Les parents essaient souvent d’imiter la voix de leur bébé pour attirer son attention. Mais nous ne sommes pas les seuls dans le règne animal à adapter notre tessiture pour communiquer avec notre progéniture. Des scientifiques viennent de découvrir que les dauphins en font autant.


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    Laela S. Sayigh, professeure adjointe en comportement animalier au Hampshire College, et son équipe se sont penchés sur la façon dont les dauphins s'adressent à leurs progénitures. Pour cause, les biologistes savent depuis des décennies que ces mammifères ont un système de communication complexe et structuré. Ils produisent en effet des sons sociaux pour « parler » entre eux (voir aussi l'article plus), mais aussi des clics d'écholocalisation pour chasser et s'orienter dans leur environnement. Les chercheurs peuvent donc s'attendre à ce que ces cétacés émettent des sifflements uniques lorsqu'ils communiquent avec leurs petits.

    Pour vérifier cette hypothèse, l'équipe a analysé les sifflements d'une vingtaine de dauphins Tursiops (espèce devenue célèbre avec à la série Flipper) dans les eaux proches de la baie de Sarasota, en Floride. Ces sons ont été enregistrés sur une période de 34 ans, lorsque les femelles étaient en présence ou non de leurs petits. Les scientifiques ont constaté que ces dernières produisent des sifflements d'une fréquence et d'une hauteur tonale plus élevées lorsqu'elles s'adressent à leurs delphineaux. Elles utilisent également une gamme de fréquences beaucoup plus large dans ce cas de figure, comme ils l'écrivent dans leur étude publiée dans la revue PNAS.

    Dauphin avec son petit. © Samantha, Adobe Stock
    Dauphin avec son petit. © Samantha, Adobe Stock

    Les humains ne sont pas les seuls à « parler bébé »

    Cette étude constitue une preuve supplémentaire de la richesse et de la flexibilité du langage animalier. En effet, plusieurs animaux s'adressent différemment à leur bébé qu'à leurs pairs. Les macaques rhésus et les singes-écureuilssinges-écureuils émettent des sons inhabituels, notamment des grognements et des gémissements nasaux appelés « girneys »  en anglais, pour attirer l'attention des petits de leurs espèces. Des chercheurs de l'université de Chicago avaient même conclu en 2007 que ces pratiques langagières étaient un exemple de « baby talk » (en français, le « parler bébé »), ou de « motherese » en jargon scientifique.

    Voir aussi

    Le premier traducteur dauphin-humain a peut-être déjà fonctionné

    Pour autant, peut-on dire que le « baby talk » est une langue universelle, qui dépasse les frontières, mais aussi les espèces ? Rien ne permet de l'affirmer, étant donné qu'il est difficile de démontrer qu'un concept existe dans l'esprit d'un animal. Mais cette découverte sur les dauphins pourrait nous aider à mieux comprendre l'histoire évolutive de l'apprentissage vocal chez les animaux et, pourquoi pas, chez les humains.


    Langage des dauphins : ils parlent comme nous !

    Article de Jean-Luc GoudetJean-Luc Goudet publié le 20 septembre 2016

    Après avoir analysé les échanges entre deux dauphins captifs, un chercheur russe affirme que les sons produits correspondent à des mots, assemblés en phrase. Et quand l'un des animaux parle, l'autre écoute sans l'interrompre.

    Yana et Yasha, elle et lui, vivent dans un bassin de la réserve marine Karadag, à Théodosie, en Crimée, au bord de la mer Noire. Ce sont des « grands dauphins », Tursiops truncatusTursiops truncatus de leur nom latin, l'espèce qui a connu son heure de gloire à la fin des années 1960 grâce aux aventures de Flipper. Vyacheslav A. Ryabov, qui travaille sur la communication de ces cétacés depuis plusieurs années, vient de publier dans la revue St. Petersburg Polytechnical University Journal : Physics and Mathematics les résultats des analyses de leurs échanges sonores, ou plutôt ultrasonores.

    La première originalité de ce travail est en effet de mesurer les échanges d'ultrasonsultrasons à fréquences très élevées, jusqu'à plus de 200 kHz, bien au-delà de celles entendues par l'oreille humaine et loin aussi des gammes les plus fréquemment étudiées par les recherches sur la communication des cétacés et qui se situent plutôt vers les 20 kHz.

    dauphin

    Les grands dauphins interagissent beaucoup et communiquent entre eux par des émissions sonores (et ultrasonores). Les clés de leur langage restent inconnues. Selon un chercheur de Crimée, ces cétacés utiliseraient des sortes de mots qu'ils agenceraient d'une manière équivalente à notre syntaxe. © Truncatus, Wikipédia, DP
    Les grands dauphins interagissent beaucoup et communiquent entre eux par des émissions sonores (et ultrasonores). Les clés de leur langage restent inconnues. Selon un chercheur de Crimée, ces cétacés utiliseraient des sortes de mots qu'ils agenceraient d'une manière équivalente à notre syntaxe. © Truncatus, Wikipédia, DP

    En élargissant ainsi la bande des fréquencesbande des fréquences analysées, Vyacheslav A. Ryabov a pu, explique-t-il, distinguer plusieurs types de productions sonores sur toute la gamme perceptible par les dauphins, de 6 ou 15 kHz jusqu'à 160 à 200 kHz. Il pense parvenir à faire la différence entre les émissionsémissions utilisées pour l'écholocation et celles servant à la communication, même quand les bandes de fréquences sont identiques. Ces émissions sont formées de séries d'impulsions, regroupées de façon complexe, par paquetspaquets et même par groupes de paquets. Ryabov a repéré des « impulsions non cohérentes » (NP, pour Non coherent pulses), séparées par des délais bien plus courts (0,5 à 10 ms) que celles de l'écholocation.

    Un exemple d'émission ultrasonore produite par Yana (la femelle). Cette série d'impulsions est caractérisée par les variations de pression (à gauche) et s'étale sur une très large gamme de fréquences (à droite). Selon l'auteur de l'étude, ce « NP » serait un mot, ou au moins un phonème. © Vyacheslav A. Ryabov, <em>St. Petersburg Polytechnical University Journal : Physics and Mathematics</em>
    Un exemple d'émission ultrasonore produite par Yana (la femelle). Cette série d'impulsions est caractérisée par les variations de pression (à gauche) et s'étale sur une très large gamme de fréquences (à droite). Selon l'auteur de l'étude, ce « NP » serait un mot, ou au moins un phonème. © Vyacheslav A. Ryabov, St. Petersburg Polytechnical University Journal : Physics and Mathematics

    Le langage des dauphins ressemblerait à celui des humains

    Selon lui, ces NP seraient l'équivalent de nos mots, ou d'un phonèmephonème, car ils diffèrent les uns des autres par les caractéristiques de leurs impulsions (amplitude, fréquence et délai entre chacune). Les paquets de NP, eux, ressemblent à des phrases, évoquant une syntaxe. L'analyse de ces séries montre, explique-t-il, une similitude avec le langage humain.

    De plus, ces émissions sont produites lors d'interactions entre les deux dauphins, et non lors de la recherche de nourriture, et même quand ils sont tous deux immobiles. De plus, le chercheur note que les productions sonores de type NP de Yasha et Yana ne se chevauchent jamais. Comme si l'un écoutait l'autre poliment, sans lui couper la parole, et lui répondait ensuite. Pour communiquer, cependant, les dauphins utilisent une large gamme sonore et leurs phonèmes (les NP) se distinguent par leurs caractéristiques spectrales.

    Si l'hypothèse est vraie, l'étude du langage des dauphins est donc techniquement difficile. Elle exigerait des hydrophones sophistiqués, enregistrant sur un large spectrespectre et analysant finement toutes les caractéristiques, à commencer par les minuscules variations de pressionpression engendrées, et ce avec une résolutionrésolution temporelle excellente, en deçà de la milliseconde. Voilà pourquoi, sans doute, malgré la certitude et de nombreuses preuves que les cétacés communiquent beaucoup entre eux (par exemple l'observation, récente, qu'ils semblents'appeler par leur nom), nous ne connaissons aucun mot de leur langage...