Comprendre que l'autre croit des choses fausses parce qu'il n'a pas toutes les données du problème, c'est comprendre que la réalité perçue n'est pas la même pour tous. Trois espèces de grands singes auraient cette capacité, que l'on appelle la théorie de l'esprit.

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    King Kong, ainsi nommé par les chercheurs, en fait un homme déguisé en singe, attaque un humain, lequel s'enfuit. Il revient ensuite avec un bâton. King Kong se cache dans l'une des deux meules de foin qui se trouvent là. Mais il change de meule, soit devant les yeuxyeux de l'homme, soit à son insu.

    Des singes, cachés, regardent la scène et un appareil de mesure, à infrarougesinfrarouges, détecte la direction de leur regard. L'expérience a été menée chez des chimpanzés, des bonobos et des orangs-outangs, 40 primates en tout, et les résultats sont publiés dans la revue Science.

    Quand King Kong change de meule sans que l'homme au bâton l'ait vu se déplacer, les singes, du moins les deux tiers d'entre eux, regardent celle où il n'est plus. Conclusion : ils savent que c'est là qu'ira l'homme au bâton pour trouver King Kong parce qu'il ignore son déplacement.


    Un singe (en haut à gauche), caché, regarde cette scène étrange montrant un humain aux prises avec un (faux) primate, surnommé King Kong par les expérimentateurs. Un capteur à infrarouges suit les yeux du singe spectateur et des points rouges ajoutés aux images indiquent l'endroit qu'il regarde. On remarque que le singe s'intéresse à la meule où l'humain a vu King Kong pour la dernière fois, même quand il a changé de place. Le primate prend donc en compte la croyance fausse de l'homme au bâton. © YouTube, 狩野文浩

    La théorie de l'esprit permet de prévoir des « croyances fausses »

    Pour un humain, c'est évident mais cette faculté à raisonner comme le ferait un autre dont les connaissances ou l'état d'esprit diffèrent semble absente chez la plupart des animaux. Elle a été baptisée « théorie de l’esprit » car elle consiste à comprendre qu'un autre raisonne non pas selon la réalité mais selon ce qu'il croit être la réalité. Elle prend diverses formes dont certaines ont déjà été repérées chez des animaux, notamment des corvidés et des grands singes.

    Chez l'humain, il est considéré qu'elle se met en place vers l'âge de quatre ans. Ici, il est question de la faculté d'appréhender ce que peut croire un autre, jusqu'à lui attribuer des croyances fausses : « je sais que tu te trompes ». Cette ingénieuse technique du suivi du regard a permis aux chercheurs d'observer cette faculté subtile.

    Un autre scénario, avec une pierre promenée entre deux boîtes par un King Kong voleur et un humain qui tente de la récupérer, donne le même résultat. Sur les 30 primates de l'expérience, 22 regardent préférentiellement la boîte dans laquelle l'homme a vu la pierre pour la dernière fois, même si elle a ensuite été déplacée par King Kong.


    King Kong vole la pierre à l'homme et la cache sous une boîte, devant lui ou à son insu. Un singe caché observe la scène. Quand l'homme revient pour récupérer la pierre, le spectateur pointe son regard (les cercles rouges) vers la boîte où l'humain doit logiquement penser qu'elle est, même si elle n'y est plus. © YouTube, Science News

    Une capacité commune aux grands singes

    L'un des auteurs, Christopher Krupenye, qui s'exprime dans un communiqué de Science News, fait remarquer que ces expériences confirment des résultats précédents mais qu'elles sont les premières à ne pas mettre en jeu de la nourriture, qui peut induire un biais. Les scénarios mettent en scène un conflit entre deux individus et les singes « doivent seulement se rappeler quelque chose qui vient juste de se passer sans être lestés par d'autres exigences cognitives ».

    Que cette capacité de la théorie de l'esprit soit observée chez trois espèces de grands primates laisse penser qu'elle était peut-être présente chez leur ancêtre communancêtre commun, qui est aussi le nôtre.