n’est pas tout à fait sans conséquences…

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    L'histoire commence en 1872. Charles DarwinCharles Darwin publie un ouvrage intitulé L’expression des émotions chez l’Homme et les animaux, dans lequel il défend l'idée que l'espèceespèce humaine présente six états émotionnels fondamentaux : la joie, la surprise, la peur, le dégoût, la colère et la tristesse. D'après ses recherches et celles de ses contemporains, les expressions faciales représentant ces émotions étaient universelles et interprétées de la même manière par tous les Hommes. 

    Se basant sur la théorie de l'évolution par la sélection naturelle qu'il avait exposée treize ans auparavant, il en déduit que s'il n'était question que de culture, la manifestation des émotions aurait considérablement varié dans les différentes régions du monde depuis l'ancêtre communancêtre commun à tous les êtres humains, comme le font des espèces qui divergent et qui évoluent. Cela devait donc être inné.

    Depuis près d'un siècle et demi, différentes études ont confirmé les travaux du naturaliste britannique. Mais certains scientifiques, comme Rachael Jack de l'université de Glasgow, se demandent si ces recherches sont allées assez loin dans la précision et si certains biais dans des protocolesprotocoles n'auraient pas pu fausser les données. En voulant le vérifier, ils se sont rendu compte que Darwin n'avait pas tout à fait raison : la culture interviendrait également !

    Charles Darwin expliquait en 1872 que les expressions faciales caractérisant les émotions humaines pouvaient être lues par n'importe quel être humain. Cela ne serait pas complètement vrai, mais il y a malgré tout une part de vérité. Il considérait que ce trait de notre comportement était hérité de l'ancêtre commun à toute l'humanité. Il pourrait même remonter plus loin pour certaines émotions, dans la mesure où il nous est possible aussi de distinguer certaines émotions sur les visages de chimpanzés. © J. Cameron, Wikipédia, DP

    Charles Darwin expliquait en 1872 que les expressions faciales caractérisant les émotions humaines pouvaient être lues par n'importe quel être humain. Cela ne serait pas complètement vrai, mais il y a malgré tout une part de vérité. Il considérait que ce trait de notre comportement était hérité de l'ancêtre commun à toute l'humanité. Il pourrait même remonter plus loin pour certaines émotions, dans la mesure où il nous est possible aussi de distinguer certaines émotions sur les visages de chimpanzés. © J. Cameron, Wikipédia, DP

    Les émotions : une histoire de nature et de culture

    Pour procéder, 30 volontaires ont été recrutés. La moitié d'entre eux étaient des Occidentaux, la seconde moitié était composée d'Asiatiques immigrants arrivés récemment et pas encore imprégnés par la culture locale. Leur mission consistait à identifier laquelle des six grandes catégories d'émotions animait 4.800 visages différents, façonnés par ordinateurordinateur

    Le logiciellogiciel tendait à représenter au plus près les manifestations des diverses expressions en contractant virtuellement les muscles faciaux, soulevant ou abaissant le coin de la bouche, élargissant ou rétrécissant les yeuxyeux, et ainsi de suite. Certains visages étant peu expressifs, les sujets étaient autorisés à répondre qu'ils ne parvenaient pas à décrypter l'état émotionnel de la personne. L'intensité de l'émotion était également notée sur une échelle allant de 1 à 5.

    Les résultats, présentés dans les Pnas, montrent plusieurs tendances. D'une part, les Occidentaux s'accordent très bien pour ranger les émotions des visages dans les grandes catégories et évaluer le niveau d'intensité. En revanche, les Asiatiques en ont une perception différente, mis à part pour le sourire. Pour eux, les expressions marquant le dégoût, la peur, la surprise et la colère étaient difficiles à classer correctement. D'autre part, l'intensité émotionnelle passe davantage par l'activité des yeux que pour d'autres traits auxquels sont plus sensibles les Occidentaux.

    En 1862, dix ans avant Darwin, le Français Guillaume-Benjamin Duchenne s'était déjà intéressé aux émotions que l'on pouvait lire sur les visages. Il démontre notamment qu'un vrai sourire (aujourd'hui appelé « sourire de Duchenne ») ne se caractérise pas uniquement par la contraction de muscles buccaux, mais aussi par celle du muscle orbitaire de l'œil. Cette contraction est quasiment impossible à faire de manière volontaire et non spontanée, ce qui signifie que l'on peut mesurer la sincérité d'un sourire. © Guillaume Duchenne, <em>Mécanisme de la physiologie humaine</em>, Wikipédia, DP

    En 1862, dix ans avant Darwin, le Français Guillaume-Benjamin Duchenne s'était déjà intéressé aux émotions que l'on pouvait lire sur les visages. Il démontre notamment qu'un vrai sourire (aujourd'hui appelé « sourire de Duchenne ») ne se caractérise pas uniquement par la contraction de muscles buccaux, mais aussi par celle du muscle orbitaire de l'œil. Cette contraction est quasiment impossible à faire de manière volontaire et non spontanée, ce qui signifie que l'on peut mesurer la sincérité d'un sourire. © Guillaume Duchenne, Mécanisme de la physiologie humaine, Wikipédia, DP 

    Expressions faciales, tests d’intelligence et sécurité nationale

    L'idée soutenue par Rachael Jack et son équipe est que chaque culture possède ses émotions fondamentales, pouvant varier d'une région à l'autre. Ainsi, les Occidentaux ont défini six grandes catégories, mais les Asiatiques pourraient en avoir d'autres, incluant notamment la honte, la fierté ou la culpabilité.

    Il faut malgré tout relativiser ces résultats, établis à partir d'une quinzaine de volontaires censés représenter l'ensemble de leurs sociétés originelles. D'autre part, une culture se compose elle-même de sous-cultures, chaque pays, chaque région ayant ses particularités. C'est aussi vrai dans le monde occidental que dans le monde asiatique. Mais à quel degré de précision devons-nous nous arrêter ?

    Malgré tout, ce travail revêt un intérêt certain, économique comme sanitaire. Pour LisaLisa Feldman-Barret (Northeastern University, Boston), si cette hypothèse de l'universalité des émotions est erronée, cela n'est pas sans conséquences. Car elle le rappelle, ces tests sont utilisés dans certains pays pour diagnostiquer des maladies mentales. Les États-Unis, à eux seuls, dépensent chaque année des millions de dollars pour apprendre à leurs agents de sécurité à décrypter les émotions sur les visages. Un modèle qu'il faudra peut-être bientôt revoir...