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    Combien d’espèces vivent dans cette forêt ?

    Combien d’espèces vivent dans cette forêt ?

    Quel est l'état de nos connaissances quant à la biodiversitébiodiversité des mammifèresmammifères des forêts néotropicales ? Probablement meilleur que celui de la plupart des invertébrésinvertébrés, mais nous savons encore trop peu de choses malgré deux à trois siècles de naturalistes amazoniens.

    Les observations et collectes de terrain restent indispensables en forêts tropicales. Ici, une belle chauve-souris blanche (Diclidurus spp.) récemment (2005) trouvée au nord-ouest de la Guyane française, une espèce qui n’avait pas encore été rencontrée dans la région, malgré les nombreux travaux des biologistes étudiant les chauve-souris de Guyane. <br />© Alexandre Renaudier, accord donné à François Catzeflis - Tous droits réservés

    Les observations et collectes de terrain restent indispensables en forêts tropicales. Ici, une belle chauve-souris blanche (Diclidurus spp.) récemment (2005) trouvée au nord-ouest de la Guyane française, une espèce qui n’avait pas encore été rencontrée dans la région, malgré les nombreux travaux des biologistes étudiant les chauve-souris de Guyane.
    © Alexandre Renaudier, accord donné à François Catzeflis - Tous droits réservés

    Dresser la liste des mammifères d'un site forestier néotropical n'est pas chose aisée ; les inventaires de terrain sont longs et coûteux, et puis de très nombreux taxonstaxons sont si mal connus qu'il faut ensuite un examen morphologique détaillé (au laboratoire) pour les identifier. Les frontières biologiques de beaucoup de taxons (espècesespèces, sous-espècessous-espèces) sont problématiques en l'absence de révisions taxonomiques, et ceci est surtout vrai pour les cas de parapatrieparapatrie et allopatrieallopatrie

    Voss & Emmons (1996) ont récapitulé nos connaissances, en analysant les faunesfaunes de la douzaine de localités néotropicales connues à ce jour. Si, dans une localité (rayon de 3km) d'une riche forêt de France, on peut recenser de 25 à 30 espèces de mammifères (sans compter les chauves-sourischauves-souris), en Amazonie la biodiversité va de 44 à 79 espèces.

    Il y a très peu de stations biologiques dans les forêts primaires néotropicales. L'une d'elles est Barro Colorado, le long du canal de Panama, où des mammalogistes sont venus plus ou moins régulièrement depuis 1926, mais pendant longtemps sans but précis d'inventaire.

    En 1996, 113 espèces de mammifères avaient été identifiées à Barro Colorado, à savoir la moitié (57 espèces) après 7 ans (1926-1932), et 80% après 37 ans (1926-1962) de présence sur le site. En considérant la répartition géographique des mammifères d'Amérique Centrale, on peut s'attendre à un total de 144 espèces à Barro Colorado ; c'est à dire que l'inventaire actuel serait complet a 78%, malgré 70 ans de présence naturaliste.

    Mais la plupart des localités néotropicales où la biodiversité des mammifères a été comptabilisée sont des stations où des efforts d'inventaire ont été réalisés durant des missions définies, s'étendant sur un à 5 ans en général. Pour certains inventaires, les scientifiques ont laissé des notes suffisamment détaillées pour qu'on puisse quantifier leur effort de prospection.

    C'est par exemple le cas de Balta, au Pérou ; de Cunucunuma au Venezuela, et du Rio Xingu, au Brésil. On voit ici qu'il faut en général un effort de 80 chercheurs X jour pour découvrir 50% de la faune, et de 150 chercheurs X jours pour comptabiliser 90% de la biodiversité locale. Peu de bailleurs de fonds, publics ou privés, peuvent aujourd'hui financer de telles recherches de terrain.

    Brownsberg, Suriname : Mark Engstrom et ses collaborateurs du Royal Ontario Museum (Canada) préparent des specimens scientifiques des diverses espèces de chauves-souris capturées dans ce parc naturel. C’est à la demande des autorités du Suriname que nous avons échantillonné les mammifères de ce parc national, afin de faire connaître la biodiversité qui caractérise ces forêts protégées. <br />© François Catzeflis - Tous droits réservés

    Brownsberg, Suriname : Mark Engstrom et ses collaborateurs du Royal Ontario Museum (Canada) préparent des specimens scientifiques des diverses espèces de chauves-souris capturées dans ce parc naturel. C’est à la demande des autorités du Suriname que nous avons échantillonné les mammifères de ce parc national, afin de faire connaître la biodiversité qui caractérise ces forêts protégées.
    © François Catzeflis - Tous droits réservés

    Récemment, une équipe de scientifiques new-yorkais de l'American Museum of Natural History (AMNH) a effectué une série de missions de terrain dans le but principal d'inventorier toute la faune des mammifères d'un site donné, et de pouvoir ensuite caractériser et discuter sa biodiversité dans un contexte amazonien. Les travaux de terrain se sont déroulés de 1991 à 1994, dans un site de forêt primaire en Guyane française. Les premiers résultats ont été publiés en 1998 (chauves-souris) et 2001 (mammifères non-volants). En 202 jours de travail de terrain, avec 3 chercheurs en moyenne, 128 espèces de mammifères ont été capturées ou observées, auxquelles se rajoutent 14 espèces provenant d'interviews normalisés auprès des travailleurs forestiers locaux.

    Diverses techniques d’échantillonnage standardisées ont été utilisées :

    - pour les chauves-souris : filets en sous-boisbois ; filets aériens ; visites des sites de repos ;
    - pour les mammifères non-volants : piègeages au sol ; piégeages dans les arbresarbres ; pitfalls ; observations et tirs diurnesdiurnes ; observations et tirs nocturnesnocturnes ; interviews normalisés

    Donc, après un effort de 634 personnes X jours, une diversité de 142 espèces a été observée (mesurée), et un ensemble de 1400 specimens ont été récoltés pour documenter la taxonomietaxonomie et la morphologiemorphologie de cette faune.

    A la station CNRS des Nouragues, en Guyane française, un ingénieux dispositif d’étude de la canopée a été récemment installé par Pierre Charles-Dominique et ses collaborateurs. Il s’agit d’une « bulle des cimes », un ballon d’helium soulevant une personne, confortablement assise, et qui parcourt plusieurs chemins au-dessus de la canopée, gràce à un réseau permanent de grosses cordes qui ont été délicatement posées par hélicoptère sur les cimes des arbres. <br />© François Catzeflis - Tous droits réservés

    A la station CNRS des Nouragues, en Guyane française, un ingénieux dispositif d’étude de la canopée a été récemment installé par Pierre Charles-Dominique et ses collaborateurs. Il s’agit d’une « bulle des cimes », un ballon d’helium soulevant une personne, confortablement assise, et qui parcourt plusieurs chemins au-dessus de la canopée, gràce à un réseau permanent de grosses cordes qui ont été délicatement posées par hélicoptère sur les cimes des arbres.
    © François Catzeflis - Tous droits réservés

    Différents estimateurs non-paramétriques permettent d'extrapoler la diversité totale vivant à Paracou, puis de comparer celle-ci à la diversité attendue sachant les aires de distributionaires de distribution des espèces à l'échelle de la Guyane et des régions voisines.

    Les valeurs extrapolées s'étendent de 155 à 168 espèces (4 estimateurs différents), et les valeurs attendues (d'après la distribution géographique globale) vont de 166 à 178 espèces.

    La courbe cumulative des 128 espèces observées (sauf interviews) au cours des 202 jours de travail indique que 50% (64 esp.) de la biodiversité a été rencontrée après 50 jours, et que 90% (115 esp) des taxons sont observés après 130 jours de terrain.