Les essaims de criquets migrateurs sont ravageurs pour les cultures. Sans le savoir, un parasite intestinal pourrait nous avoir indiqué des solutions. En acidifiant son milieu d’accueil, cette microsporidie réduit la production d’une phéromone impliquée dans le rassemblement des insectes. Surprise, elle limite également la synthèse de dopamine et de sérotonine, des neurotransmetteurs.

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    Les criquets migrateurs Locusta migratoria manilensis sont un exemple typique de polyphénisme. Leur phénotypephénotype peut varier sous la contrainte d'un facteur environnemental, en l'occurrence la densité de leur population. Quand elle est faible, ces orthoptères sont solitaires et affichent une longueur à l'âge adulte comprise entre 4 et 6 cm. Au-delà d'un certain seuil, les choses changent. Les insectes deviennent plus petits et grégairesgrégaires. Ils s'assemblent alors en essaims parfois composés de plusieurs milliards d'individus.

    Ces essaims posent régulièrement de sérieux problèmes en Afrique, en Asie, en Australie et en Nouvelle-Zélande. En quelques instants, ils peuvent détruire des hectares de cultures, au point de causer des épisodes de famine. La raison est évidente : chaque locuste doit se nourrir. Or, ces insectes consomment tous les jours leur propre poids en graminées (soit quelques grammes). Pour se prémunir des ravages causés par ces animaux migrateurs, plusieurs pays utilisent actuellement de puissants insecticides. Une nouvelle solution pourrait bientôt leur être proposée, grâce à de récentes découvertes.

    En 2004, des scientifiques menés par Wangpeng Shi de la China Agricultural University se sont rendu compte que des locustes infectées par un champignon s'agrégeaient moins que les autres. Depuis, ils ont cherché à en savoir plus. Dix ans plus tard, les mécanismes en jeu viennent d'être décrits dans la revue Pnas. Le parasite en question est une microsporidie qui se développe dans l'intestin des criquets : Paranosema locustae. Ce faisant, elle impacte l'acidité du milieu, tout en agissant sur le fonctionnement du système nerveux centralsystème nerveux central de l'hôte. Comment ?

    Les essaims de criquets couvrent parfois des surfaces de plusieurs kilomètres carrés. © fturmog, Flickr, cc by nc sa 2.0

    Les essaims de criquets couvrent parfois des surfaces de plusieurs kilomètres carrés. © fturmog, Flickr, cc by nc sa 2.0

    Un intestin plus acide limite la formation des essaims de criquets

    Lorsqu'il devient temps de s'agréger, les criquets émettent des phéromones spécifiques dans leurs déjections. À la suite de ce constat, des individus sains ont été exposés à des excréments d'insectes sains ou contaminés. Dans le premier cas, ils se sont agrégés normalement, mais pas dans la deuxième situation. Ainsi, la production de la phéromonephéromone est perturbée par l'infection. La raison a été déterminée en analysant l'intestin des hôtes. Le champignon acidifie le milieu, ce qui limite le développement des bactériesbactéries qui synthétisent les signaux chimiques.

    Une autre découverte a été faite. Les locustes infectées produisent moins de sérotonine. Or, il s'agit d'un neurotransmetteurneurotransmetteur impliqué dans l'initiation du comportement grégaire. Par ailleurs, la sécrétionsécrétion de dopaminedopamine, une moléculemolécule intervenant dans le maintien du comportement grégaire, est également amoindrie. La question qui se pose désormais est de savoir comment utiliser ces informations pour développer un nouveau moyen de lutte écologique. Faut-il se focaliser sur les bactéries produisant les phéromones ou sur la sélection de parasites limitant leur activité ? Ensuite, comment diffuser le système de lutte ? 

    Dernière interrogation : quel intérêt la microsporidie a-t-elle à limiter la formation des essaims... puisque cela contraint également sa propagation ? En effet, elle se répand lorsque les criquets migrateurs entrent en contact avec des déjections contaminées, durant leur reproduction ou lorsqu'ils se cannibalisent. Pour le moment, aucune hypothèse n'a été avancée.